11e Dimanche T.O. -C-

Jésus et la pécheresse

Curieuse invitation que celle du Pharisien : il a convié Jésus à son repas, mais il a évité soigneusement de trop se compromettre ; et Jésus a bien senti la nuance : pas d’eau sur les pieds, pas de parfum de joyeux avènement ; l’accueil est correct, sans plus.

La femme, elle, va se montrer incorrecte, surtout si l’on se réfère aux usages du temps. Or Jésus va louer son audace. Il en fallait beaucoup pour braver le mépris du Pharisien, mais ce jour-là la Galiléenne était prête à tous les risques. En entrant, elle ne voit plus que Jésus, celui qui guérit, celui qui pardonne ; elle va droit à lui, et son amour de convertie lui donne la force d’agir comme si elle était seule et de livrer au Christ, en une seule fois, non seulement ses cheveux et son parfum, c’est-à-dire tout ce qu’elle avait pour se faire belle et plaire au monde, mais ses larmes, c’est-à-dire sa détresse, sa lassitude de l’esclavage, son immense solitude dans le plaisir, son espérance d’être enfin comprise et accueillie pour le meilleur d’elle-même.

Elle qui a perdu l’honneur selon le monde et qui n’existe plus pour personne comme une personne, a pressenti qu’elle pouvait encore donner quelque chose à Jésus. Elle le donne maladroitement, avec fougue et réserve à la fois ; mais elle n’a que faire des nuances, qu’elle a désapprises depuis longtemps . Venir pleurer sur les pieds de Jésus, les couvrir de parfum et de baisers, personne n’en aurait l’idée ; mais elle, la pécheresse, l’ancienne pécheresse, par ce langage du corps, va réussir à dire au Christ en même temps son amour et son respect.

La réponse de Jésus à Simon apparemment est limpide : « Ses péchés, ses nombreux péchés, ont été pardonnés parce qu’elle a montré beaucoup d’amour ». Mais qu’est-ce qui est le premier dans le temps : le pardon, ou l’amour ? le pardon de Jésus ou l’amour de cette femme ?

Ici on pourrait comprendre de deux manières la pensée de Jésus :

  • Ou bien Jésus veut dire : « Puisqu’elle a montré tant d’amour, je lui pardonne ses péchés » ; et dans ce cas le pardon vient après, pour sceller la rencontre.
  • Ou bien Jésus renverse la perspective : « Si elle parvient à montrer tant d’amour, c’est qu’elle a fait d’abord l’expérience de mon pardon » ; et dans ce cas le pardon est au point de départ d’une nouvelle qualité de l’amour.

C’est dans ce dernier sens que va la petite parabole proposée par Jésus à Simon : une plus grande dette a été remise ; un plus grand amour est né. Dans le même sens aussi l’autre parole de Jésus : « Celui à qui on pardonne peu, montre peu d’amour ».

En réalité les deux approches coexistent dans cette page d’évangile ; et ce qui ressort avec certitude, c’est le lien direct entre l’amour et le pardon. Toute démarche d’amour pauvre et humble de notre part appelle une parole libératrice de Jésus : « Tes péchés te sont remis ! » ; et toute expérience du pardon de Jésus rend notre amour pour lui plus intense, plus direct et plus audacieux : « confiant jusqu’à l’audace » (Thérèse de l’Enfant Jésus).

Et c’est bien ce que nous expérimentons dans toutes nos démarches de conversion, et spécialement dans le sacrement où nous fêtons le pardon du Christ : jamais nous ne sommes plus vrais dans notre amour que lorsque nous nous approchons du Seigneur en lui disant, à vingt-cinq ans, à cinquante ou à soixante-dix : « Jésus, j’ai besoin d’être sauvé ! »

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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