12e dimanche T.O. -C-

« Et vous, que dites-vous ? »

Dans sa prière, ce jour-là, à l’écart, Jésus a résolu de faire le point. Ses disciples reviennent de mission et ils viennent de participer à la multiplication des pains : double raison pour eux d’être bien au courant des réactions de la foule ! Par ailleurs, en leur demandant comment ils ressentent l’opinion des Galiléens, Jésus va les amener à prendre eux-mêmes position.

Les gens, dans l’ensemble, hésitent. Pour eux Jésus est un prophète, incontestablement, un homme qui parle et agit avec une force qui vient de Dieu ; mais on attend encore l’intervention définitive, l’envoyé qui inaugurera les derniers temps.

« Et vous, que dites-vous ? »

Les disciples ne s’attendaient pas à pareille question. Nous non plus ; et pourtant Jésus nous la pose aujourd’hui : « Pour toi, qui suis-je ? ». Bien sûr, nous avons la bonne réponse. Chaque chrétien, dans la plus humble église d’Europe ou d’Afrique, la connaît : « Tu es le Messie promis par Dieu ; tu es le Fils de Dieu fait chair ; tu es le Seigneur de gloire ! ». Et Jésus n’a pas besoin de nous mettre en garde : nous savons que son Royaume n’est pas de ce monde et qu’il refuse d’utiliser la force pour imposer son prestige.

Mais il est deux illusions qui nous guettent et dont il veut nous débarrasser. La première le concerne, lui, le Sauveur : à force de le contempler dans la paix et dans la gloire, nous sommes tentés d’oublier le chemin qu’il a accepté de prendre pour nous sauver. Il tient en trois étapes, qui sont trois visages du malheur : souffrir, être rejeté, être tué ; le drame absolu, après trente années de travail et de joie auprès d’une mère admirable. Jésus a connu un destin contrasté, à base de fidélité quotidienne, et qui culmine dans son sacrifice. C’est par là qu’il a ouvert pour nous le chemin de la gloire.

L’autre illusion nous concerne, nous qui voulons le rejoindre. Ne vous y trompez pas, nous dit Jésus : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même ». Non pas à être lui-même, mais à être « quelqu’un ». Qu’il renonce à toute réalisation autonome de lui-même, à tout projet de vie qui ne serait pas inséré d’avance dans le projet du Père. « Qu’il prenne sa croix, chaque jour, et qu’il me suive ! ».

Ici tous les mots portent :

  • Il faut prendre notre croix ; non pas la croix de bois de Jésus, mais notre croix personnelle, celle de notre tempérament, de notre santé, de nos limites, de nos misères spirituelles et de notre histoire affective ; la croix de notre famille ou de notre communauté.
  • Il faut l’assumer chaque jour, sans nous habituer à notre médiocrité, sans nous résigner à traîner loin de Dieu, sans tenter de compromis avec les Béatitudes.
  • Mais il ne faut pas nous crisper devant la croix, devant notre croix, au point de ne plus suivre Jésus, de ne plus marcher et de ne plus construire, au point de perdre le contact avec le cheminement de l’Église, avec le pèlerinage des sauvés.

Car s’il ne faut pas oublier de mourir à nous-mêmes, les yeux fixés sur le « Transpercé » (Jn 19,37), il faut encore moins oublier de vivre. Ce n’est pas pour rien que le baptême nous a unis au Seigneur ; ce n’est pas en vain que nous avons revêtu le Christ. Désormais, puisque Jésus est ressuscité, la mort et la vie sont les deux faces d’un même mystère. Il n’y a pas la mort maintenant, ou son cortège de solitude et de désespoir, puis la vie, la joie, « un jour », « plus tard », « peut-être », quand Dieu voudra. C’est dès aujourd’hui que Dieu veut pour nous la vie, la vie en abondance ; et chacun de nos instants, chaque minute de notre corps meurtri ou de notre cœur brisé, se trouve à la fois sous le signe de la mort et sous le signe de la vie nouvelle. Le Christ transpercé est aujourd’hui le Christ glorieux ; de même notre vie traversée de souffrances est dès aujourd’hui en prise sur la gloire, la gloire du Christ qui annonce la nôtre.

Ce n’est pas tous les jours le Golgotha. Il n’y aura pour nous, comme pour le Christ, qu’un seul Golgotha ; mais ce que Dieu nous offre tous les jours, c’est la vie exigeante et douce de Nazareth.

C’est là que chaque jour une Mère admirable nous attend, celle qui a voué sa vie à la parole du Père, celle qui est allée jusqu’au bout de son oui, celle que Jésus nous a donnée et à qui nous ouvrons notre cœur : la Mère de la Vie et la Mère des vivants.

Revenir en haut