18e Dimanche T.O. ; Luc 12,13-21

Donner du sens par l’Amour

Les lectures de ce jour convergent vers ce sujet délicat de notre rapport aux biens matériels. Sujet délicat car il nous faut éviter tant l’angélisme qui ne respecte pas les nécessités humaines que le matérialisme qui ne respecte pas notre dimension spirituelle. Sujet délicat qui s’éclaire si l’on songe au but de notre vie humaine. On peut dire qu’il y a deux manières d’envisager notre existence : soit en considérant que tout se termine avec la vie terrestre, soit en considérant cette vie comme une étape vers la vie éternelle. Il y a là une alternative qui détermine notre manière de vivre sur terre. C’est pourquoi les textes de ce jour nous invitent à entrer dans cette cohérence entre ce que l’on croit et ce que l’on vit. Selon nos convictions philosophiques et spirituelles, nous sommes amenés à poser des choix différents, spécialement dans le rapport aux biens matériels. Car si tout finit avec la mort, alors on peut comprendre l’attitude de ceux qui veulent amasser des richesses, ou profiter au maximum des plaisirs sans autre souci que la satisfaction personnelle. Mais si la vie présente n’est que le commencement de la vie éternelle, si elle est une préparation à la rencontre ultime avec le Seigneur, alors c’est cet objectif qui doit orienter notre manière de vivre.

Dans l’évangile, le Christ nous rappelle que l’augmentation de nos biens matériels n’ajoutera rien à la durée de notre vie terrestre. Un jour, il nous faudra quitter cette vie telle que nous la connaissons pour la vie avec Dieu à laquelle nous sommes destinés. Notre vie éternelle est dès à présent commencée, il nous faut donc savoir tendre vers les réalités spirituelles qui seules passeront la mort. Notre vie est désormais cachée en Dieu, nous sommes ressuscités avec le Christ, recherchons donc les réalités d’en haut. Et dans la 1re épître aux corinthiens, St Paul est plus précis encore sur le point de savoir quelle est la réalité spirituelle qui passe la mort, à savoir l’amour. Et on comprend facilement pourquoi, car Dieu étant amour, seule en moi la capacité d’aimer et d’être aimé peut accueillir l’Amour même. Tout ce qui n’est pas amour en moi est étranger à Dieu, et donc ne peut subsister en sa présence. Il s’agit durant notre vie terrestre de travailler à augmenter notre capacité d’aimer qui nous fera franchir le cap de la mort. C’est pourquoi le critère de l’amour authentique est celui avec lequel nous pouvons juger notre manière d’utiliser les biens matériels.

C’est cette capacité d’aimer et d’être aimé qui donne du sens et de la valeur à ma vie, le reste est illusoire nous rappelle l’Ecclésiaste. Tout le reste est illusoire car pour celui qui meurt, il n’emporte pas avec lui les biens qu’il a amassés. Cependant cette logique formelle ne suffit pas pour nous détacher réellement des biens matériels. Certes, nous pouvons comprendre que nous ne les emporterons pas au ciel, et que les biens matériels ne donnent pas le bonheur. Mais il y a dans le cœur de l’homme des peurs et des désirs qui le poussent à rechercher les biens matériels. Nous cherchons dans la possession des biens une sécurité pour apaiser notre crainte de l’avenir, ou la satisfaction de notre désir de puissance ou de gloire.

Certes, il y a une certaine légitimité à agir de manière responsable quant à l’avenir, spécialement lorsque l’on est responsable d’une famille ou d’une communauté. Comme il est aussi légitime de vouloir réussir sa vie. Mais il y a un danger à perdre de vue l’objectif final de toute vie humaine. Dans l’invitation au détachement que nous recevons aujourd’hui, il faut bien voir une mise en perspective du désir de l’homme. Désir de vivre, de croître, de jouir, de posséder, de dominer… On ne peut laisser tous ces désirs se déployer sans maîtrise car ils mèneraient à la ruine celui qui se laisse entraîner sans compter les dégâts autour de lui. L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant ressemble au bétail qu’on abat, nous dit le psalmiste. Ruine de celui qui se laisse mener ainsi, car au soir de sa vie il risque de mesurer avec grande amertume la vacuité de sa vie s’il n’est pas entouré de personnes qu’il aime vraiment. Dégâts autour de lui s’il n’a fait des personnes qui l’entourent que des instruments pour son propre enrichissement ou son propre plaisir.

La petite Thérèse a compris dès son enfance « la vanité de tout ce qui passe » et elle aime à citer le livre de l’Ecclésiaste comme elle le fait en racontant sa visite chez des amis d’Alençon en août 1883 : « Je pourrais dire que ce fut pendant mon séjour à Alençon que je fis ma première entrée dans le monde. Tout était joie, bonheur autour de moi, j’étais fêtée, choyée, admirée, en un mot ma vie pendant quinze jours ne fut semée que de fleurs… J’avoue que cette vie avait des charmes pour moi. (…) À dix ans le cœur se laisse facilement éblouir, aussi je regarde comme une grande grâce de n’être pas restée à Alençon ; les amis que nous y avions étaient trop mondains, ils savaient trop allier les joies de la terre avec le service du Bon Dieu. Ils ne pensaient pas assez à la mort et cependant la mort est venue visiter un grand nombre de personnes que j’ai connues, jeunes, riches et heureuses !!! J’aime à retourner par la pensée aux lieux enchanteurs où elles ont vécu, à me demander où elles sont, ce qui leur revient des châteaux et des parcs où je les ai vues jouir des commodités de la vie ? Et je vois que tout est vanité et affliction d’esprit sous le Soleil… Que l’unique bien, c’est d’aimer Dieu de tout son cœur et d’être ici-bas pauvre d’esprit » (Ms A 32 v°).

Pour entrer dans cette dynamique du détachement par rapport aux biens matériels, il nous faut donc non seulement comprendre que notre finalité se trouve en Dieu et que nous y communierons par l’amour, mais il faut aussi comprendre que l’amour partagé et reçu est aussi le lieu où nous réalisons notre véritable réussite humaine et c’est la meilleure sécurité face aux incertitudes de l’avenir. Pour cela, nous quitterons nos peurs et nos désirs de puissance pour trouver en Dieu et dans l’amour partagé notre sécurité et notre bonheur.

Fr. Antoine-Marie, o.c.d.

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