20e Dimanche T.O. ; Luc 12,49-53

Un feu sur la terre

Comment Jésus envisageait-il sa propre mission ? C’est ce que l’Évangile aujourd’hui veut nous faire comprendre en reprenant trois paroles assez étonnantes du Christ.

La première fait appel l’image du feu : « C’est un feu que je suis venu allumer sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! »

Chez les anciens prophètes d’Israël, le feu évoquait le jugement de Dieu dans les derniers temps du monde. Mais il s’agit ici d’autre chose, car déjà Jean le Baptiste avait annoncé à propos de Jésus : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu », ce qui allait se réaliser le jour de la Pentecôte, lorsque Jésus ressuscité enverrait sur les disciples rassemblés des langues de feu. C’est alors, écrit saint Luc, « qu’ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Ac 2,3).

L’incendie de Jésus dans le monde, c’est donc le feu de l’Esprit Saint gagnant de proche en proche, purifiant tout, embrasant tout, illuminant tous les hommes. C’est l’Esprit Saint allumant la foi dans le cœur des hommes grâce à la parole portée jusqu’au bout du monde par les témoins de Jésus.

« Comme je voudrais, disait Jésus, comme j’ai hâte qu’il soit déjà allumé ! » Et ce désir de Jésus, nous avons à l’entendre encore aujourd’hui et à y répondre personnellement, car le feu de Jésus couve en nous depuis notre naissance à la vie de Dieu, depuis que le Père a posé sur nous, au baptême, le sceau de son Esprit. Il couve en nous, et il s’assoupit, comme tous les feux qu’on abandonne. C’est pourquoi aujourd’hui la parole de Jésus vient nous réveiller, dans notre lassitude : « Ce feu, comme je voudrais qu’il ait pris en toi. Je te voudrais arden­t(e), fervent(e) comme la braise ; je te voudrais actif(-ve) comme la flamme, toujours impatiente de se commu­niquer. Ne laisse pas en toi mourir le feu ! »

Sans transition, et d’une manière paradoxale, Jésus passe du feu à l’image de l’eau : « C’est un baptême que j’ai à recevoir, et comme cela me pèse jusqu’à ce qu’il soit accompli ! »

Un baptême, c’est une plongée dans l’eau en vue d’une purification. Mais pourquoi Jésus dit-il : « J’ai à recevoir un baptême », puisqu’il a été plongé déjà dans le Jourdain ? Et par ailleurs jamais il n’a eu besoin de purification spirituelle, lui, le Saint de Dieu !

En réalité, la plongée que Jésus envisage, c’est une immersion dans la souffrance. Il sent venir la Passion qui va le submerger ; il sait que les grandes eaux de la mort vont l’engloutir, lui, le Juste, pour que soit purifié le genre humain tout entier. Et il a hâte que ce baptême soit accompli. Non pas comme un combattant menacé, qui se précipiterait dans la mort en disant : « Qu’on en finisse tout de suite ! », mais parce que cette plongée dans la Passion va lui permettre d’accomplir l’œuvre du Père, parce que sa mort va donner la vie à tous les hommes, et parce que lui-même, le propre Fils de Dieu, à travers cette mort va passer à la gloire du Père.

Ce baptême dans la mort pour le salut du monde était une idée familière à Jésus. En effet lorsque, un peu plus tard, Jacques et Jean revendiqueront les deux places d’honneur dans son Royaume, Jésus, pour toute réponse, leur demandera : « Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ou être baptisé du baptême dont je vais être baptisé ? » C’est-à-dire : serez-vous capables de me suivre jusque dans le martyre ?

Ainsi Jésus est conscient que pour allumer sur la terre le feu de l’Esprit Saint il doit passer lui-même par le baptême des souffrances.

Quant à nous, ses témoins, nous aurons aussi notre part d’épreuves. Nous ne donnerons pas tous notre vie, notre sang, pour la cause de Jésus ; pourtant tous nous aurons, et nous avons dès aujourd’hui, à nous compromettre pour lui, non seulement devant des étrangers, mais jusqu’au milieu des gens qui nous sont les plus proches, jusqu’au sein de notre propre famille.

C’est ainsi que l’on peut comprendre la troisième parole mystérieuse de Jésus : « Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. »

Là encore, entendons bien le langage paradoxal de Jésus. Lui qui a proclamé : « Heureux les artisans de paix », lui qui est apparu « pour guider nos pas sur une route de paix » (Lc 1,79), lui « qui est notre paix » (Ep 2,14), ne nous dit pas aujourd’hui : « Je veux la brouille dans les familles, je veux l’incompréhension entre les générations », mais - et c’est tout différent - il prévoit que la fidélité à son Évangile amènera ses disciples à être incompris et rejetés, parfois même de ceux qui leur sont les plus chers. La parole de Jésus à l’œuvre dans notre cœur nous conduira parfois, dans la communauté, à poser humblement des choix, à garder un cap, à opter pour la Montée du Carmel, pour la conversion de notre groupe, à contre-pente de certains conforts de vie ou de pensée.

C’est ce que l’Évangile appelle « être signe en butte à la contradiction » : cela n’a rien à voir avec l’intransigeance ou la mauvaise humeur, et cela réclame bien plutôt un parti pris de douceur et de non-violence.

Ainsi, à l’engagement du Christ jusqu’à la Croix pour le salut des hommes devra répondre le courage des baptisés pour témoigner de lui jusque dans la vie familiale. Et l’une des plus belles victoires d’un chrétien ou d’une chrétienne sera d’apporter la paix de Jésus même dans une famille divisée, même dans une communauté longtemps visitée par l’épreuve, même entre des sœurs qui doivent réapprendre à se faire confiance.

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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