21e Dimanche T.O. ; Luc 13,22-30

« Ouvre-nous ! »

« Seigneur, est-ce le petit nombre qui sera sauvé ? » Voilà bien le genre de questions auxquelles Jésus ne répondait jamais directement : les dates, les délais, les nombres, tout cela, à ses yeux, n’était que vaine curiosité. On lui demande une sécurité ; il répond par une exigence. On lui demande : « Y aura-t-il beaucoup de sauvés ? » ; il répond calmement : « Tâche d’être de ceux-là ! Rien n’est fait d’avance : il faut entrer, donc vouloir entrer, et la porte est étroite ».

La porte étroite, c’est peut-être le portillon qu’on laissait ouvert un moment quand déjà les grandes portes de la ville étaient fermées pour la nuit ou en temps de trouble. Dans ce cas, c’est une porte de miséricorde pour les retardataires et pour ceux qui se sont laissé surprendre au dehors par la fermeture qu’ils auraient dû prévoir. Mais de toute façon, qu’il s’agisse d’une porte malcommode pour une foule ou d’un portillon commode parce qu’il reste ouvert, il faut toujours saisir l’occasion et entrer à temps dans la ville.

Pour les auditeurs de Jésus, sa parabole a dû être limpide. Ils ont sans doute compris que Jésus les pressait de venir à la foi : "Hâtez-vous d’entrer par la porte que je vous offre, sinon d’autres entreront avant vous, des croyants venus du levant et du couchant, du nord et du midi, qui seront, par leur foi, plus que vous fils d’Abraham, plus que vous de la race des prophètes.

Pour nous les paroles de Jésus sur la porte étroite et la porte fermée cachent une part de mystère. Comme toutes les paraboles de Jésus, elles nous suggèrent un programme de réflexion, jamais achevé, jamais clos ; et parmi les différentes manières de les comprendre, il nous faut choisir celle qui est la plus consonante avec l’ensemble de sa pensée.

Jésus ne voulait sûrement pas évoquer des hommes qui se bousculent pour forcer un portillon, comme s’il disait : « Puisque la porte est étroite, joue des coudes, toi aussi, dans la foule, et tu auras tes chances. » Jamais en effet Jésus n’a enseigné qu’il fallait évincer des frères pour entrer dans le Règne de Dieu ; jamais Jésus n’a voulu dire : « Les places sont rares, et elles reviendront au plus fort ou au plus malin. »

Il a pu vouloir dire : « La porte n’est pas large, et il faut s’y présenter à temps. » Mais il semble que Jésus insiste ici moins sur l’étroitesse de la porte que sur l’urgence de s’y engager : « La porte est étroite, certes, mais ce n’est pas grave : on peut toujours passer avec un minimum d’effort ; faites vite, cependant, car la porte un jour sera fermée. » Là nous rejoignons de nombreuses paraboles et de nombreuses affirmations de Jésus sur la venue imprévisible de la fin, fin de la présence de Jésus sur terre, fin du monde, ou mort de chaque homme. Et Jésus d’expliquer sa pensée par la parabole du maître de maison.

Une chose est claire : la porte se refermera ; l’histoire du monde sera close un jour, et chaque humain, pour son compte, tournera un jour la dernière page de sa vie. Cela, le Seigneur ne l’oublie pas, et il ne veut pas que nous l’oubliions. Il est doux, miséricordieux, mais son amour est fort et nous ramène sans cesse devant le sérieux de la vie. Jésus sauveur sait trop bien que nous ne serons jamais vraiment heureux tant que nous n’irons pas jusqu’au bout de notre loyauté et de notre réponse. Quand le moment viendra où nos lenteurs n’auront plus cours, nous aurons beau frapper, crier : « Seigneur, ouvre-nous ! », nous aurons beau dire : « Enfin, Seigneur … j’étais de tes amis ! » Jésus nous répondra : « Mes vrais amis sont déjà entrés. »

Message qui ignore les demi-mesures ! Rien ne ressemblerait moins à Jésus de Nazareth que l’image d’un maître un peu fade, d’un prophète du laisser-aller, excusant tout et ne demandant rien ; car Jésus jusqu’au bout a été passionné de la gloire du Père et passionné du salut des hommes, c’est-à-dire de leur vraie joie.

Mais il ne faudrait pas isoler cette parole de Jésus sur la porte fermée de l’ensemble de sa prédication, qui à la fois renforce ses exigences et les resitue dans un projet d’amour. Ce même Jésus qui nous parle sans ambages de la porte qui se referme est le même qui disait : « Je suis la porte des brebis. Qui entrera par moi sera sauvé ; il entrera et sortira, et trouvera pâture. Moi je suis venu pour que les brebis aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance. »

Aussi longtemps qu’il s’agit du bercail et tant qu’il est question d’entrer et de sortir, et donc d’user de notre liberté, Jésus est la porte, l’unique porte qui donne accès à la fois au refuge et à la campagne, à la prière et à la mission. On entre pour trouver la paix, on sort pour donner la joie, mais toujours librement.

L’autre porte, celle qui se ferme, ne se ferme qu’une fois, à la fin des temps, à la fin de l’histoire, à la fin de chaque vie d’homme ; mais ne craignons pas : si durant notre vie nous cherchons loyalement le Seigneur, cette porte ne se fermera pas devant nous, mais sur notre bonheur, pour l’abriter éternellement.

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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