26e Dimanche T.O. ; Mc 9, 38-48

Les exorcistes étrangers à la communauté

Arrêtons-nous quelques instants sur la question posée par Jean, le fougueux, l’exclusif, l’homme d’un seul maître, et sur la réponse de Jésus.

« En ton nom » signifie, d’après le sens de l’hébreu :« En se référant à toi ». À l’époque, les exorcistes conjuraient les démons « au nom » de Yahweh, de Salomon, le modèle des guérisseurs et des exorcistes, au nom des démons eux-mêmes ou des exorcistes célèbres. Dès lors, pourquoi pas au nom de Jésus ? Tous le savent déjà : dans le nom de Jésus toute la puissance (divine) est présente ; le nom de Jésus est porteur de puissance, de force libératrice.

Mais ces exorcistes n’appartiennent pas au cercle des disciples qui ont reçu « force et puissance sur les démons ». Les Apôtres, et Jean en particulier, réagissent avec l’étroitesse des privilégiés, comme des propriétaires de l’appel de Jésus, et comme pour canaliser la puissance de Dieu, pour circonscrire d’avance le champ de sa miséricorde :« Il ne nous suit pas ! ». Luc dit même :« Il ne suit pas avec nous ! ».

La réponse de Jésus essaie d’inculquer aux disciples la tolérance. Elle situe à trois niveaux : moi – nous – vous.

  1. Jésus fait d’abord une constatation d’expérience : faire un miracle en mon nom, ce n’est pas mal parler de moi.
  2. Puis le Maître énonce une maxime générale, qui regarde cette fois la communauté chrétienne, dont Jésus est solidaire. Et il dit :« nous ». « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous ». C’est particulièrement vrai en temps de persécution.
  3. Jésus propose un exemple concret, qui confirme la maxime générale. Il s’agit de « vous », cette fois. Et la parole de Jésus est assortie d’une promesse solennelle :« Amen ! », qui réaffirme la fidélité de Dieu envers ceux qui le servent.

Le verre d’eau, c’est l’ABC de l’hospitalité en pays chaud, mais le donner à un chrétien parce que chrétien, ou bien que chrétien, surtout en période de persécutions, c’est mériter l’amitié de Jésus. Le verre d’eau n’est pas grand chose. Mais le motif pour lequel on le donne est important : peu de chose est nécessaire pour avoir droit à la reconnaissance du Christ !

À l’intolérance des Apôtres s’oppose donc l’accueil universel de Jésus. Les disciples voulaient s’en prendre à ceux qui ne suivaient que de loin, et de l’extérieur. Jésus au contraire prend pour lui le moindre verre d’eau donné à un chrétien, même par un homme très extérieur à la communauté, même si le donateur ne se réfère que de très loin à Celui que les chrétiens révèrent.

La parole de Jésus nous rejoint aisément, à notre époque où tant d’allergies, intellectuelles, sociales, politiques, opposent les hommes, et même les chrétiens.

Ce n’est pas rien, pour un homme, que de se référer au Christ, même si sa motivation reste tant soit peu intéressée, même si son approche du Christ demeure ambiguë, même s’il est encore à mi-chemin de la foi explicite. Et rien ne permet de le prendre pour un ennemi du Règne de Dieu.

Bien des hommes et des femmes, tout en rejetant notre témoignage ou même notre amitié, gardent au fond du cœur une admiration sans bornes pour Jésus et une secrète espérance en lui. Bien des hommes de bonne volonté font reculer la haine ou le malheur dans le monde, pour un idéal qu’ils ne savent pas encore nommer. Nombre de jeunes, encore éloignés de l’Église, redécouvrent en Jésus une raison de vivre.

Sommes-nous prompts à relever l’imprécision de leur recherche, à dénoncer des dangers d’amalgame, ou au contraire à deviner l’étincelle de foi, ou l’Esprit Saint qui œuvre de manière invisible ?

C’est un test que Jésus aujourd’hui nous propose, le test de la largeur de notre cœur et de notre esprit œcuménique. Sommes nous des disciples sans frontières, sans barrières, sans œillères ? Sommes-nous des chrétiens tous azimuths ? Sommes-nous, en famille ou en communauté, patients envers ceux qui cherchent ? Savons-nous voir le cœur au-delà des mots maladroits ? Savons-nous deviner l’amour profond au-delà des attitudes raides ou désinvoltes ?

Il est des hommes qui suivent le Christ, même si ce n’est pas avec nous, même si ce n’est plus avec nous et pas tout à fait comme nous. Dieu connaît les siens, et l’Esprit, lui, s’y retrouve. C’est sans doute ce que Jésus, ce jour-là, a voulu dire.

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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