Messe de la nuit de Noël ; Luc2,1-14

« La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. » Tite 2,11

La fête de Noël est souvent présentée comme la fête des enfants, et plus généralement la fête pour la famille. C’est un temps de réjouissance et de partage. Cette dimension de la fête de la naissance de Jésus est non seulement juste, mais aussi légitime. Être dans la joie, faire taire les querelles, placer les enfants au centre des festivités, c’est répondre effectivement au message de Noël, et à l’invitation des anges que nous venons d’entendre : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime ». Cependant pour bien comprendre ce caractère festif et familial de Noël, il me semble qu’il faut aussi bien en comprendre l’importance théologique de cette fête de Noël. Car ce qui s’est passé il y a deux mille ans, dans cette nuit à Bethléem, est d’une importance capitale pour l’humanité et la venue sur terre de la lumière divine a en contre jour révélé les ténèbres du cœur humain.

L’importance capitale pour l’humanité de cette fête de Noël est l’irruption de Dieu dans l’histoire des hommes. Nous croyons que sous les traits physiques de l’enfant Jésus demeure le verbe éternel de Dieu. Cette intervention divine dans l’histoire se situe dans le prolongement de l’œuvre de Dieu accomplit avec le peuple d’Israël. L’historicité de la révélation judéo-chrétienne est un point central pour notre foi. Les récits bibliques, s’ils ne sont pas des reportages journalistiques ni des rapports scientifiques, n’en sont pas pour autant des fables ou des récits mythologiques. Ainsi, s’il peut y avoir quelques inexactitudes historiques et des erreurs quant à la compréhension du monde, ces récits rapportent une expérience religieuse et spirituelle réelle et historiquement située. Comme il existe un Jésus de l’histoire, il a existé aussi un Moïse historique, et un Abraham historique. Cette rencontre entre l’histoire des hommes et la révélation de Dieu est souvent un point d’achoppement pour notre rationalité. Si l’historicité de la Foi demande une approche critique, cette critique légitime ne peut aboutir à sa négation. Nous ne pouvons résoudre la difficulté de l’historicité de la révélation en nous cachant derrière une simple symbolique religieuse, au sens péjoratif. Pour le chrétien, Dieu s’est bien incarné un jour du temps, il est né alors que César Auguste avait ordonné un recensement, et Quirinius était gouverneur de Syrie.

La réalité historique de l’événement de la naissance sur terre du verbe de Dieu nous empêche d’accueillir la révélation évangélique seulement sous l’aspect mythologique d’une vierge qui enfante. Pour beaucoup, cette historicité de la Foi est une pierre d’achoppement. Pierre d’achoppement qui faisait dire un homme de science, ouvert seulement à la dimension symbolique de la Foi, que s’il pouvait prononcer presque de tout ce qui est contenu dans le credo, il ne pouvait dire ce simple mot « sous Ponce Pilate ». Car cette référence à un moment précis de l’histoire était pour lui une gageure. Mais pour le croyant, l’historicité de la Foi est le sceau de l’authenticité de la révélation. En célébrant la naissance de Jésus comme un événement historique, nous en soulignons l’importance centrale pour l’humanité entière.

À un moment précis de l’histoire, Dieu l’éternel allait s’insérer dans le temps ; celui qui est sans commencement et sans fin allait se couler dans notre histoire, il consentait à être mesuré par le temps, à avoir, comme chacun de nous, un passé et un avenir, une naissance, une jeunesse, une maturité, et une mort. Ce moment de l’histoire, d’une extrême importance, allait changer le cours du temps. Avant Jésus, les temps avançaient et convergeaient vers lui. Depuis le passage de Jésus, le temps, tout en continuant de progresser, reste, pour ainsi dire, comme adossé à Jésus. D’ailleurs, nous comptons les années depuis l’estimation du jour de sa naissance. L’Eglise s’appuie sur le Christ, se souvient de lui, répète les paroles et les gestes appris de Jésus. Tournée vers Jésus, l’Eglise est aussi attirée par Jésus, car elle attend son dernier avènement, et la réalisation du royaume de Dieu.

D’autre part, cette présence de Jésus nous révèle en négatif le drame de notre vie humaine, c’est-à-dire notre incapacité à accueillir la vraie vie. Cette nuit de Noël souligne le combat dramatique entre la lumière et les ténèbres. Dès les premières heures de sa venue sur terre, Jésus, qui est la vie et la lumière véritable, est marqué par le rejet, « il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune ». Le rejet d’une femme qui va accoucher et de son enfant souligne, dès les commencements de la vie de Jésus, l’inhumanité de la terre où il vient d’arriver. Et Jésus n’aura de cesse tout au long de sa prédication de demander aux hommes d’accueillir et de manifester l’amour entre eux.

On pourrait résumer la révélation chrétienne de l’incarnation en disant que Dieu s’est fait homme pour demander à l’homme d’être plus humain, et lui révéler le chemin de son humanisation. Car l’homme est plus humain, nos sociétés sont plus humaines, quand nous savons faire une place à celui qui est le plus faible, et spécialement à l’enfant à naître, quand le bien-portant aide le malade, quand l’homme libre visite le prisonnier, quand celui qui a, donne à celui qui n’a pas. En pratiquant la charité, comme le Christ nous y invite et l’a vécu, l’homme s’humanise. Certes, celui qui est objet de notre amour reçoit ce dont il a besoin, et c’est important, mais, tout aussi important, celui qui donne reçoit un cœur de chair et forme en lui l’homme nouveau. C’est ce cœur de chair capable d’aimer qui fait de lui un homme véritable.

Ainsi en vivant Noël comme la fête des enfants, le croyant ne souhaite pas entrer dans le système de la consommation pour gâter encore plus ceux qui le sont déjà. Mais, en mettant au centre de notre célébration le plus faible, celui qui dépend de nous pour vivre, et spécialement l’enfant à naître, nous manifestons la direction vers laquelle nous devons marcher pour rendre notre vie plus humaine. Lorsque l’homme adulte respecte celui qui ne peut s’exprimer, l’infans, il manifeste la dignité de la personne. En prenant chair de notre humanité, Dieu nous invite à devenir aussi de vrais hommes en participant à son amour quoi prend soin des plus faibles.

Loin des fables mythologiques, un jour du temps, le Verbe de Dieu est venu en notre chair pétrir l’homme nouveau à l’image du Christ-Jésus, nous faire entrer dans le mouvement de l’Amour trinitaire, don de soi et accueil de l’autre.

Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.

Revenir en haut