Christ, Roi de l’Univers ; Luc 23,35-43

Au temps du Christ, quand on menait un homme au supplice, sur tout le parcours jusqu’au lieu de l’exécution le condamné portait une pancarte blanche, ou encore on la faisait porter devant lui. On y inscrivait en lettres noires ou rouges le motif du châtiment.

C’est ainsi qu’on a pu lire, fixée au-dessus de la croix de Jésus, une inscription avec ces quelques mots méprisants : « Ho basileus tôn Ioudaiôn houtos : cet individu est le roi des Juifs ».

Or, à cette même époque, la région appelée Palestine n’était pas sans roi. Elle en avait même deux : Hérode Antipas (4 av. - 39 ap.) en Galilée et en Transjordanie, et Philippe (4 av.- 34 ap.) dans le Golan.

Seule la Judée, avec Jérusalem, était contrôlée directement par le procurateur romain.

Si les juges de Jésus, en particulier le romain, avait pu retenir contre lui ce grief politique : « Il a voulu se faire roi », c’est que spontanément, durant la vie publique de Jésus, beaucoup de croyants, surtout dans le peuple, avaient reconnu en lui le Messie attendu par Israël, et un Messie Roi. On espérait que Jésus prendrait en main les destinées politiques du pays, lui qui avait su nourrir toute une foule en pleine campagne. On attendait de lui qu’il secoue le joug de l’occupant et qu’il redonne à son peuple l’indépendance d’autrefois.

Jésus, lui, se méfiait de cet enthousiasme et de ce que les gens mettaient sous le titre : Messie, fils de David. Fils de David, il l’était ; Messie, il l’était, lui l’Envoyé de Dieu ; mais il ne voulait pas qu’on l’assimile aux rois terrestres. C’est pourquoi, au cours de son procès, il répondra à Pilate : « Ma royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18,36).

La scène de la crucifixion nous permet de mesurer à la fois la force de l’espérance que Jésus avait suscitée et le désarroi de la foule devant un Messie crucifié.

Saint Luc nous décrit quatre groupes d’hommes autour de la croix : le peuple, qui regarde ; les chefs juifs, qui ricanent ; les soldats romains, qui se moquent. Jésus en croix est bien, comme le dira Paul, « un scandale pour les Juifs et une folie pour les païens » (1 Co 1,23). Quant au quatrième groupe, ce sont les deux malfaiteurs crucifiés avec Jésus : l’un se révolte et fait chorus avec les moqueurs, le second espère, et se désolidarise de la haine.

À quatre reprises revient le verbe sauver, en liaison avec le nom de Messie (Christ) ou de roi :

  • « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ, l’Élu ! »
  • « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »
  • « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! »

Sans le savoir, sans s’en douter, ces hommes qui défient Jésus nous orientent vers l’essentiel du mystère de ses souffrances et de sa mort : Jésus ne veut pas se sauver de la croix, parce qu’il veut nous sauver par sa croix, par l’amour qu’il donne au Père sur la croix. Car c’est l’amour qui est force de salut, et non la souf-france par elle-même.

Nous tenons là, face à Jésus souffrant, une lumière qui éclaire notre propre destin et le destin de tous ceux que nous aimons. Jésus ne nous sauve pas de la croix, de notre croix, mais il nous sauve par sa croix, c’est-à-dire par l’amour qu’il nous a prouvé sur la croix ; et il nous offre de faire à notre tour de notre croix une preuve d’amour.

Il nous a dit lui-même : « Celui qui veut me suivre, qu’il prenne sa croix ». Où est-elle, notre croix ? - C’est le réel de notre existence, le quotidien de nos vies, tout autant que les grandes épreuves ; c’est ce que nous avons à porter pour rester fidèles à Jésus Christ et pour le servir dans nos frères, et puis aussi tout ce que nous assumons librement par amour pour mieux reproduire l’image du Fils Premier-né.

Jésus nous redit : « Prends ta croix, la croix de ton combat pour l’authenticité chrétienne, la croix de ton effort de charité, la croix de ton souci missionnaire ; je vais te montrer comment la porter par amour. »

C’est ainsi que notre vie est livrée au Christ, Roi de l’univers, et vécue au compte de l’Envoyé de Dieu : notre vie n’est plus à nous-mêmes, mais à celui qui pour nous est mort et ressuscité, le Premier-né d’entre les morts. Et cette destinée pascale, inscrite déjà dans notre baptême, est la même, fondamenta-lement, pour toutes les filles de Dieu, pour une mère de famille comme pour une carmélite, pour une étudiante comme pour une employée, pour une jeune en recherche comme pour une aïeule qui achève sa vie. C’est dans le quotidien que l’on acquiesce à la volonté du Père et que l’on rencontre la croix ; c’est dans le quotidien que l’on dit à Dieu son amour. Car c’est bien d’amour et de joie chrétienne qu’il s’agit.

C’est dans notre vie de tous les jours que le Christ Messie veut être roi, parce qu’il est roi avant tout sur des cœurs libres. Sa royauté n’est pas de ce monde : elle ne remplace pas les structures politiques, elle ne s’impose ni par la force ni par l’asservissement des consciences. La royauté de Jésus, c’est le rayonnement universel de sa parole, c’est l’illumination de chaque cœur de croyant, c’est l’incendie de la charité jusqu’aux confins de la terre, à commencer par l’incendie de notre cœur, où tout doit prendre feu « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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