Dimanche de Pâques

Dans cette nuit de Pâques, nous célébrons la résurrection de Jésus, cette résurrection est le cœur de la foi chrétienne, car elle est le fondement de notre espérance face à la réalité universelle de la mort. Cette réalité de la fin de notre vie terrestre a été au cours des âges le point de départ de nombreuses réflexions philosophiques et religieuses. De la réponse que l’on donne au sens de la mort, on déterminera aussi le sens de la vie. Généralement à la question de savoir ce qui se passe sur l’autre rivage de la mort, trois réponses nous sont données : les incroyants ou les agnostiques répondent « rien » ou nous n’en savons rien ; la sagesse orientale répond à cette question par la théorie de la réincarnation qui ces dernières années s’est largement répandue dans le monde occidental ; enfin les chrétiens répondent que nous sommes appelés à ressusciter.

Toutes les traditions religieuses ont développé une réponse à cette question de la mort, car cette question de la vie éternelle détermine le sens de la vie. La grande alternative qui se pose à l’esprit de l’homme sur le sens de sa vie est de savoir si, après la mort, il existe quelque chose ou non. La vie s’arrête-t-elle avec la mort ? Ou bien, sous un autre mode, continue-t-elle après la mort ? Répondre qu’il n’existe rien après la mort, comme il n’existe rien avant la création matérielle du monde, c’est de fait, dire que la vie n’a pas de sens. En effet, répondre par la négative à la question de la vie éternelle, et croire qu’il n’y a rien après la mort, comme il n’y a rien avant la création du monde, c’est dire que le monde est uniquement le produit du développement physique et matériel, c’est en effet dire que la vie n’est que la résultante du hasard et de la nécessité. Pour un certain nombre de scientifiques et de personnes qui s’attachent uniquement à la vie biologique, la recherche de la question du sens de la vie est impertinente. Voici ce qu’écrivait un scientifique spécialiste de la recherche sur les origines humaines : « La vie est déjà en soi si étonnante qu’on peut se dispenser de se poser la question du “pourquoi”, de lui trouver un sens. Certes, cette position scientifique est inconfortable, parce qu’on essaie tous de trouver un sens, un but de notre vie. Mais la terre tourne, elle est animée par la vie, et l’homme conscient l’habite. Et rien, dans la logique du vivant, ne présageait une telle histoire. »

Dans la logique scientifique, le monde qui nous entoure, comme notre vie personnelle, serait encadré finalement par deux grands vides : rien ne précède la création du monde, rien n’existe après la disparition du monde. Il n’y aurait à l’origine de notre monde qu’un fabuleux big-bang, dont il faudrait d’ailleurs déterminer l’origine, et le monde prendrait fin à la fin du cycle solaire pour retomber dans le néant. Entre ces deux événements cosmiques, l’évolution du monde, tel que nous le connaissons, ne serait due qu’au développement nécessaire des lois physiques et à la rencontre hasardeuse des différentes forces matérielles. Entre les deux trous noirs du début et de la fin du monde, le hasard et la nécessité guideraient l’existence de notre monde qui donc n’aurait pas de sens. En effet, nous venons de nulle part et nous n’irons nulle part. L’évolution du monde et la croissance du vivant, comme la science les perçoit, excluraient donc la recherche du sens. Mais peut-on vraiment se permettre d’exclure la recherche du sens ?

Rechercher le sens de la vie, ce n’est pas d’abord rechercher une position confortable comme le sous-entendait le scientifique dans la citation faite plus haut. C’est avant tout prendre en compte la réalité de notre vie humaine et, finalement, rejeter l’absurdité de la vie. En effet, ce qui donne du sens, de la valeur et du poids à notre vie, ce sont nos relations humaines, et nos lieux de vie où nous apprenons à aimer et à être aimés. D’autre part, ce qui handicape nos vies, ce qui nous rend le plus malheureux, c’est de ne pas avoir les conditions minimales, matérielles ou psychologiques, pour pouvoir mettre en œuvre notre capacité d’aimer. Or, il faut bien reconnaître que la plupart de nos vies sont marquées par l’échec. Tout d’abord, sans être pessimiste, il faut constater que la plus grande partie de l’humanité n’a pas les conditions matérielles minimums pour vivre décemment soit du fait d’une pauvreté matérielle, soit du fait d’une exploitation. À cela il faut ajouter tous ceux qui, ayant les conditions matérielles minimales souffrent de problèmes psychologiques qui les empêchent de mettre en œuvre leur capacité d’aimer, et qui de nous en est totalement exempt ? Ainsi donc, seule une petite partie de l’humanité est à même de réussir sa vie. Et pour ceux qui ont trouvé le lieu, ou la personne qui leur permette d’aimer, la mort vient rompre ce qui donnait sens à la vie. Depuis des générations, en ce qui concerne l’humanité, et tout au long de notre vie pour ce qui concerne chacun de nous, nous travaillons donc à notre bonheur, mais tout cela serait voué à tomber dans le néant ?

Si nous ne croyons pas à la vie éternelle, alors les millions de malheureux qui habitent notre terre auront lutté en vain pour avoir part au bonheur. Au plus, ils auront servi, par leur exploitation, au bonheur de quelques-uns, puis ils tomberont dans le néant. Et pour ceux qui auront connu la joie sur terre d’aimer et d’être aimés, tout cela tombera aussi dans le vide. Il me semble qu’il y a dans cette réalité, telle que nous le propose le monde matérialiste, une trop grande absurdité. Il y aurait même un certain sadisme de la vie biologique et physique qui aurait produit des êtres qui ne seraient voués finalement qu’à souffrir par manque de moyens pour vivre ou aimer, ou parce que l’on retire à la fin les moyens ou la personne à aimer. Sadisme absurde du matérialisme qui produit des êtres désireux de sens sans le leur donner. Croire en la vie éternelle, croire que l’amour est à l’origine et aux termes de notre vie, c’est refuser l’absurdité de la logique matérielle du hasard et de la nécessité. C’est croire que ce qui marque mon cœur dans son désir le plus profond d’aimer et d’être aimé trouvera finalement le lieu de son accomplissement. Ce qui est à l’origine de ma vie et à son terme, comme à l’origine et au terme du monde, c’est l’amour et non le grand vide.

La foi chrétienne propose cette participation à l’amour de Dieu comme expression de la vie éternelle en professant la résurrection des corps. Chaque personne pourra participer à l’amour éternel de Dieu et ainsi réaliser sa capacité d’aimer et d’être aimé avec tout son être, corps, âme et esprit. L’unicité de la vie humaine dit clairement son sérieux, son importance. Unicité de la vie qui ne peut se répéter, unicité de la personne où l’âme et le corps sont liés. Ma vie terrestre est le chemin vers l’éternité comme elle est le lieu unique où je peux réaliser ma capacité d’aimer. Dire que ma vie ne se répétera pas, c’est prendre au sérieux ma liberté et ma responsabilité, c’est affirmer l’importance des choix que je pose aujourd’hui. Ma vie actuelle est le lieu où je peux réussir ma vie, et où je me prépare à accueillir l’amour éternel.

D’autre part, à côté de l’importance cruciale de ma liberté et de ma responsabilité, croire à la résurrection de ma personne unique, c’est croire aussi que l’amour de Dieu est plus fondamental que ma capacité personnelle à réussir ma vie par mes propres forces. En effet, si dans ma vie unique, j’ai à poser des choix pour accueillir l’amour de Dieu, je sais que ma participation à la vie éternelle dépend moins de mes mérites que de l’amour de Dieu pour moi. Ma participation à la vie éternelle, ne sera pas la récompense des efforts réitérés, mais un don gratuit de celui dont j’accueille l’amour. Croire à la résurrection, c’est donc croire à la valeur unique de ma personne, mon corps n’est pas une simple enveloppe, et ma vie n’est pas purs aléas que je pourrais reprendre à l’avenir, ma vie et ma personne sont uniques. La résurrection dit donc l’unicité et l’importance de chaque vie humaine, mais la résurrection affirme aussi la primauté de l’amour gratuit de Dieu pour chacun de nous par rapport à notre capacité personnelle à construire notre salut, notre bonheur, par nos seules forces. C’est pourquoi tous les pauvres, quelle que soit leur pauvreté, pourront participer à l’amour de Dieu.

En ressuscitant Jésus d’entre les morts, Dieu notre père nous adresse donc ce message, d’une part, la vie a un sens, vos efforts pour trouver le lieu où vous serez aimés seront récompensés, et vous trouverez le repos. D’autre part, chacun de nous est unique et peut recevoir mon amour tel qu’il est aujourd’hui, car l’amour se donne gratuitement, il ne se mérite pas.

Fr. Antoine-Marie, o.c.d.

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