Dimanche des Rameaux et de la Passion -A-

« L’un de vous va me livrer », dit Jésus. Mais quel moment étrange pour une telle confidence ! Les Douze sont attablés autour de lui pour le repas le plus sacré de toute l’année liturgique, c’est une pâque joyeuse et grave, comme toutes celles qu’ils ont célébrées ensemble, mais de plus, à bien des signes, les disciples devinent que Jé­sus veut en faire un repas d’adieu. Jésus a voulu aussi qu’ils entendent ensemble cette parole qui lui brûlait le cœur depuis des jours : « En vérité, l’un de vous va me livrer. » Pourquoi ? - parce que la trahison de Judas les concernait tous, comme elle nous con­cerne tous aujourd’hui encore. Avant d’apprendre le nom du traître, ils ont entendu Jésus dire : « l’un de vous », parce qu’il fallait que chacun en vienne à demander : « Serait-ce moi, Seigneur ? » Lui, nous, moi : tel est bien le chemin que doit emprunter notre méditation pour entrer dans la pensée de Jé­sus. Lui, Judas, le traître, mais aussi nous, et moi aussi, dans ma traîtrise.

« Serait-ce moi, Seigneur ? » Ils ont d’abord été onze a poser la question ; mais la réponse de Jésus est res­tée évasive. Puis Judas, seul, a pris la parole : « Serait-ce moi, rabbi ? », et la réponse cette fois a été sans détour, parce que Jésus était sans illusion : « Tu l’as dit ! » Chacun des Onze savait qu’il n’avait pas trahi, qu’il n’avait pas livré le Maître ; et pourtant chacun a posé la question, parce que chacun se sentait capable de trahison, et aucun n’aurait osé répondre de lui-même pour l’ave­nir. Si bien que dans la tristesse qui les étreignait tous, il y avait deux chagrins à la fois : le chagrin que l’un d’eux puisse commettre un tel acte, et le chagrin, pour chacun d’eux, de ne pas pouvoir se disculper sur le champ. Cette tristesse des Onze était prémonitoire, car eux aussi blesseront l’amitié de Jésus. Certes, Judas seul le vendra ; mais tous les autres s’enfuiront.

Ainsi en va-t-il de notre amour et de notre faiblesse. Notre attachement pour le Seigneur est sincère, et notre don, pour l’essentiel, n’a pas été repris, mais notre péché participe à la fois de la trahison de Judas et du lâ­chage des Onze. Il nous arrive, en effet, tournant le dos aux Béatitudes, de préférer à la pauvreté et à l’humilité de Jésus les trente pièces dérisoires de notre confort personnel, de notre tranquillité ou de notre volonté de puissan­ce. II nous arrive aussi de fuir, de louvoyer, de prendre du champ, au moment où il faudrait nous solidariser avec le destin de Jésus, partager ses liens et sa non-violence, rejoindre son chemin de douceur, et prendre, à son ser­vice, les seules armes de l’amour.

Il a plongé la main avec Jésus dans le plat de l’amitié, celui qui allait le trahir. Mais Jésus, vainqueur du mal, et pour nous montrer « quelle espérance nous ouvre son appel » (E 4,4), nous offre chaque jour son amitié sous le signe du repas. Au moment où, les yeux rivés sur nos misères , nous en venons à redire : « Serait-ce moi, Seigneur ? », Jésus vient à nous et se donne lui-même en gage de pardon et de résurrection : « Prenez, mangez : ceci est mon Corps. »

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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