Extension du Carmel réformé en Europe

Doria, deuxième provincial des Frères Carmes Déchaux en Espagne, estimait que la réforme thérésienne ne devait pas s’étendre au-delà des Espagnes et ses successeurs suivirent cette ligne. Toutefois, Nicolas de Jésus-Marie avait fondé un couvent de déchaux à Gênes, en 1584, sur l’ordre de Jérôme Gratien. Or, à la fin du 16e siècle, on proposa aux religieux de Gênes de faire une fondation à Rome. Le préposé général espagnol s’étant récusé, Clément VIII intervint par le motu proprio du 20 mars 1597, par lequel il séparait les déchaux de Gênes et de Rome de ceux d’Espagne. Le couvent de la Scala fut érigé la même année dans la ville éternelle. Le 13 novembre 1600, Le pape divisa l’Ordre des déchaux en deux congrégations autonomes : celle de Saint-Joseph pour l’Espagne, le Portugal et le Mexique et celle de Saint-Élie pour l’Italie et les autres régions d’Europe et du monde.

Quelques carmes éminents venus d’Espagne, en particulier Jean de Jésus-Marie et Thomas de Jésus, restèrent en Italie et contribuèrent à former les premiers déchaux de ce pays. Entre 1602 et 1623, dix nouveaux couvents y furent établis. Des étrangers de diverses nations entraient dans les noviciats italiens, afin de pouvoir créer ensuite des maisons dans leurs patries. Le monastère des carmélites de Gênes essaima en Avignon (1613), puis à Terni (1618). Trois autres carmels suivirent, dont deux à Rome.

Roi Sigismond

En 1604, trois carmes déchaux missionnaires, en route vers la Perse, passèrent par la Pologne, où le roi Sigismond les accueillit avec joie. Cette rencontre est à l’origine de la fondation du premier couvent polonais à Cracovie (1605) auquel, en peu d’années, neuf autres maisons vinrent s’adjoindre.

En France, les carmélites thérésiennes furent implantées avant les carmes. Jean de Quintanadoine de Brétigny, espagnol par son père et français par sa mère, exerça un rôle primordial bien qu’effacé. Son biographe, Pierre Sérouet, lui a restitué son titre de « premier promoteur en France et des pays de Flandre de l’Ordre des carmélites déchaussées ». En 1582, à l’occasion d’un voyage, Brétigny rencontra au carmel de Séville Marie de Saint-Joseph, une fille de prédilection de sainte Thérèse. Conquis, il étudie l’esprit de la réforme, sous la direction du P. Gratien. En 1585, il se rend à Pastrana au chapitre des déchaux et leur soumet son désir d’introduire des carmélites en France.

Il obtient une réponse favorable, à condition que les carmes précèdent les moniales afin de pouvoir les assister ensuite. Brétigny rentre en France, fait quantité de démarches, puis repart en Espagne. Bien des choses avaient changé : Doria et Philippe II se montraient réticents. Les relations politiques entre la France et l’Espagne n’étaient pas au beau fixe. Après deux ans d’efforts inutiles, Jean de Brétigny regagne la France, déçu, et se met à traduire les œuvres de Thérèse de Jésus.

Barbe Acarie

A Paris, Madame Barbe Acarie va se les faire lire, sans grand enthousiasme. Et voici que la sainte Mère lui apparaît et l’engage impérieusement à faire venir ses filles en France. Une fois les amis ecclésiastiques de Barbe acquis à sa cause, les choses vont bon train et tout se décide : le premier monastère sera fondé à Paris. On demandera les constitutions et ira chercher en Espagne des filles de sainte Thérèse, capables de transmettre son esprit aux Françaises ; à défaut de carmes déchaux, trois supérieurs furent choisis parmi les intimes de Madame Acarie : Duval, Gallemant et Bérulle. Le Saint-Siège ayant approuvé le projet, on se mit à aménager le futur monastère. Depuis quelque temps déjà, Madame Acarie formait des jeunes filles à la vie religieuse. Seules manquaient les moniales espagnoles. Il fallut toute la diplomatie de Pierre de Bérulle et un bref du Saint-Siège pour les obtenir du provincial récalcitrant. Parmi elles se trouvaient Anne de Jésus, fille très aimée de Mère Thérèse, et Anne de Saint-Barthélemy, la compagne inséparable de ses dernières années.

En 1604 eut lieu l’inauguration du carmel de l’Incarnation à Paris. Anne de Jésus en devint la première prieure. Des difficultés ayant surgi, elle quitta Paris un an plus tard pour fonder à Dijon. Anne de Saint-Barthélemy, qui venait d’ériger le monastère de Pontoise, lui succéda. En 1607, à la demande des archiducs des Pays-Bas, Anne de Jésus quitta la France avec deux autres mères espagnoles et quelques Françaises pour établir un carmel à Bruxelles.

Anne de Saint-Barthélemy, après avoir fondé à Tours, se rendit, elle aussi, aux Pays-Bas. « Je n’oublierai pas mes Françaises ! » écrira-t-elle. Des Espagnoles, seule la Mère Isabelle des Anges resta en France jusqu’à sa mort. Le Carmel de France était bien assis désormais. La première prieure française fut Louise de Jésus qui succéda à Anne de Saint-Barthélemy à Paris. On a conservé d’elle cette prière : « Seigneur, vous avez pris ma nature, prenez encore ma personne !  » Après la mort de son mari, Barbe Acarie entra au carmel d’Amiens en qualité de converse (1614).

A Beaune, Sœur Marguerite du Saint-Sacrement pénétra, par la porte de l’enfance de Jésus, dans les profondeurs des mystères divins. Elle inaugura la dévotion au saint Enfant-Jésus de Beaune. A la mort d’Isabelle des Anges (1644), le Carmel français comptait 55 monastères.

Les carmes déchaux s’établirent tout d’abord en Avignon, alors territoire pontifical (1608). Un an plus tard, ils obtinrent l’autorisation royale de fonder en France. Leur premier couvent fut établi à Paris, rue de Vaugirard, en 1611. La même année vit l’inauguration de celui de Nancy, et Charenton ne tarda pas à avoir le sien. D’autres fondations suivirent à un rythme rapide : 20 entre 1615 et 1635.

En 1640, celui qui deviendra Frère Laurent de la Résurrection (1614-1691) entre comme frère convers au couvent des Carmes de la rue de Vaugirard à Paris. De nombreuses tâches humbles lui sont confiées : cuisine, cordonnerie … Toutes les occupations sont pour lui un chemin vers Dieu. Sa doctrine spirituelle centrée sur la pratique de la présence de Dieu est exposée dans ses Maximes et ses Entretiens.

En Belgique, Anne de Jésus fonda encore des monastères à Louvain, puis à Mons, et Anne de Saint-Barthélemy établit celui d’Anvers, où elle conquit l’estime générale de la population. Dès son arrivée en Flandre, la prieure de Bruxelles avait insisté auprès des souverains pour qu’ils fassent venir des carmes déchaux. En 1610, les premiers d’entre eux furent accueillis triomphalement dans la capitale où, le 2 septembre, ils inaugurèrent solennellement leur couvent. Une seconde maison fut établie à Louvain. Dans l’espace de quelques années, quarante étudiants de l’université y demandèrent leur admission. Entre 1610 et 1652, les déchaux des Pays-Bas ne firent pas moins de 24 fondations. Quant aux moniales, elles établirent sept monastères en douze ans. En 1612, cinq carmélites partirent des Pays-Bas pour la Pologne afin de répondre à l’appel de la comtesse Myrow Myszkoski. Celle-ci leur fit construire un monastère à Cracovie, où elle prit le voile trois ans plus tard. D’autres fondations suivirent à Lemberg, Varsovie et Cracovie-Wesola.

Anne de Jésus était restée l’âme du Carmel thérésien de Flandre. Au plus fort d’une grande épreuve, elle avait écrit : « ce ne sont pas les hommes qui nous éprouvent, mais celui-là même qui sait comment doivent être taillées les pierres vivantes de la Jérusalem céleste. » S’étant laissée tailler jusqu’au bout, « toute disloquée et tremblante », cette grande moniale mourut saintement à Bruxelles le 4 mars 1621.

En 1613, un groupe de déchaux de Flandre s’étaient rendus à Cologne, où ils établirent le premier couvent allemand de l’Ordre. D’autres ont pour origine les péripéties de la guerre de Trente Ans. Dominique de Jésus-Marie, un Espagnol de la congrégation d’Italie, avait contribué largement, en sa qualité de légat de Grégoire XV, à la victoire remportée par les catholiques à la Montagne Blanche près de Prague en 1620. En reconnaissance, l’empereur Ferdinand II permit aux déchaux deux ans plus tard de fonder leur premier couvent autrichien à Vienne et le duc Maximilien de Bavière les appela à Munich en 1629 pour la même raison. Bientôt l’empire austro-hongrois compta six monastères. Anne de Saint-Barthélémy avait désiré faire à Cologne une fondation dont elle prédit qu’elle serait glorieuse. Mais le carmel Notre-Dame de la Paix y fut inauguré seulement après sa mort, en 1649. Il fut suivi de cinq autres maisons allemandes.

En 1617, les six premières provinces de la congrégation d’Italie furent canoniquement érigées : celles de Gênes, Rome, Pologne, France, Flandres Belges et Lombardie. Neuf ans plus tard, les couvents de Cologne, Vienne et Prague constituèrent la province d’Allemagne, dont fut détachée en 1701 celle d’Autriche. En France, les provinces de Paris, Aquitaine, Bourgogne et Normandie sont érigées respectivement en 1635, 1641, 1653 et 1686. Celle de Lorraine, érigée en 1740, est rattachée au royaume de Louis XV en 1766.

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