Homélie 11° Dim. TO : éloge de l’ordinaire

Dimanche 14 juin 2015 - 11° dimanche du Temps ordinaire

Textes liturgiques : Ez 17,22-24 ; Ps 91 ; 2Co 5,6-10 ; Mc 4,26-34

« Du temps ordinaire », « per annum » ou « après la Pentecôte », ainsi la liturgie qualifie-t-elle, dans la diversité de ses mots et de ses formes, les dimanches que nous vivons, les numérotant, qui plus est, soigneusement, de semaine en semaine. L’éloge de l’ordinaire qui en est fait contraste avec notre temps – et nous en sommes – qui en promouvant l’événement, s’intéresse à ce qui est extraordinaire ou tout au moins nouveau. Notre foi, elle, sait la valeur du quotidien, fut-il monotone, puisque Dieu « avec nous jusqu’à la fin du monde » a rempli toute chose, tout lieu et toute heure de sa présence. Tel est l’émerveillement et l’expérience de notre vie chrétienne, de la vie contemplative en particulier dont la liturgie de la Parole de ce dimanche donne comme une feuille de route que nous pourrions baliser par une spiritualité de l’action, une spiritualité du temps et une spiritualité de l’arbre.

Parler de spiritualité de l’action en parlant de la vie contemplative ne surprendra pas les amis du Carmel ! Sainte Thérèse montre qu’aux septièmes demeures, horizon de son cheminement spirituel, Marthe et Marie sont pleinement unies et d’exhorter : « des œuvres, des œuvres, des œuvres » ! Etre contemplatif, ce n’est pas ne rien faire, fut-ce pour prier ou admirer l’œuvre de Dieu mais, selon sainte Thérèse toujours, « c’est être esclave de l’amour » autrement c’est se laisser transformer par Dieu pour qu’il fasse son œuvre en nous. Cela demande liberté, détachement, humilité et correspond, dans l’œuvre thérésienne, au passage vers les cinquièmes demeures. Faire selon Dieu et non plus faire pour Dieu, voilà l’enjeu de ce passage. La parabole de la semence « automatique » (qui grandit toute seule) ou l’exhortation de saint Paul à choisir selon le seul critère de « plaire au Seigneur » l’illustrent bien. Le grain est semé et il pousse de lui-même. « Abandonner au Seigneur le souci de la croissance » : il y a là un chemin de « démaîtrise » et de réorientation de ce que nous faisons.

Dormir et se lever (ou veiller), l’évangile nous invite à ces deux attitudes tout en nous mettant en garde contre elles ! En effet, il y a un véritable appel à dormir, c’est-à-dire à tout remettre à Dieu, en l’action secrète duquel nous croyons. Il y a de même un appel à veiller pour discerner (« voyez l’herbe qui pousse déjà… ») et déjà rendre grâce. Mais dormir n’est pas démissionner - il y a un mauvais sommeil, celui de Jonas qui fuit, celui des disciples au Jardin des Oliviers - et veiller n’est pas de l’activisme : notre agitation ressemble parfois à celle de Marthe. La parabole est donc très libératrice des fardeaux que nous nous imposons et de nos peurs : nous ne sommes pas sauveurs du monde, ne nous trompons donc pas d’action ni de combat  ! Le vrai travail spirituel consiste à consentir au grain qui pousse et à se contenter de semer, parfois à récolter selon ce qu’il plait au Seigneur, pour reprendre saint Paul : croire en la grâce et collaborer avec elle. Là est l’enjeu, le jeu et la saveur du Temps Ordinaire, d’une spiritualité de l’action.

Une spiritualité du temps intègre la patience, non celle de la résignation mais celle de la croissance et du discernement : discernement des moments de Dieu (« kairos »), départ entre les vrais soucis (« le monde en feu ») et les affaires de peu d’importance, attente eschatologique qui sait qu’il n’y a d’accomplissement qu’en Dieu et accueil, dans son intensité, du moment présent. La foi invite ainsi à changer de regard et d’appréciation de ce que nous vivons et voyons. La graine de moutarde est la plus petite des semences et elle devient un grand arbre. C’est un appel à être attentif à tout ce qui est de l’ordre de la croissance (crois en ce qui croît !) et de la vie - de toute vie, même celle qui est cachée fragile, silencieuse, invisible. C’est un appel à changer nos critères d’évaluation souvent fascinés par la performance, l’immédiateté ou le nombre. Ne voyons pas là une belle naïveté ! Croire à la semence, c’est repérer, se souvenir et croire à tous les dons de Dieu fait en nous et autour de nous, en premier lieu à notre grâce baptismale. Ce que Dieu a semé ne pourra que produire du bon et du bien : appel à laisser grandir en nous ce qui est parfois oublié ou négligé mais qui seul éclora en la vraie vie et percevra le vrai sens de la vie. Ce regard neuf sur la préparation secrète de Dieu dans le cœur de chacun est un appel à espérer l’autre sans désespérer de nous-mêmes, dans la patience. Une compréhension plus profonde de notre évangile est de dire que Dieu lui-même est la semence. Une spiritualité du temps consiste, dans la simplicité des jours, à l’accueillir dans tous ses affleurements. Enjeu de cet ordinaire des jours…

Avant d’évoquer une spiritualité de l’arbre pour finir, étonnons-nous un peu que Jésus explique les paraboles. Expliquer le symbole, expliquer la poésie, nous le savons, tue le symbole, tue la poésie ! Dans notre tradition carmélitaine, lire saint Jean de la Croix ce n’est pas se contenter de lire ses traités mais bien ses poèmes dans un va-et-vient, incessant et inépuisé, avec les quelques commentaires qu’ils ont suscités. De même, notre vie de foi se nourrit d’un va-et-vient, entre la lecture des Écritures, du livre de la Création et des récits de nos vies et leur explication ou explicitation que nous donnent la prière, la relecture de vie, le témoignage, « selon ce que nous sommes capables d’en comprendre », là où nous en sommes. Tel est un troisième enjeu pour l’ordinaire du temps, ces jours de chaque jour : être poète de Dieu, non pas, en général, au sens littéraire mais au sens de cette ouverture à l’au-delà des mots, au sens des choses et de la foi. Tout priant est en ce sens un poète. Le symbole de l’arbre employé par Jésus en est un exemple formidable. De leur existence, expérimentée et relue par les paraboles de Jésus, soulignons leur profond enracinement dans la terre et leur haute aspiration vers le ciel, la solitude de leur tronc et l’entrelacs de leurs feuilles, l’hospitalité de leurs branches et de leur ombre qui permet le chant des oiseaux. La spiritualité de l’arbre est donc bien celle de la vie contemplative avec sa vie fraternelle, mystère de solitude et d’entrelacs, intrinsèque, purifiante et merveilleuse, signe et test à la fois de toute vie chrétienne authentique.

Puisse cet éloge du temps ordinaire avec la déclinaison de certains de ses enjeux nous rendre toujours plus attentifs à la grâce, hôte, scansion et orient de nos jours ! Amen

fr. Guillaume Dehorter, ocd (Provincial de Paris)
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