Homélie 20° dim. TO : d’étranges plongées

donnée au Carmel de Lisieux

Textes liturgiques (année C) : Is 66,10-14 ; Ps 39 ; He 12, 1-4 ; Lc 12, 49-53

Que d’étranges plongées ! Celle de Jérémie, celle de Jésus. Les deux hommes de Dieu sont destinés à vivre une plongée similaire. Jérémie est plongé dans la citerne de Melkias, sauf qu’il n’y a plus d’eau en raison du siège de Jérusalem par le roi de Babylone : il s’enfonce donc dans la boue, expérience de détresse s’il en est. Jésus évoque quant à lui, le baptême qu’il doit recevoir. Il ne s’agit évidemment pas du baptême déjà reçu de Jean mais au sens littéral de sa plongée, plongée dans les eaux de la mort. Anticipation symbolique de sa Passion. Deux hommes de Dieu plongés dans l’expérience de la souffrance et bientôt de la mort pour Jésus. Pas très enthousiasmant comme programme !

Et pourtant, Jésus attend ce moment avec ardeur, de même qu’il dira à ses disciples avant sa plongée : « J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! » (Lc 22, 15) Serait-ce un désir morbide ? Non, c’est un désir d’amour ! Son angoisse est que son baptême soit accompli, que sa mission soit réalisée. Il est venu pour cela, livrer sa vie pour que nous en bénéficions : plonger dans la mort pour que nous-mêmes, par l’expérience de notre baptême, nous participions de sa mort et de sa résurrection ; pour que, par notre confirmation, nous recevions la plénitude de l’Esprit.

Car c’est bien le feu de l’Esprit que le Christ est venu apporter sur la terre. La Pentecôte est le fruit ultime de la mission de Jésus de Nazareth. C’est le feu de l’amour qui a fait vibrer son cœur qui va désormais passer dans les nôtres ; afin que nous partagions ce même désir, cette même angoisse de transmettre cette vie qui brûle à l’intérieur. Comme tous les prophètes, et bien plus qu’eux, Jésus ne pouvait pas garder pour lui le feu d’amour qui l’habitait. Déjà Jérémie l’avait expérimenté : «  La parole du SEIGNEUR a été pour moi source d’opprobre et de moquerie tout le jour. Je me disais : ‘Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son Nom ; mais c’était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m’épuisais à le contenir, mais je n’ai pas pu. » (Jr 20,9) L’amour du Seigneur a fait craquer la timidité et la crainte de Jérémie. « Tu m’as séduit Seigneur et je me suis laissé séduire. » Et Jérémie a continué de parler !

L’Esprit Saint est cette vive flamme d’amour qui consume celui qui la porte et qui le pousse à la mission. Jésus n’a ainsi qu’un seul désir, celui de transmettre cet amour ardent à tous ceux qui voudront bien le recevoir. Mais cet amour brûle car la Parole du Seigneur portée par tout prophète n’est pas toujours rassurante ; elle est souvent dérangeante. L’épître aux Hébreux le dit avec force : « Vivante est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. » (He 4,12)

C’est une autre manière de dire ce qu’apporte Jésus, un feu qui brûle et une parole qui divise. Elle divise en effet l’humanité car il faut se décider face à lui : oui ou non. Suivre le Christ est un choix tel qu’il conduit à des séparations douloureuses, nous le savons par expérience, certains plus que d’autres. Non pas que le Seigneur souhaite cette division mais elle est de fait inévitable pour notre salut et la paix définitive, à cause de notre cœur divisé par le péché. En effet la paix apportée par le Christ n’est pas la paix du mensonge, de l’hypocrisie ou de l’indifférence mais celle de la vérité. Jésus ne vient pas nous dire : c’est bien, ne changez rien, continuez sans moi !

L’Evangile divise nécessairement car il dévoile toutes nos compromissions avec le mal et c’est pour certains insupportable : ils ne veulent pas entendre cette Parole. En réalité cette division est d’abord une expérience intérieure : la Parole de Dieu vient faire le ménage dans notre vie pour dénoncer ce qui nous conduit à la mort. L’Evangile passe à travers notre propre cœur et y dévoile notre division cachée, celle qui était bien camouflée. Saint Paul évoque cette division : « je fais le mal que je ne veux pas. » (Rm 7,16) Notre volonté est divisée entre ce que nous disons vouloir et ce que nous faisons effectivement. Cette expérience universelle du péché nous est bien commune et c’est précisément ici que nous avons besoin d’être sauvés, ici que nous avons besoin de la paix.

« La paix soit avec vous. » (Jn 20,19) Oui Jésus apporte la paix mais sa paix, il la donnera depuis la Croix. C’est une paix qui est celle de la réconciliation. Ce n’est pas une paix qui ferait l’économie de la justice et de la vérité. C’est une paix qui pardonne et qui pardonne à tous. Cette paix est un don gratuit offert au père comme au fils, à la mère comme à la fille, à ceux qui ont suivi tout de suite le Christ et aux autres. Voilà l’urgence de la mission de Jésus : déposer sur la croix, cet amour si grand qu’il prend en charge tous nos refus, qu’il assume à l’avance toutes les divisions qu’il va révéler, afin de nous donner la paix, celle que nul ni personne ne pourra nous enlever. La paix du cœur. Celle qui nous rend capables d’unifier notre volonté, de réconcilier notre intériorité déchirée. Il nous reste à l’accueillir pleinement ce chemin de guérison : laisser le Seigneur nous réconcilier intérieurement mais aussi les uns avec les autres. C’est un long chemin, un dur combat spirituel et telle est peut-être l’épreuve que nous avons tous à endurer : accueillir la miséricorde du Père, en gardant « les yeux fixés sur Jésus. » Accepter d’être sauvés, guéris.

Jésus seul peut nous montrer le chemin de nos accomplissements humains, de nos plongeoirs. Car si nous sommes habités par ce feu intérieur de l’amour, c’est afin de le transmettre à notre tour. C’est en regardant la vie de Jésus et celle de la foule des témoins qui nous entoure que notre désir grandira de faire quelque chose pour le Royaume, de témoigner de ce que la Miséricorde peut faire dans une vie : réconcilier ce qui était divisé. Alors nous aussi, nous serons appelés à plonger d’une manière ou d’une autre pour que d’autres aient la vie et qu’ils l’aient en plénitude, dans de petits ou de gros plongeons, à commencer par l’humble service du quotidien. Que la lumière intérieure de l’Esprit vienne donc nous éclairer pour nous indiquer les voies de notre accomplissement, afin que nous découvrions comment nous aussi donner chaque jour notre vie par amour. Amen

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent d’Avon)
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