Homélie 21° Dim. TO : partir ou rester ?

Dimanche 23 aout 2015 - 21° dimanche du Temps ordinaire

Textes liturgiques : Jos 24,1-18 ; Ps 33 ; Ep 5,21-32 ; Jn 6,60-69

Partir ou rester : telle est la question incisive posée par l’évangile de ce dimanche. Et cette question est grave. Le discours sur le pain de vie à Capharnaüm conduit en effet le ministère de Jésus à une situation de crise : le Christ perd beaucoup de ses disciples qui font marche arrière et l’abandonnent. Moment terrible de division et de séparation dans la communauté des disciples. Mais l’évangéliste Jean souligne que Jésus ne cherche à retenir personne : il n’est pas un gourou à la recherche de nombreux adeptes. Aussi rend-il leur liberté aux Douze : « Voulez-vous partir vous aussi ? » Cette question, nous avons peut-être déjà entendu le Seigneur nous la poser au cours de petites ou grandes crises de notre chemin de foi. Moment de doute sur son chemin de vie consacrée, épreuve douloureuse au sein de son mariage, expérience difficile de vie chrétienne dans l’Eglise, etc. Chacun est confronté à ce combat spirituel où la crise devient moment de discernement, donc de décision : partir ou rester ? Trois étapes peuvent nous guider dans ce combat spirituel, à travers trois mots : le désir, la mémoire, la confession.

Première étape en temps de crise : revenir à son désir. Pour les Douze, cela voulait dire, en ce moment de choix, rééentendre dans leur cœur la question initiale du Maître : « que cherchez-vous ? » (Jn 1,38) et l’expression de leur quête « Rabbi, où demeures-tu ? » (1,39). Les Douze cherchaient en effet une demeure, la demeure de Dieu et ils la trouvèrent en Jésus en restant auprès de lui. Cela fait la différence avec une partie de la foule qui cherchait en Jésus un roi nourricier depuis la multiplication des pains et qui forcément étaient déçus par les dernières paroles de Jésus parlant d’un pain spirituel et même de sa chair qu’il donnerait en nourriture. Revenir à son désir, c’est toucher en nous la force inaugurale qui nous a mis en marche, c’est accéder de nouveau à la motion initiale de l’Esprit Saint en notre cœur. Car « personne ne peut venir à [Jésus] si le Père ne l’attire  » dans l’Esprit Saint. Si nous sommes ici, c’est parce que l’Esprit Saint nous a mis en route vers le Maître : Dieu a mis en nous "cet unique désir" comme dit l’oraison que nous avons priée. Quand la crise ébranle les repères, retrouver accès à son désir intérieur est la première manière de reprendre pied dans son cœur et dans sa tête afin de renouer le fil de son histoire.

2e étape : faire mémoire des œuvres de Dieu. Avant la crise, la suite du Seigneur était source de joie. Les Douze ont été témoins des noces de Cana (Jn 2), de la guérison du paralytique (Jn 5), des paroles incomparables de ce rabbi. « Jamais homme n’a parlé comme cet homme. » « Il a les paroles de la vie éternelle. » Les tribus d’Israël ont fait le même travail de mémoire pour choisir de rester dans l’alliance alors que Josué leur demande quel dieu ils veulent suivre : « C’est le Seigneur notre Dieu qui nous a fait monter du pays d’Egypte, qui sous nos yeux a accompli tous ces signes et nous a protégés. » Faire mémoire des œuvres de Dieu est capital car la crise pousse à l’amnésie spirituelle. Et l’oubli conduit à l’aveuglement et à l’ingratitude. Or Dieu a-t-il jamais déçu notre désir profond ? Ses voies sont certes impénétrables mais le Seigneur ne trompe pas l’attente de notre désir, s’il est sincère et bon. « Le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré lui-même pour elle » et donc pour nous rappelle saint Paul à notre mémoire. Le Seigneur fit pour nous des merveilles : ne les oublions pas ou alors nous partirons, amnésiques, ingrats et amers. Demeurer, c’est se souvenir.

3e étape : le désir et la mémoire ne suffisent pas si elles ne conduisent pas à la confession de la foi. Le Christ nous laisse libres de notre ‘oui’. Forts d’avoir réactivé notre désir de Dieu et notre mémoire spirituelle, nous avons encore à franchir le pas de la foi au milieu de la crise. Cela peut ressembler à un saut dans le vide… Certainement que les Douze n’ont pas saisi le sens des paroles de Jésus sur le don de sa chair et de son sang (voir dimanche dernier). Peut-être ont-ils été scandalisés comme les autres. Mais Pierre s’appuie sur la foi et confesse : « Nous croyons et nous savons que tu es le saint de Dieu. » Il en est de même pour nous : lors d’une crise, nous ne comprenons pas forcément où est Dieu, comment il agit et la tentation est grande de faire marche arrière. Le démon susurre le « à quoi bon ? » qui conduit à fermer le cœur. C’est précisément là qu’il faut s’ancrer dans notre mémoire spirituelle pour consentir à ce que l’œuvre de Dieu nous dépasse et à choisir l’espérance théologale. Si Dieu ne nous a pas abandonnés hier, il n’y a pas de raison que cela change… « Dieu ne change pas » nous dit sainte Thérèse d’Avila pour nous encourager ! En ce moment crucial, nous pouvons aussi nous appuyer sur la foi de l’Eglise, sur le ‘nous croyons’ confessé depuis cette parole de saint Pierre jusqu’à aujourd’hui : « Seigneur à qui irions-nous ? (…) Nous croyons. »

Avec le Seigneur, rien n’est jamais perdu et notre crise personnelle ou collective peut devenir un sursaut salutaire. Cela ne se fait pourtant pas sans cet engagement à renouer avec son désir, à se souvenir de l’œuvre de Dieu dans notre vie, à confesser avec l’Eglise notre foi dans le Christ. Oui Seigneur, c’est bien Toi que nous cherchons, c’est en Toi que nous voulons demeurer. Que cette confession de foi que nous renouvelons ensemble chaque dimanche ouvre notre cœur pour accueillir avec amour Celui qui se livre à nous en sa chair et en son sang. Amen.

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent de Paris)
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