Homélie 21° dim. TO : si Jésus venait aujourd’hui, il dirait…

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Is 66, 18-21 ; Ps 116 ; He 12, 5-7.11-13 ; Lc 13, 22-30

L’homélie a été donnée par Mgr Charles Vandame, archevêque émérite de N’Djamena (Tchad)

« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite… Beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas » Je cite aussi ce que dit Jésus sur le même sujet, en Matthieu 7 : « Entrez par la porte étroite. Large et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il y en a beaucoup qui s’y engagent. Mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, il en est peu qui le trouvent. » Nous connaissons tous ces paroles.

J’avais un grand-oncle, âgé et très pieux : à cause de ces paroles de Jésus, il vivait dans l’angoisse et dans la peur d’être damné. Il était tombé dans le travers qui consiste à isoler une parole de la Bible et à la comprendre sans l’éclairer par les autres pages. Mon oncle oubliait l’enseignement de Jésus sur la miséricorde, par exemple, ce que Jésus a dit au malheureux crucifié à son côté : « Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis ». Cette seule parole aurait dû suffire à l’apaiser. Il l’avait oubliée. D’autres chrétiens, fort nombreux aujourd’hui, font l’inverse. Ils vont insister sur la miséricorde divine et oublier le sérieux des exigences évangéliques.

Nous avons ici un précieux enseignement : n’isolons jamais une parole de la Bible mais cherchons à la comprendre à la lumière de l’ensemble de la Révélation. Privilégier certaines paroles et oublier les autres, c’est ouvrir la porte à l’hérésie, et ici, à la névrose.

J’ajoute encore ceci : dans ce récit, Jésus ne cherche pas à répondre à la question posée : « N’y a-t-il que peu de gens à être sauvés ? », cela, c’est le secret de notre Père du ciel, nous n’avons pas à chercher à le connaître. À quoi bon ? Mais Jésus met en garde ses auditeurs contre le danger de se perdre. Car nous avons tous ce pouvoir redoutable : gaspiller notre vie et nous perdre. Ainsi quand Jésus déclare : « beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas » ce n’est pas une information, c’est une interpellation. Cela signifie : « faites attention. »

Le récit se poursuit avec une parabole : « le maître de maison, le soir, ferme la porte… » Cette parabole est destinée à un auditoire composé de juifs qui estiment avoir droit au paradis puisqu’ils sont membres du peuple élu : « N’avons-nous pas Abraham pour père ? Ouvre-nous ! Nous avons mangé et bu avec toi. Nous avons écouté ton enseignement sur les places de notre ville. Ouvre-nous la porte ! »

Le maître de maison qui n’est autre que Jésus leur répond : « Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous qui commettez l’injustice. » Les auditeurs de Jésus s’illusionnent ils se croient sauvés à bon compte, sans conversion : « Vous serez jetés dehors. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors on viendra de l’orient et de l’occident prendre place au festin dans le royaume de Dieu. »

Peut-être, dans nos prédications, nous prêtres, nous ne parlons pas assez de cette mise en garde, au risque de faire de Dieu un grand-père débonnaire et gentil ! Et d’endormir notre auditoire dans un salut bon marché.

Si Jésus s’incarnait à nouveau parmi nous aujourd’hui, que dirait-il à un auditoire occidental du XXIe siècle ? Je vais essayer de répondre à sa place, à l’aide d’une autre parabole de mon invention : « voici un chrétien, il s’appelle Théophile, nom très beau qui signifie ‘ami de Dieu’. Théophile vient frapper à la porte du paradis. Saint-Pierre lui demande :

« Qui es-tu ? – Je m’appelle Théophile. – Que veux-tu ? – Je veux entrer. Ouvre la porte. – Montre-moi ton passeport. – Voilà ma carte de baptême, je suis baptisé, confirmé, marié à l’église. – C’est tout ? – Je vais à la messe le dimanche. – C’est tout ? – Je paye mon denier du culte bien fidèlement. – C’est tout ? – Je veille à ce que mes enfants aillent au catéchisme. – C’est tout ? – Eh bien oui. J’ai tout fait. Il ne me manque rien. – Tu es dans l’erreur. Tu as oublié l’essentiel : "J’avais faim et tu ne m’as pas donné à manger. J’avais froid et tu ne m’as pas vêtu." J’étais sans-domicile-fixe, et tu ne m’as pas accueilli chez toi, pas une seule fois. J’étais un réfugié, fuyant la guerre, et tu es passé à côté de moi en détournant la tête, faisant semblant de ne pas me voir, car tu avais honte. J’étais un vieillard oublié par les siens dans un EHPAD, et tu ne m’as pas visité. Tu comptais sur les autres pour le faire… Je sortais de prison et tu n’as rien fait pour m’aider à me réinsérer dans la société où toi, tu es si bien inséré.

Je laisse chacun d’entre vous compléter cette énumération en pensant aux cas concrets que vous rencontrez : toute la misère humaine, celle qui se trouve à votre porte, et celle qui se trouve aux antipodes. Posez-vous cette question : Qu’ai-je fait pour mes frères auxquels le Christ s’identifie et en lesquels il habite ? Ce que j’ai fait suffit-il ? Le Seigneur me demande-t-il quelque chose de plus ? Et quoi ?

Être chrétien est vraiment inconfortable. A l’écoute des exigences de l’Évangile, un chrétien ne peut jamais dire qu’il a fait tout ce qu’il devait. Aimer son prochain comme soi-même, cela va loin. L’aimer comme Jésus nous a aimés, cela va très loin.

L’amour appelle le ‘être avec’, il appelle le partage. Entre deux amoureux, chacun veut que l’autre lui donne tout. Le Seigneur veut tout. Il nous aime comme aiment les amoureux, et même beaucoup plus. Il attend tout de nous, et pas seulement une heure le dimanche matin, et 10 minutes de prière le soir avant d’aller se coucher. Nous chantons : « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même. » Or nous ne cessons pas de mettre des limites aux dons que nous faisons, le don de nous-mêmes et le don d’une part de ce que nous possédons.

Il faut mettre des limites, c’est clair. Celui qui dit oui à tout le monde se dit non à lui-même. Il ne tardera pas à se trouver dans une impasse. Il nous faut discerner où placer la limite et voir quand il nous faut dire ‘non’.

Jésus est le chemin, la vérité, la vie. Il est le chemin qui passe par la vérité et conduit à la vie. Dieu nous a créés à son image, avec un cœur fait pour aimer. Nous réalisons notre destinée d’hommes, nous nous réalisons nous-mêmes, en aimant. Par contre, une vie où l’on s’est seulement soucié de gagner beaucoup d’argent est une vie ratée. Une vie où l’on a beaucoup aimé, est une vie réussie, tout à fait réussie.

Aimer est difficile, c’est exigeant. Mais cela donne la joie. Le bonheur est au bout de la route. Tout ceci, grâce à l’Esprit-Saint, Esprit d’Amour. Nous l’avons reçu. Il est notre lumière et notre force. Quand nous donnons notre vie par amour, c’est l’Esprit-Saint qui fait tout. Il nous donne la force d’aimer et il le fait avec notre cœur.

Mgr Charles Vandame
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