Homélie 24e Dimanche du Temps Ordinaire (Année C) 15 septembre 2013

Le veau, la brebis et le porc : le bestiaire contenu dans l’Ecriture, tout spécialement dans la liturgie de ce jour, est varié ! Il souligne à sa manière ce qu’est le péché en en traçant quelques traits. Le veau est le symbole de l’idolâtrie, le péché par excellence : faire d’une œuvre humaine un dieu (plus précisément « des dieux » car l’idolâtrie est toujours polythéiste, éclatée, éclatante et dispersante) c’est-à-dire « se prosterner » devant elle, lui « offrir des sacrifices » et en lui attribuer l’origine, le sens et le moteur de notre vie. Ces trois attitudes constituent l’adoration qui n’est due qu’à Dieu. Le péché est donc une perversion, une usurpation, une torsion. Il y a d’ailleurs un autre veau dans les textes de ce jour : le veau gras de l’évangile, preuve que le veau n’est pas mauvais en soi mais que le péché réside dans l’usage détourné que l’on peut faire des choses. La scène du livre de l’Exode en complète la description. Le péché est aussi dans la volonté de maîtrise : contrairement à Dieu, on peut faire ce que l’on veut de l’idole et si on oppose l’idole à la distance, c’est que la conversion est le consentement à l’étrangeté de Dieu. Le péché est aussi dans l’impatience : Israël fabrique son veau parce que Moïse tarde à descendre. Lumen fidei, l’encyclique du pape François commente : « Le peuple ne supporte pas le mystère du visage divin caché ; il ne supporte pas le temps de l’attente. Par sa nature, la foi demande de renoncer à la possession immédiate que la vision semble offrir, c’est une invitation à s’ouvrir à la source de la lumière, respectant le mystère propre d’un Visage, qui entend se révéler de façon personnelle et en temps opportun ». Deuxième membre de notre bestiaire, la brebis perdue exprime un autre aspect du péché : l’égarement ou la perte du chemin en raison de mauvais choix, de repères défectueux, d’une fuite solitaire et loin de Dieu, à l’instar de l’enfant prodigue. Enfin, le porc est dans la Bible et le monde sémitique le symbole de l’impureté par excellence. A vrai dire, la foi chrétienne a libéré l’humanité du joug des lois de pureté : elle a fait un sacré ménage dans l’univers du sacré ! C’est assurément une grâce que nous pouvons apprécier, sans crânerie bien sûr, en côtoyant d’autres religionnaires. Mais le porc peut symboliser ici le mal, l’action mauvaise, autre expérience du péché.

L’idolâtrie comme perversion de Dieu, la fuite de Dieu et l’expérience du mal, nous avons là trois postures du péché. La théologie morale en distingue trois conditions : l’acte mauvais, l’intention de le faire et la conscience de le faire en se détournant de Dieu. Puissent ces quelques repères nous aider, nous encourager dans nos relectures de vie et notre manière de vivre le sacrement de Réconciliation ! Mais autant parler du péché n’est-ce pas renforcer cette suspicion que le christianisme est obsédé par le péché : libéré des rites de pureté certes mais pas du péché, ne serait-ce pas passer d’une servitude à l’autre ? C’est que l’évangile nous propose un chemin tout autre. Notre petite grammaire du péché nous a montré que le péché n’est pas fondamentalement une réalité d’ordre psychologique mais théologique et spirituel. Le thème dominant de nos trois paraboles est celui de la joie, et là encore, primauté du théologique sur le psychologique, il s’agit de la joie de Dieu. L’expérience du péché est au fond l’expérience spirituelle la plus forte car elle est rencontre de Dieu au cœur de notre faillibilité et découverte de l’amour de Dieu qui nous devance toujours. Il y a bien sûr d’autres expériences spirituelles mais l’expérience de la conversion les contient toujours un peu : Dieu n’est pas au terme de nos recherches, Dieu n’est pas ailleurs de nos obscurités, Dieu ne nous demande au fond qu’une chose, nous laisser trouver et accueillir, consentir à sa joie. Expérience étincelante, qui a de l’étincelle la fulgurance et l’éclat, qui s’exprime si sobrement dans l’évangile (le fils rentre en lui-même et retourne vers son Père) ; expérience éminemment libre qui donne à Dieu la joie d’être Dieu, d’être Père ; expérience de vérité profondément libérante et unifiante. La joie de notre évangile est donc la joie de Dieu. Elle se partage à celui qui la procure (joie du converti) et se communique à celui qui veut l’entendre (joie de l’Eglise). Terminons notre méditation en vibrant à ces trois sons, ces trois modes de la joie évangélique.

Avant tout, la joie de l’évangile est donc la joie de Dieu, la joie des anges, la joie du Ciel. L’expérience concrète peut en être variée, entre la conversion brutale qui bouleverse toute une vie et celle, plus ordinaire mais non moins étincelante, au cours d’une confession, mais se convertir, nous l’avons lu, c’est donner la joie à Dieu. L’évangile en fait son refrain, la joie du berger, la joie de la femme, la joie du Père. Cette joie est à la mesure de son ardeur, qui n’a d’égal que sa colère dans la scène de l’Exode, qui se traduit par la démesure et qui se vit tout à la fois dans la recherche active et l’attente patiente. Cette joie est appelée à se communiquer : « réjouissez-vous ! » C’est paradoxalement le côté dramatique de notre évangile où les pharisiens n’entrent pas dans cette joie : « ils récriminaient contre Jésus ». De la récrimination jalouse à la joie de la louange, tel est le chemin auquel nous invite notre évangile, tel est le chemin d’une vie de prière, telle est la joie de l’Eglise. La joie de Dieu est nôtre quand nous nous convertissons, expérience de gratitude comme l’exprime si profondément saint Paul, expérience de la « grâce plus forte », du non mérite et d’une mission. Comment garder cela pour soi ? Prier c’est ainsi se réjouir des autres, de ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont, de ce qu’ils reçoivent. Quand on a été sur le point de perdre la vie, on la retrouve d’une manière nouvelle, sans jalousie pour les vivants, bien au contraire : tel est le mouvement de la grâce, de la joie que nous partage l’évangile. Que notre vie en vive, que notre vie en vibre sous tous les modes possibles : ainsi soit-il !

Fr. Guillaume, ocd (Avon)

Revenir en haut