Homélie 24° Dim. TO : le danger du demi-disciple

donnée au couvent de Paris

Dimanche 13 septembre 2015 - 24° dimanche du Temps ordinaire

Textes liturgiques : Is 50,5-9 ; Ps 114 ; Jc 2,14-18 ; Mc 8,27-35

Grandeur de l’homme avec Dieu. Misère de l’homme sans Dieu. Cette expression de Blaise Pascal ressaisit le mouvement de notre évangile. Nous sommes en effet au centre de l’évangile selon saint Marc, au moment charnière. Depuis le début de l’évangile, la question qui se pose est : ‘mais qui donc est cet homme qui parle avec autorité et agit avec puissance ?’ Par sa confession de foi, Pierre manifeste l’identité de Jésus. Et celui-ci fait alors entrer ses disciples dans l’intelligence de sa mission : il annonce sa passion et sa résurrection et donc la deuxième partie de l’évangile. Nous sommes donc à un passage, comme sur un col de montagne qui nous ouvre de nouveaux paysages : pour suivre Jésus, il va falloir changer d’environnement. Mais ce col de montagne dévoile aussi deux versants : celui de la grandeur de l’homme quand il se fait disciple du Maître et celui de sa misère quand il prétend prendre sa place.

Grandeur de l’homme car il est rendu capable de reconnaître l’identité de Jésus. A la différence des foules qui identifient Jésus à d’autres personnages, Pierre reçoit la lumière pour voir la singularité de cet homme. Il ose prendre la parole pour désigner le Messie, le Christ. Comme l’évangéliste Matthieu le précise, cette affirmation de Pierre est bien sûr une révélation venue d’en-haut. « Heureux es-tu Simon, fils de Yonas car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang mais de mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 16, 17) Cette précision est éclairante car elle montre comment Pierre à ce moment se fait un véritable disciple de son Maître : il écoute en son cœur la parole du Père qui lui dévoile l’identité du Fils. Il s’est laissé ouvrir l’oreille et est devenu le porte-parole de l’Esprit. C’est en cette double attitude d’écoute et de proclamation que consiste sa grandeur. Et pourtant sa misère se dévoile aussitôt, comme si nous basculions sur l’autre versant.

Misère de Pierre qui manifeste celle de tout homme se coupant de l’amitié de Dieu. Pierre ne supporte pas ce nouvel enseignement de Jésus : il faut que le Fils de l’homme passe par la souffrance, la mort et la résurrection. Il ne peut pas entendre cette parole et la rejette. Autant Jésus avait correspondu jusque-là à ses attentes du Messie. Autant là, cela ne va plus : ‘un Messie qui meurt, cela ne se fait pas’. Moment terrible où le disciple ose faire de « vifs reproches » à son Maître. Et la parole de Dieu devient alors tranchante : « Passe derrière moi, Satan ! » Peut-être ces mots de Jésus nous choquent-ils ? Pourtant ils dévoilent bien ce qui se passe : Pierre devient l’agent de Satan. Il prend la place du tentateur de Jésus au désert, celui qui cherche à détourner le Messie de son chemin et de sa mission. La tentation est subtile bien sûr, comme au désert : Pierre n’invite pas Jésus au mal mais à se dérober à l’appel de Dieu pour choisir un autre chemin. Là est bien l’œuvre du Mauvais, de l’ennemi de Dieu comme des hommes. Pierre, fort de sa confession de foi, pense peut-être avoir acquis un savoir qui lui donne le droit de faire la leçon. Aussi passe-t-il devant le Maître pour prétendre lui montrer le chemin. A ce moment précis, Pierre ne suit plus Jésus ; il demande à Jésus de le suivre, lui. Et dans ce mouvement, il devient un obstacle pour la mission de Jésus. «  Passe derrière moi, Satan ! » ce qui veut dire, « Pierre, reste à ta place de disciple ou sinon tu deviens un complice du démon. »

« Qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mt 12,30) aurait aussi pu dire Jésus à cet instant dramatique. Instant également salutaire pour Pierre mais aussi pour nous. L’évangile nous interpelle en ce dimanche sur le danger de rester des demi-disciples, des gens qui suivent Jésus quand cela leur fait du bien et que sa parole les console mais qui s’arrêtent à la moindre contrariété. Or le propre du disciple est d’être toujours en situation d’apprentissage et de conversion. A aucun moment, il ne peut prétendre avoir tout compris ou connaître le chemin à l’avance. Le disciple écoute jusqu’au bout et ne se dérobe pas à la Parole de Dieu quand celle-ci se fait incisive ou dérangeante. Il choisit de s’exposer toujours à la voix intérieure du Père comme le fait lui-même le Maître, Jésus qui toujours vit de ce dialogue intime avec Dieu. L’interpellation est sérieuse pour nous : être un demi-disciple, ce n’est pas être un disciple à 50% en attendant mieux. C’est risquer, comme Pierre, de nous opposer à l’Esprit en nous trompant de chemin, voire en trompant les autres. Celui qui n’écoute pas la Parole de Dieu jusqu’au bout agit selon les pensées des hommes et non celles de Dieu, avec le risque de faire le jeu de l’adversaire. Sans s’en rendre compte, le demi-disciple peut donc faire beaucoup de dégâts…

Frères et sœurs, n’allons plus à contrevoie de Celui qui nous entraîne ; avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, disons « « Mon Dieu, je choisis tout ». Je ne veux pas être une sainte à moitié, cela ne me fait pas peur de souffrir pour vous, je ne crains qu’une chose c’est de garder ma volonté, prenez-la, car « Je choisis tout » ce que vous voulez !…" » (Ms A, 10) « Craindre de garder sa volonté » veut dire craindre de tomber dans le même panneau que Pierre : penser savoir par soi-même ce qui est bon et ce que Dieu veut. Or suivre Jésus en vrai disciple, c’est apprendre à se défier de soi-même et de ses vues étroites ; renoncer à son moi étriqué pour s’ouvrir aux larges vues de Dieu, plus belles et plus grandes. C’est aussi choisir de ne plus avoir un cœur divisé et double et c’est pourquoi nous avons demandé à Dieu dans la prière d’ouverture de cette messe la grâce d’un « cœur sans partage » afin de suivre librement le Seigneur jusqu’au bout.

En cette messe, renouvelons donc notre désir et notre détermination à ne pas être des demi-disciples. Au contraire cultivons sans cesse une attitude d’écoute et de conversion, certains de la conduite aimante du Père dans nos vies. Comme nous le rappelle saint Jacques, engageons-nous dans des œuvres et des actions qui attesteront de notre foi. Que l’Esprit Saint nous fasse enfin comprendre que la vraie grandeur consiste à offrir notre misère à Dieu, puisque celle-ci attire puissamment sur nous sa Miséricorde. Amen.

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent de Paris)
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