Homélie 26° dim. TO : Rechercher Lazare

donne au couvent de paris

Textes liturgiques (année C) : Am 6, 1a.4-7 ; Ps 145 (146) ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31

Mais qu’est-ce que nous raconte Jésus ? Quelle histoire ? Avec sa description de l’injustice et des conséquences fâcheuses après la mort, cette parabole du riche et du pauvre frôle la caricature. A la mort les rôles sont tous bonnement inversés. Sans l’avoir mérité, Lazare, dont le nom signifie « Dieu aide », se retrouve auprès d’Abraham tandis que dans la fournaise le riche en est réduit à mendier. La pauvreté conduirait-t-elle tout droit au ciel ? Et la richesse en enfer ? Rassurons-nous : il s’agit bien d’une parabole, c’est-à-dire d’une histoire inventée, souvent abracadabrante, pour que nous en cherchions le sens : elle souligne de manière énigmatique une ou plusieurs vérités importantes propres à nous interpeller et à nous faire réagir. Ce n’est pas une leçon de catéchisme : Jésus ne nous donne pas ici un enseignement sur le ciel et l’enfer.

Dans cette histoire, le riche qui souffre après la mort demande à Abraham d’envoyer Lazare pour prévenir ses frères afin qu’ils ne se comportent pas comme lui-même l’a fait. Abraham répond : « Ils ont Moise et les prophètes, qu’ils les écoutent  ». Effectivement, le prophète Amos avait été envoyé en Israël et la liturgie vient de nous faire entendre son message. Dans l’évangile et le texte d’Amos, on voit le même enfermement dans la recherche du plaisir, l’absence d’attention à tout autre personne et l’aboutissement malheureux de cette conduite. Il y a par contre une différence considérable : la parole du Seigneur transmise par le prophète n’est pas une histoire inventée comme la parabole. Elle se réfère à une situation historique précise, située dans l’espace et le temps. Nous sommes environ en 760 avant Jésus-Christ à Samarie, capitale du Royaume du Nord, après que le Royaume de David se soit divisé en deux. C’est une période de prospérité matérielle où les « affaires » vont bien, mais où tout le reste va mal : le culte rendu à Dieu est superficiel, les cérémonies sont belles mais le cœur n’y est pas, et surtout, la prospérité des riches de Samarie côtoie la misère des pauvres. De plus, ces notables jouissant de manière égoïste de leur richesse sont aveugles : ils ne voient pas, ou ne veulent pas voir, que l’empire assyrien voisin devient de plus en plus menaçant. Le mal du pays est à tous les niveaux, le plus grave étant l’oubli de la Parole de Dieu dans la loi de Moïse qui demande d’honorer Dieu en vérité et d’être attentif au pauvre avec lequel c’est un devoir de partager selon ses possibilités. Ces riches notables qui ont des responsabilités sont centrés sur eux-mêmes, ils n’écoutent ni la parole de Dieu, ni la voix des pauvres, et ne se préoccupent en rien du bien du pays. Alors Dieu leur envoie son prophète Amos, un éleveur de troupeau. Il vient de loin, de la région de Bethléem et il interpelle la « bande des vautrés » : « Malheur à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent … ils boivent… mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël. C’est pourquoi ils vont être déportés ». En effet quarante ans après la prédication d’Amos, en 721 avant Jésus, l’armée assyrienne envahit le pays, prend Samarie, la détruit, et déporte la population à commencer par les dirigeants.

Il n’est pas nécessaire d’être un notable riche et d’avoir un lit d’ivoire pour s’enfermer dans sa vie personnelle et jouir autant que possible de ce que l’on a, pas plus qu’il n’est nécessaire d’être musicien ou de pouvoir s’offrir des parfums de luxe pour ne se préoccupant que de soi-même, dans l’ignorance de ce qui se passe autour, le voisin aussi bien que les grandes questions de l’histoire du moment. Un comportement d’aveugle et de sourd. Et à supposer que l’on ouvre un peu les yeux, il est vite fait de se dire : « Je ne peux rien faire pour cet homme âgé au visage douloureux qui tend la main dans la rue ». Alors que je pourrais au moins faire attention à lui, m’approcher, essayer de rencontrer son regard avec bonté, et lui donner un signe d’amitié.

« Je ne peux rien faire devant les désastres de l’humanité, la prolifération de l’injustice et de la violence sous toutes ses formes. » La rencontre de prière qui vient d’avoir lieu à Assise s’inscrit en faux contre cette assertion facile. On peut certes être sceptique sur la portée d’un tel rassemblement par rapport à l’immensité du désastre de la division, des haines, des guerres, des manipulations des religions. Que peut faire une assemblée de prière ? Pourtant ce rassemblement d’hommes et de femmes d’horizons religieux si différents est une interpellation adressée aux croyants de toute religion, un signe concret qui manifeste que le chemin de la paix est celui du dialogue et de la prière. Il est donc à la portée de tous, selon ses moyens.

Le mal qui menaçait les notables de Samarie, le riche de la parabole et plus ou moins chacun de nous consiste en ce que le pape François à nommé « le paganisme de l’indifférence ». Rester indifférent à l’autre, proche ou lointain, indifférent aux drames de l’humanité, c’est se fermer, s’enfermer en soi, ignorer l’autre, c’est un chemin de mort.

Comment suivre le chemin de vie de l’évangile en ce domaine difficile où il nous faut tous veiller. Abraham l’a dit : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent ». Nous avons mieux encore : Jésus-Christ, sa parole vivante dans l’évangile et dans le témoignage vécu de beaucoup de chrétiens. Et cet évangile nous redit que nous n’avons jamais le droit de déclarer que nous ne pouvons rien faire. Les promesses de Jésus sont formelles : aucune prière faite de manière évangélique, avec humilité, confiance et persévérance ne peut être vaine. Dieu y répondra à sa manière. Laissons-le faire et faisons nous-mêmes ce que nous avons à faire : prier et agir, seul ou avec d’autres, pour le nécessiteux et pour la paix.

Abraham a dit encore : « Quelqu’un pourrait bien ressusciter d’entre les morts…  ». Or Jésus est bien ressuscité des morts et il nous rejoint aujourd’hui. Si nous voulons bien l’écouter, il nous parle, nous encourage, nous accompagne sur le chemin de la vie jusqu’au jour d’éternité où n’y aura plus de pleurs, plus de cris, plus de larmes. Le jour ancien fera place au jour nouveau d’éternité, dans la communion des hommes entre eux, rassemblés en Dieu.

fr. Dominique Sterckx, ocd - (Couvent de Paris)
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