Homélie 2e dim. Carême : avec Jésus sur la montagne

donnée à la basilique de Lisieux

Textes liturgiques (année C) : Gn 15, 5-12.17-18 ; Ph 3, 17. 4, 1 ; Lc 9, 28b-36

« Environ huit jours après avoir prononcé ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques » (Lc 9,28)

La liturgie a choisi d’enlever les premiers mots : « Environ huit jours après avoir prononcé ces paroles »… et pourtant, les trois évangélistes, Matthieu, Marc et Luc s’accordent pour lier l’épisode de la Transfiguration à la conversion que Jésus a eu avec ces disciples. Lors de cette conversation, Jésus, après avoir prié, les interrogea en deux temps : « Au dire des foules qui suis-je ? » (Lc 9, 18), puis « Et vous que dites-vous, pour vous qui suis-je ? » (Lc 9, 20). Pierre avait alors affirmé : « Le Christ, le Messie de Dieu » (Lc 9, 20). Alors Jésus leur avait annoncé sa Passion (Cf. Lc 9, 22) et les avait invités à prendre leur croix pour marcher à sa suite (Cf. Lc 23). C’est dans ce contexte précis que doit être lu le récit de la transfiguration. Transfiguration et Croix s’éclairent mutuellement et sont indissociables l’une de l’autre.

Les trois disciples que Jésus prend avec lui : Pierre, Jean et Jacques sont ceux qu’il emmènera à l’écart lors de la prière à Gethsémani (Cf. Mt 26, 37 ou Mc 14, 33). Ceux qui auront vu son visage flamboyant de gloire le verront ruisselant de sueur et de sang (Cf. Lc 22, 44).

« Il gravit la montagne pour prier » (Lc 9, 28).

À onze reprises au cours de son évangile, saint Luc nous montre Jésus en prière. Déjà, il avait gravit une montagne pour y prier toute la nuit, avant d’appeler les Douze (Cf. Lc 6, 12). Huit jours avant de gravir la montagne pour prier, et avant d’interroger les disciples sur ce que l’on disait de lui, Luc note : « En ce jour-là, Jésus était en prière à l’écart » (Lc 9, 18). C’est de sa prière, de son colloque filial avec le Père qu’il avait reçu les Douze ; c’est en priant devant eux qu’il les introduit dans la découverte de son « Être », dans la connaissance de son mystère de Fils…

« Pendant qu’il priait… » (Lc 9, 29).

C’est au cœur même de sa prière que l’action survint. C’est dans la relation intime avec son Père que l’Être de Jésus se révèle pleinement. Il est le « Fils bien aimé » (Lc 3, 22). L’auteur de la Lettre aux Hébreux nous dira qu’il est le « rayonnement de la gloire de Dieu » (He 1, 3). Saint Paul le nommera : « Le Seigneur de la gloire » (I Co 2, 10).

« Son visage apparut tout autre et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante » (Lc 9, 29).

La relation intime de Jésus à son Père, le rend participant de la gloire du Père. Dans l’Écriture, le vêtement blanc est le « signe » des êtres célestes. Sa prière manifeste de qu’il est : « Le Fils du Père ».

Nous le savons, frères et sœurs, la prière est l’un des piliers du temps du carême. Une triple attitude nous est proposée durant ce temps pour désencombrer notre cœur et nous préparer à recevoir la lumière de Pâques : Jeûne, Prière et Aumône. Nous l’avons réentendons lors de la célébration des Cendres. La semaine dernière nous avons vu Jésus jeûner au désert et être vainqueur des tentations. Aujourd’hui nous le voyons prier et manifester son être profond. Il nous montre le chemin, il nous entraîne à sa suite.

Comme lui, il faut que nous entrions dans un colloque filial avec le Père. Pour advenir à notre identité véritable de fils de Dieu, de filles de Dieu dans le Fils unique, il nous faut prendre le chemin de la prière. La bienheureuse Élisabeth de la Trinité nous précise : « Aimez toujours la prière, […] et quand je dis la prière, ce n’est pas tant s’imposer quantité de prières vocales à réciter chaque jour, mais c’est cette élévation de l’âme vers Dieu à travers toutes choses qui nous établit avec la Sainte Trinité en une sorte de communion continuelle, tout simplement en faisant tout sous son regard » (L 252, fin décembre 1905).

La prière, ma prière personnelle, devient le lieu de ma transfiguration parce que lorsque je prie, j’adviens à ma profonde identité de Fils et Fille de Dieu. La prière me transfigure intérieurement parce qu’elle me fait être ce que Dieu veut que je sois, elle me donne d’accomplir les promesses de mon baptême. La prière me transfigure en m’emportant dans la vie trinitaire…

« Moïse et Élie parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem » (Lc 9, 31).

Moïse et Élie, la Loi et les Prophètes, en dialogue avec Jésus qui n’est pas venu abolir, mais accomplir les Écritures. Deux témoins sont là pour attester de la vérité de l’évènement. Deux témoins choisis… Jésus est à la fois le nouveau Moïse et le nouvel Élie… Savons-nous lire les Écritures, tout particulièrement la Première Alliance pour y découvrir l’annonce des promesses qui s’accomplissent en Jésus ?

Luc est le seul des évangélistes à nous révéler la conversation qui s’échange entre Moïse, Élie et Jésus. Ils parlent de son départ, de son exode, de son passage, de sa Pâque pourrions-nous dire, manifestant à nouveau le lien très fort qui unit la scène de la transfiguration à celle de la Crucifixion Après le départ de Moïse et d’Élie, vient le Témoin suprême.

« Une nuée survint… Et de la nuée une voix se fit entendre » (Lc 9, 34-35).

Cette nuée qui viendra obscurcir la terre lors de la Crucifixion. Comme lors du baptême, la voix du Père se fait entendre. Comme au baptême, elle est réponse à la prière de Jésus.

« Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le » (Lc 9,35).

La voix du Père atteste qu’il est « son Fils », celui qu’il a choisi, qu’il a élu. Il nous invite à être à son écoute.

Simon-Pierre, l’écoutant par excellence – son nom de « Simon » a la même racine que « shema, écoute Israël », gardera le souvenir de cet épisode dans sa seconde lettre et il affirme : « Cette voix venant du ciel, nous l’avons-nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique : vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. » (2 P 1, 18-19).

« Pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul » (Lc 9, 36).

Le temps du carême, un temps pour monter sur la montagne avec Jésus, Un temps pour mieux le connaître par la méditation de l’Écriture, par l’écoute de sa Parole, par la contemplation de son Mystère. Un temps pour entrer plus profondément dans son intimité par la prière, pour le laisser nous conduire vers le Père. Dans les Constitutions des carmélites, il est écrit : « Le Christ a élevé la prière de ses disciples à la participation de son colloque filial avec le Père dans l’Esprit Saint » (Constitutions n° 62). C’est inouï et prodigieux et cela n’est pas réservé aux moniales carmélites, mais c’est vrai pour tout baptisé qui veut vivre les promesses de son baptême.

Le Carême, un temps de désencombrement, pour nous libérer du superflu, de l’inutile, pour nous centrer sur « Jésus, seul »… Un temps pour se laisser transfigurer, pour avoir le courage de suivre Jésus sur le chemin du calvaire et de la Croix et passer avec lui de ce monde au Père dans la lumière de la Résurrection. Amen.

fr. Didier-Marie de la Trinité, ocd (Couvent de Lisieux)
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