Homélie 33° dim. TO : N’ayez pas peur !

donné au couvent de Paris

Textes liturgiques (année C) : Ml 3, 19-20a ; Ps 97 (98) ; 2 Th 3, 7-12 ; Lc 21, 5-19

Connaître la fin d’un événement ou même de sa propre histoire apparaît déterminant pour au moins deux raisons. Dans un premier temps connaître la fin, c’est aussi prendre ses dispositions pour ne pas être surpris, autrement dit pour mieux assumer la réalité en elle-même. Dans un deuxième temps, la préoccupation pour la connaissance de la fin d’un événement apparaît primordiale à l’homme dans la mesure où c’est dans la fin que se relie le sens global de l’itinéraire suivi.

C’est peut-être, motivés par de telles convictions, que les disciples ne pouvaient se priver d’interroger Jésus sur la fin des temps et sur le signe qui la précédera. Face à leur inquiétude deux précisions sont apportées par Jésus : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer »  ; « Ne vous effrayez pas ». A travers la première précision Jésus attire l’attention de ses disciples sur le risque de l’égarement dans l’interprétation de la fin du monde. Dans la première lecture Saint Paul est déjà confronté à cette réalité. Certains fidèles de Thessalonique avaient déjà opté pour une attitude oisive soutenue par la ferme conviction d’une parousie imminente. «  La venue du Seigneur est proche ne travaillons plus et fixons le ciel car demain nous y serons », se disaient-ils certainement. Il est finalement difficile de classer cette catégorie de personnes dont parle ici Paul. Car, ils marchaient sur la terre sans plus la considérer comme leur mère nourricière, ils disaient attendre le ciel, mais ils vivaient peut-être dans les nuages. Face à cette attitude, le propos de Jésus déploie toute sa puissance significative : « Prenez garde de ne pas vous laissez égarer !  »

Toute l’activité de Jésus a consisté non pas à poser de façon dichotomique le ciel et la terre, mais, à montrer entre autres, que la consommation des siècles passe par une transformation progressive du monde en son état actuel. Cette conviction, Jésus l’a lui-même assumée par son engagement dans le monde. Ainsi, par l’acte de l’incarnation, il montre bien que le monde n’est pas avant tout le berceau ou le théâtre dans lequel se jouent les vicissitudes et la contingence. Le monde devient dans l’acte de l’incarnation un rendez-vous privilégié où Dieu, l’homme et la création toute entière se côtoient dans un amour, l’Amour suprême, celui du retour de toute chose en Dieu. Dans l’acte de l’incarnation, l’homme ne vit pas avant tout dans le monde comme un simple passager, mais il devient acteur d’une histoire qui s’achemine vers Dieu, par Dieu et en Dieu.

A cet effet, tous les efforts de Jésus pour insérer le laissé-pour-compte dans la société, pour guérir et visiter le malade, pour donner la vie en abondance dans une communion intime avec son Père, montrent bien qu’en lui l’avènement de la fin du monde n’est pas conciliable avec la passivité absolue. L’attente du jour dernier le conduisait déjà à un engagement pour la transformation de la réalité présente et à une dénonciation de toutes les forces qui s’opposent au reflet du rayonnement divin dans le monde. A ce titre, nous pouvons remarquer que dans la personne et l’action de Jésus se trouve résolue l’une des questions que nous posons souvent : celle de savoir à quel moment devrait-on agir en tant que croyant et à quel moment devrait-on agir tout simplement en homme de société ?

En Jésus, la foi en Dieu et en l’acheminement de l’histoire en Dieu, s’assume dans l’unité de la personne. Loin de nous tout prosélytisme, ou désir de vouloir faire de la propagande religieuse dans la société, car comme le dit le Christ, « quand vous priez vous n’avez pas besoin de rabâcher pour qu’on vous voit  ». Toutefois, force est de remarquer qu’une foi enracinée dans le Dieu d’Amour et de Miséricorde tout en s’exprimant dans le secret du Père qui sait toute chose, conduit nécessairement à un engagement qui transforme et transfigure l’histoire. Cette transfiguration du monde en Dieu n’est possible que si nous apprenons à ne pas nous « effrayer  » : « Ne vous effrayez pas  », nous dit Jésus. Cette affirmation de Jésus assumée par le saint pape Jean Paul II au milieu de toutes les difficultés qu’il avait traversées dans sa jeunesse le conduisait à ouvrir son pontificat par cette phrase devenue célèbre : «  N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ, à sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des États, des systèmes politiques et économiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation et du développement. »

Effectivement, ne pas avoir peur, c’est accepter d’ouvrir toutes les portes de la vie humaine à Dieu en qui converge notre histoire. Mais comment ne pas avoir peur quand tous ces domaines de la vie dont parle Jean Paul II sont confrontés à de graves crises ? Comment au milieu de ces malheurs, affirmer encore que l’histoire trouve son sens en Dieu ? C’est encore face à ces interrogations que le propos de Jésus : « Ne soyez pas effrayés », déploie sa puissance significative. L’affirmation de Jésus n’a pas seulement pour but de dissiper un simple sentiment de peur en l’homme ; elle veut surtout appeler l’homme d’aujourd’hui à l’espérance. Accablés, par les malheurs actuels, la tentation est soit de vivre dans un dégoût du monde, soit de vivre dans un activisme sans foi ni espérance, soit encore de vivre dans l’illusion passive selon laquelle l’avenir les choses iront mieux. L’espérance vécue par Jésus est loin de tout cela. C’est une espérance qui ne voit pas seulement que l’ivraie, mais elle est aussi consciente de la bonne graine qui est semée à chaque point de l’univers. C’est une espérance qui ne nie pas la réalité présente, mais toute en assumant l’expérience du passé, elle travaille dans le calme, comme dit saint Paul, en ayant les yeux fixés sur celui qui est la fin ultime de toute chose.

Avoir les yeux fixés sur Dieu, c’est déjà prendre conscience de sa présence réelle dans l’aujourd’hui de l’humanité. Comme le dit le Christ, « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ! » C’est en cette affirmation que réside le sommet de l’espérance chrétienne : prendre conscience de la présence de Dieu au cœur des angoisses et des joies de notre histoire et de notre « maison commune ». Porter cette espérance selon laquelle l’histoire à un sens et que nous sommes tous appelés dans l’amour et la vérité à travailler dans notre monde et pour un monde juste, ne va pas sans difficultés. C’est à ce niveau que l’homme d’espérance est invité par Jésus à assumer la persévérance qui donne la vie et à s’ouvrir à la sagesse de Dieu. Il s’agira pour lui, dans un cœur à cœur avec Dieu, de se mettre à l’écoute de l’Esprit pacificateur du Christ, qui en chaque circonstance particulière inspire ceux qui l’invoque selon le projet universel de Dieu.

fr. Elisé Alloko - (Couvent de Paris)
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