Homélie 3° dim. de Pâques : un air de déjà-vu

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques du 3e dimanche de Pâques (année C) : Ac 5, 27-32.40-41 ; Ps 29 ; Ap 5,11-14 ; Jn 21, 1-19

Elle est étrange cette scène de pêche, avec son air de déjà-vu… On a comme l’impression que la vie des pêcheurs de Tibériade s’achève dans l’évangile exactement comme elle avait commencé : l’échec d’une nuit de pêche sans aucun poisson ; l’interpellation de Jésus qui invite à oser jeter les filets de nouveau ; la surprise devant la quantité de poissons ; l’appel à suivre le Christ pour devenir pêcheur d’homme ou cette fois-ci pasteur des brebis. Serait-ce que la vie est au fond un éternel recommencement avec ses cycles qui se jouent de notre prétendue liberté ? Mais que s’est-t-il donc passé entre la 1re pêche miraculeuse racontée par saint Luc au chapitre 5e de son évangile au tout début de la vie publique de Jésus de Nazareth et cette 2de pêche organisée par le Ressuscité et qui clôt l’évangile de saint Jean ? Trois ans se sont écoulés pour ceux qui ont accepté de mettre leurs pas dans ceux de Jésus : trois ans d’émerveillement devant la grandeur du maître, trois ans de difficultés pour comprendre son enseignement et ses manières de faire, trois ans de risques en suivant ce rabbi marginal. Et il y eut la traversée de la grande épreuve de la Passion et de la mort ; l’expérience de la débandade, du reniement, de la honte. Enfin l’advenue du Ressuscité montrant ses plaies a apporté aux Onze le pardon avec l’Esprit Saint répandu sur eux en un souffle.

Mais quoi donc de neuf ? Cet épisode est-il simplement un souvenir nostalgique rappelé par Jésus avant de quitter les siens ? Souvenez-vous du bon vieux temps… Ce n’est pas le genre de Celui qui fait toute chose nouvelle… Non, il s’agit ici d’un renouvellement solennel de leur appel initial. Le Ressuscité vient chercher les apôtres au lieu même de leur premier « oui », à l’instant de la rencontre inaugurale qui a bouleversé leur existence au point de tout quitter. « Ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent. » (Lc 5,11) Le Christ restaure la liberté première des apôtres qui a été abîmée dans l’expérience de la trahison ; il les rend capables, par le don de l’Esprit régénérateur de choisir de nouveau Jésus comme leur Seigneur. Ils sont appelés « les enfants » par Jésus car ils sont désormais de vrais fils de son Père, lavés de leurs fautes et capables de répondre un nouveau « oui » à leur appel premier, avec la simplicité d’un enfant.

Le chemin de Pierre est à cet égard exemplaire. Pierre savait déjà lors de son 1er appel qui il était et devant le miracle, il s’était écrié «  éloigne-toi de moi Seigneur car je suis un homme pécheur. » (Lc 5,8) Il se savait pécheur certes mais peut-être pas au point de renier Celui pour qui il avait tout quitté. Il s’était dit prêt à donner sa vie pour lui. En vain. Sa nudité dans la barque ne serait-elle pas un écho de la nudité d’Adam vécue comme une honte après sa faute ? Certes Pierre a été pardonné par Jésus comme l’ont été les autres mais peut-être que la blessure n’était pas encore cicatrisée. « Où es-tu Pierre ? » pourrait demander Jésus, comme le fit le Seigneur à Adam dans le premier jardin ?

La restauration de la liberté de Pierre va passer par ce dialogue intime avec Jésus. Un dialogue réparateur qui guérit par un « je t’aime » le « je ne le connais pas. » Car en effet Pierre ne connaissait pas encore vraiment qui était Jésus, que son être le plus profond était son amour miséricordieux. Répondre, « je t’aime », c’est dire « oui, Seigneur, je t’aime parce que maintenant je te connais, j’ai percé ton cœur, j’ai accueilli dans mon cœur ton salut. » Mais Pierre va plus loin : désormais, il ne s’appuie plus sur son propre savoir, avec la présomption qui l’a tant trompée. « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Pierre s’appuie sur le savoir de Jésus. Il ne cherche plus à prouver sa vaillance à son Maître. Il se tient humblement à ses côtés. Et « Jésus lui dit : ‘Sois le berger de mes brebis.’ »

Pierre est désormais prêt pour entendre à nouveau le « suis-moi » fondateur de Jésus. Mais pourtant désormais tout est différent. Jésus ne sera plus là de la même manière : il ne pourra plus aisément mettre ses pas dans les siens de façon machinale. Il devra apprendre à discerner ses chemins : avant Pierre le généreux allait un peu là où il voulait, selon son impulsivité ; maintenant, Pierre le pécheur pardonné va apprendre à se laisser conduire par la force de l’Esprit Saint. La 1re lecture en offre un cas éloquent : courage, liberté de parole et joyeuse fierté de vivre les persécutions pour Jésus. Pierre ne conduira plus sa vie ; il laissera l’Esprit d’amour lui indiquer les voies du Seigneur et le conduire là où il ne sait pas encore, probablement là où il n’avait pas prévu d’aller, certainement là où il ne voulait surtout pas aller. Tel est donc le nouvel appel de Pierre et celui des autres apôtres : un appel qui vient chercher la fraîcheur des premiers instants, la sincérité du premier ‘oui’ et qui en même temps assume le chemin de conversion déjà parcouru. Suivre le ressuscité suppose d’avoir traversé avec lui le mystère pascal.

Quelles sont donc nos propres scènes de pêche fondatrices ? Où est donc le lieu où aujourd’hui le Seigneur vient me chercher pour m’appeler à me laisser conduire par son Esprit comme au premier jour, mais avec plus de docilité et d’humilité ? Comment le Ressuscité vient-il guérir mes hontes encore inavouées, celles que j’hésite encore à exposer à sa lumière et qui paralysent ma marche à sa suite ? A chacun, chacune d’entre nous, Jésus a une mission particulière à nous confier, une tâche spécifique à mener à bien pour tout son corps. Laissons-le donc venir à nous, nous demander « m’aimes-tu vraiment ? » et entendre les mots uniques qu’il murmurera à l’oreille de nos cœurs. « Suis-moi »

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent de Paris)
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