Homélie 4e dim. Avent (B) : Dieu nous déroute…

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques : 2 S 7,1-16 ; Ps 88 ; Rm 16, 25-27 ; Lc 1, 26-38« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas  » : cet avertissement de Jean le Baptiste dimanche dernier nous a mis en alerte. Préparons-nous à être surpris par la venue de Dieu. Nous avons beau l’avoir préparée cette venue, nous avons beau penser que nous connaissons le Seigneur, nous serons nécessairement déroutés par les manières divines ! Car Dieu s’invite là où nous ne l’attendions pas.

La 1re lecture évoque bien cette déroute de David. Il exprime sa gêne devant le confort de sa maison de cèdre face à la pauvreté de l’abri de toile où repose l’arche d’alliance. Cette gêne est l’expression de la droiture de cœur de David devant Dieu. Elle diffère bien du besoin religieux païen de construire un temple à ses dieux pour bénéficier de la faveur divine. Elle atteste de la relation personnelle de David avec le Dieu d’Israël. Si le prophète Natan approuve alors le désir du roi « Tout ce que tu as l’intention de faire, fais-le, car le Seigneur est avec toi  », il n’en est pas de même de l’Intéressé. Dieu rappelle à David que Lui seul est capable de bâtir une demeure digne de sa gloire : « Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ?  » Pourtant Salomon construira effectivement le Temple. Pourtant le Temple sera une nouvelle fois rebâti après l’exil à Babylone. Mais de nouveau le Seigneur avertira son peuple : « Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, et quel pourrait être le lieu de mon repos, quand tout cela, c’est ma main qui l’a fait, quand tout cela est à moi, oracle du SEIGNEUR ! » (Is 66,1-2). Si Dieu est notre créateur, il est le premier bâtisseur ; et sa première demeure est la création tout entière. Oublier cela et prétendre construire la maison de Dieu sans être certain que là est Sa volonté est hautement périlleux. Le psaume 126 nous le dit : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain. »

Faut-il donc réprimer nos désirs d’honorer le Seigneur ? Ce n’est pas la manière divine de faire. Dieu n’oppose pas une simple fin de non-recevoir à David. Il retourne la proposition de son serviteur, manière de convertir son désir plutôt que de l’anéantir. Si Dieu est le vrai bâtisseur, c’est Lui-même qui bâtira une maison nouvelle : ce ne sera pas une demeure de pierre, mais une descendance avec qui il fera alliance. Le Seigneur reprend ainsi l’initiative de David pour l’inverser et dévoiler son projet d’amour sur l’humanité. La demeure qu’il souhaite, le lieu où il veut habiter, c’est dans l’humanité même. Si cela n’apparaît pas encore clairement dans ce texte, nous savons que c’est la venue de Dieu dans la chair, le mystère de l’Incarnation qui accomplira cette promesse. Dieu s’est choisi lui-même une demeure, une nouvelle arche d’alliance, un nouveau trône de David : une vierge d’Israël du nom de Marie de Nazareth.

Surprenant choix de Dieu : et Marie est en effet toute bouleversée par les premières paroles de l’ange. Le Seigneur est avec elle comme il était avec David. Mais elle est surtout la « Comblée de grâces », la demeure que Dieu s’est choisie et qu’il a créée en sa parfaite image de grâce. Le bâtisseur a enfin établi une demeure digne de lui, une fille de Sion capable de donner un visage au Messie : par son ‘oui’, Marie devient celle qui devait enfanter le fils de David, le Messie dont le règne sera éternel. Voilà la demeure que Dieu annonçait déjà à David : par Marie, Dieu est venu faire sa demeure parmi nous, planter de nouveau sa tente au milieu de l’humanité.

A quelques jours de Noël, nous sommes invités à tourner notre regard vers Marie. Non pas pour contempler une scène du passé ou un évènement étranger. Mais pour apprendre comment faire  ! Car si Marie est la demeure de Dieu par excellence, ce qui est dit de Marie a toujours valeur pour l’Eglise et pour chacun des croyants. La demeure que Dieu vient habiter par son Fils, c’est notre cœur. Nous sommes appelés à devenir à notre tour des arches, des trônes divins. Bien sûr, cela peut nous troubler. Mieux, cela devrait nous bouleverser comme Marie en a été bouleversée. Comment, nous ? Comment, moi, pauvre pécheur ? Eh bien oui ! Sainte Thérèse d’Avila l’affirme avec force : « Nous avons au-dedans de nous un palais d’un prix inestimable, tout bâti d’or et de pierres précieuses, digne du Maître auquel il appartient. (…) Songez que dans ce palais réside ce grand Roi qui a bien voulu se faire votre Père, et qu’il est assis sur un trône fort riche, qui n’est autre que votre cœur.  » (Chemin de perfection Ms.V, chap. 28, § 1-11) La promesse faite à David court jusqu’à nous !

Dieu s’invite là où nous ne l’attendions pas. Vous étiez prévenus : la venue de Dieu est toujours déroutante. Mais justement tout l’enjeu pour nous est de nous laisser dérouter, de changer de route, changer de direction. Car désormais, la parole est à nous. Marie, après son trouble et après ce dialogue de vérité avec l’ange, a dit ‘oui’. Et nous, que ferons-nous ? Que dirons-nous ? Allons-nous faire obstacle à l’action de Dieu par notre manque de foi dans sa puissance ? Sainte Thérèse nous interpellerait ici : « Quant à moi, je sais très bien que quiconque n’en est pas convaincu n’en fera jamais l’expérience, car Dieu aime extrêmement que l’on ne pose pas de limites à ses œuvres.  » (1D 1,4)

Que la Vierge Marie intercède pour nous afin que nous n’ayons pas peur d’accueillir le Seigneur dans la nuit de Noël. Afin que nous nous laissions dérouter avec confiance par les manières de Celui dont nous savons qu’Il nous aime. Amen.

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau ocd (Couvent de Paris)
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