Homélie 5° dim. TO : le piège de la Parole de Jésus

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année C) : Is 6,1-8 ; Ps 137 ; 1 Co 15,1-11 ; Lc 5,1-11

Peut-être avez-vous entendu raconter cet épisode de la fondation d’Emmaüs par l’Abbé Pierre. Celui-ci reçoit un appel téléphonique désespéré, un homme lui disant qu’il voulait se suicider. L’abbé Pierre lui dit aussitôt qu’il avait besoin d’un coup de main pour déménager des meubles. L’homme obéit et son engagement à Emmaüs le sauva de ses envies suicidaires. Ce n’est pas là une recette pour soigner la dépression. Si nous voulions l’appliquer ainsi, nous ferions fausse route et nous pourrions engager des personnes dans une impasse en leur faisant fuir leurs problèmes. Qu’est-ce qui a pu faire de cette parole autoritaire de l’Abbé Pierre une parole de salut, sinon l’adéquation complète entre sa vie et sa parole ?

Cet homme arrivé à Emmaüs a certes déménagé des meubles, mais il l’a fait en compagnie de l’Abbé qui n’était pas le dernier à retrousser ses manches. Tel est le sens de toute parole authentique, d’une parole qui exprime la vérité de la personne et non pas simplement sa fonction sociale ou son jeu politique. Telle est la force unique de la Parole de Jésus. Luc déclare au début de la scène au bord du lac que la foule se pressait autour de lui pour écouter la Parole de Dieu. Affirmation étonnante. Jésus n’est pas en train de leur lire la Torah ou l’un des écrits prophétiques. Il enseigne, il parle de Dieu certes, de son Règne, des promesses faites à Israël et de leur accomplissement tout proche, mais il n’en parle pas de l’extérieur, au nom de quelqu’un d’autre. Il en parle à partir de lui-même, car il est tout entier engagé dans la venue de ce Règne. Il est en personne le Règne de Dieu, la Parole qui fait vivre.

Pourtant tous ne sont pas là suspendus à ses lèvres. Quatre hommes fatigués par une nuit de pêche infructueuse se tiennent à distance et lavent leurs filets. Ils s’en moquent de la Parole de Jésus, mais celui-ci les voit alors qu’il n’avait pas été dit qu’il voyait la foule. Il voit ces pécheurs occupés à nettoyer des filets qui n’ont ramené que de quoi les salir. Jésus monte dans leur barque et ordonne à l’un d’eux, Simon, de le conduire à distance du rivage. Les voilà non seulement interrompus dans leur travail, mais comme pris au piège et obligés d’écouter Jésus. Et c’est un véritable piège, car il n’est pas facile d’échapper à la Parole quand elle vous a ainsi rejoint. Ils croyaient que Jésus allait se contenter de ce petit service, mais ils n’étaient pas au bout de leur surprise…

S’adressant de nouveau à Simon, il lui demande de recommencer en plein jour une pêche qui n’a rien donné à l’heure favorable de la nuit. Simon fait bien une objection timide, mais « sur ta parole, dit-il, je vais jeter les filets. » Oui, cette Parole de Jésus est bien Parole de Dieu : elle reconnaît l’homme découragé ; elle l’appelle ; elle le remet en situation de responsabilité au lieu même de son échec et lui donne d’éprouver la fécondité étonnante de l’obéissance à la Parole qui appelle. C’est tellement saisissant que Simon-Pierre éprouve ses limites, son indignité devant un tel don. Il est, comme ces filets trop remplis de poissons, prêts à se déchirer sous l’effet de la grâce. Mais la Parole d’autorité de Jésus lui ordonne ne pas avoir peur de sa faiblesse. Elle est promesse d’avenir : « tu seras pécheur d’homme » Pierre devra faire certes l’expérience pour cela d’être lui-même repêché par Jésus lorsqu’il doutera dans la tempête de la Passion et reniera son Maître. Il faudra la rencontre du ressuscité, de celui qui nous sauve parce qu’il s’est retroussé les manches jusqu’à mourir en croix.

Sa Parole de vivant est crédible et apporte le salut à tous ceux et celles qui vivent encore dans le non-sens d’une vie vide de la Parole de Dieu. Cette parole rejoint chacun aujourd’hui dans sa tâche quotidienne, dans sa responsabilité humaine, dans ses limites mêmes, voire ses échecs et son découragement. La Parole nous fait sortir du souci de nos réussites humaines pour ouvrir notre regard sur la multitude en quête d’espérance : avance en eau profonde, va plus loin que tes déceptions, écoute la Parole qui donne à tes taches humaines un sens nouveau, une mission, une responsabilité dans l’œuvre du salut. La Parole est salut car elle nous décentre de nous-mêmes pour nous mettre à la suite de Jésus, au service du Règne. Paul en témoigne et c’est la foi de l’Église : Christ est ressuscité ! Cette Parole, c’est l’aujourd’hui de Dieu, vivant avec nous au sein de nos limites. Elle nous ordonne de suivre en Jésus la Parole qui fait vivre.

fr. Olivier Rousseau, ocd (Couvent de Paris)
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