Homélie 5° dim. de Pâques : la gloire de l’amour

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques du 5e dimanche de Pâques (année C) : Ac 14, 21-27 ; Ps 144 ; Ap 21,1-5 ; Jn 13, 31-35

La gloire ! Qu’est-ce que ce mot évoque pour nous ? Dans les sociétés anciennes, la gloire coïncidait avec l’honneur. Il fallait tout sacrifier à sa défense comme en témoigne le théâtre de Corneille : «  Il y va de ma gloire, il faut que je me venge. » déclare Chimène dans le Cid (I,6) Et Honorie dans Attila : «  Pour peu que vous m’aimiez Seigneur, vous devez croire, Que rien ne m’est sensible à l’égal de ma gloire. » (II,2) La dramaturgie cornélienne est fondée sur cette quête de la gloire. Aujourd’hui, la gloire se trouve sur le podium des jeux olympiques, sur le tapis rouge du festival de Cannes ou moyennant des centaines d’amis sur facebook. La renommée tient ici à une réussite qui fait l’admiration de tous.

Jésus, quant à lui, déclare avoir une gloire, qui ne vient pas des hommes, mais de son Père. Cette gloire, il ne l’a pas conquise, mais il la reçoit comme un don à l’intime de son être filial. Lorsqu’il lave les pieds de ses disciples, puis ordonne à Judas de faire ce qu’il a à faire, c’est l’amour du Père, qui l’entraîne au don de lui-même. La gloire de Dieu n’est autre que son amour, sa capacité à se donner, à se communiquer à qui lui ouvre son cœur. Cette gloire toute intérieure investit pleinement l’être de Jésus à l’Heure de sa Passion et lui donne le courage de traverser l’épreuve.

Après un moment de trouble profond, Jésus s’est vu saisi par l’amour du Père : « « Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » (Jn 12,27s) Le Père glorifie Jésus en lui donnant de nous aimer jusqu’à la fin de l’amour même dont il aime son Fils. A son tour, Jésus glorifie le Père en révélant à ses disciples son mystère : « Dieu est amour. » Cette gloire n’a pas pourtant d’autre visibilité que l’échec de la Croix. La Résurrection elle-même reste invisible. Seule la foi en Jésus permet d’entrer dans son mystère et d’accueillir en son propre cœur le Seigneur glorifié.

La gloire de Dieu, c’est le don qu’il fait de lui-même en son Fils pour faire surgir en ce monde la nouveauté de l’amour. Aussi est-ce à ce moment-là que Jésus donne le commandement absolument nouveau : « Je vous donne un commandement nouveau : de l’amour dont je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Il ne s’agit pas ici d’imiter extérieurement Jésus, mais d’éprouver l’amour même dont Jésus nous aime pour nous laisser guider par cet amour dans la relation à notre prochain.

Cet amour nouveau que Jésus nous commande ne saurait en effet avoir d’autre fondement que l’amour de Jésus lui-même perçu au-dedans de soi comme gloire de Dieu. Cette gloire se trouve non pas sur les podiums ou dans les médias, mais dans la prière. Croire en la mort et en la résurrection de Jésus, c’est percevoir en notre cœur cette gloire divine de l’amour dont nous sommes aimés. Il ne s’agit pas ici d’extase, de feu venu du ciel ou de grand vent de tempête, mais d’une intuition profonde de ce que l’amour de Dieu en nous est infini, inconditionnel et à jamais donné. C’est une source vive, qui jaillit en notre cœur par la foi en Jésus mort et ressuscité pour nous.

L’obéissance au commandement nouveau de l’amour est le fruit de la présence aimante de Dieu en nous. Sa gloire est perçue à travers l’intuition de ce que nous sommes habités par l’amour inconditionnel du Christ. Cette gloire de Dieu ne conduit pas à la réussite ou au triomphe, mais à traverser l’épreuve avec Jésus, présent en notre cœur. Sa plénitude de vie et d’amour s’éprouve intérieurement dans le courage de la fidélité au sein de l’obscur quotidien ou dans la capacité à garder confiance au sein de la souffrance. La gloire de Dieu se vit ainsi dans le concret d’une mission reçue comme un gage de l’amour et de la confiance de Dieu.

Cette intuition de la gloire brise nos repliements sur nous-mêmes. Elle nous libère de nos peurs. Elle nous ouvre à la compassion envers autrui. Elle nous donne de poser des actes d’humilité, de miséricorde et de service. L’obéissance au commandement de Jésus se vit alors avec le sentiment de n’avoir rien fait d’autre que d’accueillir son amour. Notre gloire, c’est d’être déjà par grâce introduit ainsi dans la communion des Saints, cette Jérusalem céleste en laquelle Dieu réalise invisiblement sa demeure parmi les hommes.

fr. Olivier-Marie Rousseau, ocd (Couvent de Paris)
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