Homélie Epiphanie : les premiers des multitudes

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques de l’Épiphanie : Is 60,1-6 ; Ps 71 ; Ep 3,2-6 ; Mt 2, 1-12

Qu’il est grand le décalage entre la vision du prophète exposée dans la première lecture et ce que donne à voir le texte de cet évangile ! Le prophète interpelle Jérusalem, la ville humiliée par les puissants de ce monde, à la suite des déportations de ses habitants. Il la somme de se redresser. Car la lumière du Seigneur se lève sur elle au petit matin, et les nations qui sont encore dans l’obscurité se dirigeront vers elle, à la clarté de son aurore. Les rois de la terre viendront lui apporter leurs présents. Alors, Jérusalem, sera radieuse et son cœur frémira de joie.

Au regard de ce texte la réalisation de la prophétie telle que la donne à voir l’évangéliste Matthieu est minable. Les étrangers venus d’Orient ne sont pas des rois mais des païens, des inconnus, des mages, entendons par là, sans doute des astrologues, attachés à observer les astres et à reconnaitre la signification de leur mouvement dans le ciel. Ils disent « avoir vu l’étoile du roi des juifs qui vient de naître ». A cette époque, en orient il est classique de considérer qu’une étoile nouvelle accompagne la naissance d’un personnage important. La vue de cette étoile les a mis en mouvement. Pourquoi vers Jérusalem ? Peut-être ces mages ont-ils quelque connaissance des textes du messianisme juif, surtout s’ils viennent de Babylone où le peuple d’Israël était resté longtemps en exil. Éveillés, attentifs, ils sont partis, en faisant confiance car le texte de l’évangile laisse entendre que l’étoile ne les a pas accompagnés durant leur route.

Arrivés à Jérusalem, ils ont questionné «  Ou est le roi des juifs qui vient de naître ? » Ils désignent le « roi », le chef du peuple et non le messie. Il est question à leurs yeux de celui qui a le pouvoir sur Israël. C’est précisément la question qui inquiète Hérode. Craignant pour son autorité, il est alors bouleversé et cherche le moyen d’écarter tout rival. Les habitants de Jérusalem ont aussi été informés de la naissance du nouveau roi mais ils n’ont pas estimé nécessaire de se déplacer jusqu’à Bethléem, à 7 km de la ville. Il en est de même dans la petite ville à Bethléem où il ne semble pas que la naissance de Jésus ait trouvé quelque écho. Après avoir appris que Bethléem était le lieu de la naissance, les mages repartent, guidés cette fois par l’étoile qui réapparait et les conduit jusqu’à l’endroit où se trouvait l’enfant. Ils éprouvent alors une très grande joie. Ils entrent dans la maison, se prosternent et offrent leurs cadeaux manifestant ainsi leur soumission à l’enfant roi auquel ils rendent hommage. Ceci fait, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnent leur pays définitivement ; on ne reparlera plus d’eux dans l’évangile. L’évènement est passé inaperçu, sauf d’Hérode.

Ainsi pouvons-nous mesurer l’écart entre la lumineuse vision d’Isaïe et les faits décrits par Matthieu. Paradoxalement, ces derniers ont pourtant une grande importance aux yeux de l’évangéliste : ils sont pour lui la première réalisation de l’évènement qui devait marquer à jamais l’histoire du salut et qui a été entrevu par le prophète Isaïe. Ils représentent un commencement. Les mages venus d’Orient ne sont pas les derniers, mais les premiers des multitudes qui, à travers toutes les époques de l’histoire, savent reconnaître le message de l’étoile, de leur étoile selon leur culture. Ils s’orientent à leur manière vers le Jésus promis aux hommes et marchent sur les routes indiquées par l’Ecriture Sainte. C’est ainsi qu’ils savent trouver Celui qui en apparence est faible et fragile, mais, en revanche, a le pouvoir de donner la joie la plus grande et la plus profonde au cœur de l’homme. En Lui, en effet, se manifeste la réalité merveilleuse que Dieu nous connaît et est proche de nous, que sa grandeur et sa puissance ne s’expriment pas dans la logique des puissants de ce monde, comme Hérode, mais dans la logique d’un enfant sans défense, dont la seule force est celle de l’amour qui se confie à nous.

Les mages ont apporté de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Selon la mentalité de l’époque en Orient, ces dons représentent la reconnaissance d’une personne comme Dieu et Roi et un acte de soumission. A partir de ce moment, les donateurs appartiennent au souverain et reconnaissent son autorité. Désormais, les Mages ne peuvent plus retourner chez Hérode. Ils ont été conduits pour toujours sur la route de l’Enfant, celle qui leur fera négliger les grands et les puissants de ce monde et les conduira à Celui qui nous attend parmi les pauvres, la route de l’amour qui seule peut transformer le monde.

Sur le chemin de l’histoire, il y a toujours des personnes qui sont illuminées par la lumière de l’étoile, qui trouvent la route et parviennent jusqu’à Lui dans la joie. Toutes vivent, chacune à sa façon, l’expérience même des Mages. Que tout cela est dilatant et réjouissant ! Toutefois, à notre époque, nous ne pouvons pas échapper à une dernière question. Même si les quelques personnes de Bethléem sont devenues nombreuses, les croyants en Jésus Christ semblent toujours être peu nombreux. Beaucoup de personnes ont vu l’étoile, mais seules quelques unes en ont compris le message. Les experts de l’Écriture de l’époque de Jésus connaissaient parfaitement la Parole de Dieu. Ils étaient en mesure de dire ce qu’on pouvait trouver dans celle-ci à propos du lieu où le Messie devait naître, mais, ils n’ont pas bougé.

Nous nous demandons alors : quelle est la raison pour laquelle certains voient et trouvent et d’autres pas ? Qu’est-ce qui ouvre les yeux et le cœur ? Qu’est-ce qui manque à ceux qui sont indifférents, à ceux qui indiquent la route mais ne bougent pas ? On peut penser : trop d’assurance en eux-mêmes et le fait d’avoir déjà formulé un jugement définitif sur les choses ont rendu leurs cœurs fermés et insensibles à la nouveauté de Dieu. Ils ne se laissent plus bouleverser au plus profond d’eux-mêmes par l’aventure d’un Dieu qui veut les rencontrer. Ils placent leur confiance davantage en eux-mêmes qu’en Lui et ne considèrent pas possible que Dieu soit grand au point de pouvoir se faire tout petit, de pouvoir vraiment s’approcher de nous. Autrement dit, « ce qui manque, c’est l’humilité authentique, qui sait se soumettre à ce qui est plus grand, mais également le courage authentique, qui conduit à croire à ce qui est vraiment grand, même si cela se manifeste dans un Enfant sans défense. Il manque la capacité évangélique d’être des enfants dans son cœur, de s’émerveiller, et de sortir de soi pour se mettre en route sur le chemin que l’étoile indique, le chemin de Dieu. Mais le Seigneur a le pouvoir de nous rendre capables de voir et de nous sauver. Nous voulons alors Lui demander de nous donner un cœur sage et innocent, qui nous permette de voir l’étoile de sa miséricorde, de nous mettre en route sur son chemin, pour le trouver et être inondés par la grande lumière et par la joie véritable qu’il a apportée dans ce monde. » (Benoît XVI)

fr. Dominique Sterckx, ocd (Couvent de Paris)
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