Homélie d’Avon : 1er Dimanche de l’Avent

Avent, avènement, attente, le temps liturgique de l’Avent est attente de l’avènement du Fils de l’homme. Notre préparation à Noël, frères et sœurs, est ainsi placée sous le signe de l’attente, une attente singulière. Synonyme de vigilance active, elle nous oriente vers l’imprévisible, l’inouï, l’inimaginable, car telle est l’espérance chrétienne : Christ viendra dans sa gloire. Ainsi, au cœur de l’Evangile de ce dimanche retentit un appel à la vigilance. La venue du Fils de l’homme sera inattendue, parfaitement surprenante. Espérer cet événement final, c’est demeurer vigilant dans la foi. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Comment orienter notre désir profond vers ce qui le dépasse, vers ce qui excède tout désir humain ?

Dans un monde tourmenté par des évolutions sociales et technologiques rapides où les laissés pour compte de la croissance sont nombreux, le désir spontané est celui de la sécurité, assurance d’un emploi, accès au logement, à l’éducation, aux soins. Tout cela est essentiel. L’attente chrétienne est engagement à le promouvoir et pourtant son regard porte au-delà de la seule réussite de l’organisation sociale. Elle n’est pas à confondre par exemple avec la vertu humaine de prévoyance. Celle-ci est nécessaire surtout dans notre société actuelle si riche en possibilités, mais aussi si complexe. Toute personne en responsabilité le sait. Il faut prévoir son budget, son planning, son travail comme ses loisirs. Au milieu d’une multitude de sollicitations, de propositions, d’activités possibles, il faut faire des choix, gérer son temps et son argent, anticiper les problèmes. Prévoir, anticiper sont devenus des maîtres mots de la société marchande. Celles et ceux qui ne parviennent pas à répondre à ces exigences se voient relégués et parfois exclus de la vie sociale. Prévoir est certes important, mais la volonté de tout maîtriser peut devenir néfaste et finalement rendre sourd à l’essentiel, à l’attente de ce qui dépasse toute prévision humaine.

« A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme. »

Les premiers chrétiens attendaient ainsi une manifestation de la Gloire accompagnée d’un spectaculaire bouleversement cosmique. Jésus annonçait aussi cette apothéose finale, mais il en discernait déjà les prémisses dans la germination de la graine ou la fermentation du levain. Qu’en est-il pour nous aujourd’hui ? Devons-nous vivre dans l’attente d’une rupture décisive avec le monde présent où être attentifs à une transformation déjà commencée ? En quoi consiste donc notre attente de la gloire à venir ? Notre monde contemporain nous confronte déjà de multiples manières à l’irruption de la nouveauté à travers la prodigieuse accélération de l’histoire humaine. Pensons à l’effondrement spectaculaire des idéologies du XXe siècle, à l’accroissement impressionnant des performances techniques, aux progrès de la mondialisation économique ou culturelle, à la rapidité des évolutions climatiques … Des réalités nouvelles ne cessent d’émerger et pourtant, rien de tout cela ne permet de saisir en quoi consiste la venue du Fils de l’homme. De plus, l’attente évangélique ne consiste pas à imaginer ce qui doit advenir. Elle est disposition à accueillir une nouveauté imprévisible, défiant toute représentation.

En fait le plus important pour nous aujourd’hui, c’est la manière dont nous devons assumer cette attente. Celle-ci demande de notre part de vivre tout à la fois un engagement radical et un renoncement à toute mainmise quant au résultat de notre action. L’attente est engagement parce que la préparation du Règne de Dieu exige un investissement de tout notre être. Mais l’attente est aussi pure confiance, car la venue de ce Règne ne dépend en rien de notre action. C’est l’œuvre de Dieu seul et à ce titre, la venue du monde nouveau est pure miséricorde. Pourtant c’est une offre d’amour faite à notre liberté et à ce titre son exigence est sans limite. La vigilance chrétienne est tout à la fois confiance en l’absolue gratuité du don de Dieu et conscience du sérieux de notre responsabilité au regard de ses promesses. Une telle attente est donc réelle dans la mesure où elle est agissante. Elle nous rend solidaires de l’humanité en quête de sa délivrance. Elle engage notre responsabilité personnelle et devient concrète comme attente de l’heure, de notre heure, celle de la décision qu’un événement appelle, qu’une situation provoque. L’attente est aspiration à ce moment décisif où l’amour de Dieu donne sens à l’existence dans le dépassement de soi et le risque consenti. Cette vigilance est donc tout à la fois éveil du désir, audace dans la confiance, abandon dans la prière, mais aussi disponibilité attentive à servir la justice du Royaume. « C’est le moment, déclare Saint Paul de sortir de notre sommeil. » La parole de Dieu réveille en nous ainsi une espérance dynamique. Elle incite à se dépouiller de l’accessoire afin de mieux accueillir le Règne. Attendre, c’est croire à ce qui n’est pas encore, mais surviendra sûrement. C’est tendre vers ce qui est nouveau, sans précédent, car Dieu vient faire toutes choses nouvelles.

Pour nous éveiller à une telle vigilance, Jésus s’identifie étrangement à un voleur venu forcer notre maison. Oui, peut-être arrivons-nous à bien organiser notre vie, à être prévoyants dans l’exercice de nos responsabilités, mais quelle place faisons-nous à l’imprévisible ? Lorsque l’homme exerce sa maîtrise, tout ce qui vient renverser ses plans est perçu comme une intrusion. Cela est déjà vrai des simples contrariétés ou épreuves de la vie. A combien plus forte raison cela le sera-t-il lorsque la gloire de Dieu submergera l’univers mieux que les eaux du déluge ? Cet évènement final, inimaginable, dépasse les descriptions symboliques qu’en donne l’Ecriture. Echappant à toute compréhension humaine, il est également parfaitement imprévisible au point que l’évangile semble recommander une vigilance inutile : « Le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne soupçonnez pas. » Oui la vigilance ne nous aidera en rien à prévoir le Jour et l’Heure, mais elle nous donne de vivre le présent avec un cœur ouvert à la nouveauté de Dieu et en cela, non seulement elle n’est pas inutile, mais elle est essentielle.

La vigilance espère tout et croit tout. Fruit de la confiance en un Dieu plus grand que nos projets humains, elle accepte l’imprévisible comme marque de la liberté et de l’amour. Être dérouté, ne pas toujours comprendre le sens des évènements, vivre des ruptures parfois douloureuses, fait partie de ce chemin vers la vie la plus haute. Nous pouvons même donner sens à nos échecs, si nous acceptons que la réussite finale ne nous appartienne pas. Nous préparons toutefois celle-ci par notre fidélité à attendre activement ce Règne de Dieu capable de nous libérer de toute attitude de captation ou de domination. Nous ne sommes pas les Maîtres de ce Royaume dont la venue ne peut que nous surprendre, mais il dépend de nous de l’accueillir à travers les aléas de l’existence, aussi bien que dans l’inépuisable générosité de la vie. En cela, cette attente nous prépare à célébrer le mystère de Noël, à discerner la naissance de Dieu jusque dans les situations de pauvreté humaine, de fragilité sociale, de vulnérabilité des personnes afin de discerner en toute rencontre le trésor qui s’offre à nous. L’appel du prophète Isaïe à vivre l’aujourd’hui de Dieu dans l’attente du Seigneur qui vient est ainsi plus actuel que jamais : « Venez, /…/ marchons à la lumière du Seigneur ».

fr. Olivier Rousseau, ocd

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