Homélie d’Avon : 25e Dimanche T.O.

LES OUVRIERS DE LA DERNIÈRE HEURE

Frères et sœurs,

Par sa parole, par son enseignement, Jésus vient contester notre manière de voir. La parabole de ce jour en est un exemple manifeste. Si nous appliquions le discours de Jésus dans cette parabole, sans rien en changer, dans le domaine de la vie sociale ou dans le monde du travail, cela ferait naître une belle pagaille. Les syndicats, toutes tendances confondues, crieraient à l’injustice et les ouvriers se mettraient en grève. Si nous cherchons à transposer le récit de Jésus au pied de la lettre dans le concret de la vie, cela devient inapplicable et inacceptable.

Mais justement, il nous est bien dit dès l’ouverture qu’il s’agit d’une parabole et d’une parabole qui veut nous parler du Royaume des Cieux. Il nous faut donc la lire non pas comme un projet de justice sociale mais comme une parabole qui nous parle du Royaume des Cieux, comme un texte qui nous révèle quelque chose du mystère de Dieu et qui en même temps nous révèle quelque chose de notre mystère personnel.

Tout d’abord, il y a ce personnage du Maître du domaine. Ce personnage qui embauche des ouvriers pour sa vigne. Il sort au petit jour et il se rend sur la place… Quand on a été en Israël, ou dans certains pays dits du Tiers-monde, nous pouvons voir sur les places des hommes jeunes ou d’âge mûr qui se rassemblent et qui attendent que quelqu’un veuille bien les embaucher, leur donner du travail pour la journée. Dans cet aspect, la parabole dite par Jésus rejoint l’expérience concrète de ses auditeurs.

Ce Maître, il sort au petit jour, puis à neuf heure, à midi ; il sort à nouveau à quinze heure et à dix-sept heure. Cela signifie que cet homme ne cesse jamais de chercher des hommes pour les envoyer à sa vigne.

« Les envoyer à sa vigne » : nous ne sommes plus dans une culture qui comprend spontanément l’expression « envoyer à sa vigne ». Dans toute l’Écriture, dans la Première Alliance comme dans la Nouvelle Alliance, la vigne désigne le Peuple de Dieu.

Cette parabole nous indique que Dieu ne cesse d’appeler ceux qu’il a créés pour les faire participer à son Alliance, pour les introduire dans son domaine, dans son peuple, c’est-à-dire dans son intimité, pour les faire participer à sa vie, qui est la vie trinitaire.

Vous aurez remarqué qu’avec les premiers embauchés, il y a une sorte de contrat. On se met d’accord sur un salaire d’une pièce d’argent pour la journée. Pour ceux qui sont envoyés à la vigne à neuf heure, à midi, ou à quinze heure, le Maître dit simplement : « je vous donnerai ce qui est juste. » Ils sont invités à faire confiance à celui qui les embauche. Pour ceux qui arrivent à dix-sept heure, il n’est même plus question de leur donner ce qui est juste. Le Maître dit simplement : « Allez vous aussi à ma vigne. »

Nous distinguons finalement trois manières de vivre la relation. Alors interrogeons-nous :

  • Sommes de ceux qui, avec Dieu, veulent faire du commerce, être dans le “donnant-donnant” ?
  • Serons-nous de ceux qui feront que le Seigneur donnera en justice ce qu’il a à donner ?
  • Ou serons-nous de ceux qui, simplement, accepteront d’être envoyés sans se préoccuper de ce qu’ils recevront ?

Le soir venu, le Maître du domaine demande à son intendant de distribuer les salaires. Il commence par les derniers qui reçoivent chacun une pièce d’argent et il termine par les premiers qui reçoivent cette même pièce d’argent. En recevant cette pièce d’argent, ils récriminent. Le texte grec dit en fait : « ils murmuraient ». Ce murmure, il dit quelque chose de fort au temps de Jésus ; c’est le murmure qui ne cesse d’habiter le peuple d’Israël. Nous pourrions relire ici le chapitre 16 du livre de l’Exode. Les Hébreux murmurent contre Dieu en regrettant les oignons d’Égypte, les chaudrons de viande grasse et le pain à satiété.

Parfois, nous sommes bien de ceux qui murmurent contre Dieu. Ne nous arrivent-ils pas de dire devant certaine situation : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour que cela m’arrive ? » Parfois nous comparons les situations et nous murmurons en constatant que telle personne, non pratiquante, semble plus favorisée que nous qui venons à la messe tous les dimanches… Nous murmurons contre Dieu de manière spontanée, sans y réfléchir parfois et cette parabole nous interpelle ; elle nous invite à regarder au fond de notre cœur.

Sommes-nous de ceux qui acceptent d’endurer le poids du jour et la chaleur en étant dans une attitude de disponibilité, en étant dans l’action de grâce et dans la louange ?

Jésus ne nous donne pas une leçon de justice sociale ; à travers cette parabole, il nous révèle le comportement d’un Dieu Père, d’un Dieu qui aime tous les hommes, d’un Dieu qui veut les introduire dans sa vigne, dans son Alliance, dans son peuple ; d’un Dieu qui invite à toute heure sans se lasser. Peut-être avons-nous déjà refusé dans le passé, mais ce qui compte pour nous, pour Lui, c’est – dans l’instant présent – d’accueillir son appel et d’y répondre. Un Dieu, dont la bonté n’est pas limitée par nos mérites ou nos non-mérites. Que nous ayons travaillé beaucoup ou peu, que nous ayons longuement peiné ou non, Dieu donne ; il donne librement, il donne gratuitement. Il ne donne pas quelque chose, il se donne, il se communique à nous.

Avec cette pensée dans le cœur, que Dieu se donne à nous, nous pourrions peut-être dire que cette pièce d’argent donnée à tous, c’est le don de l’Esprit Saint. Cet Esprit Saint que devrait recevoir ceux qui croient en Jésus (cf. Jn 7, 39).

Que l’on soit croyant depuis cinquante ans ou depuis trois jours, nous recevons le don de l’Esprit Saint. Il n’y a pas un grand Esprit et un petit Esprit, un petit don ou un grand don ; il y a le don de l’Esprit Saint.

Ce don que nous avons reçu au Baptême, à la Confirmation ; ce don qui nous est renouvelé lors de chaque Eucharistie. Vous l’entendrez tout à l’heure au cours de la Prière Eucharistique. L’Esprit Saint nous est donné pour que nous devenions le Peuple de Dieu, le Corps du Christ ; pour que nous entrions dans sa Vigne. Par les mains du pécheur que je suis, par l’imposition des mains des prêtres autour de l’autel, l’Esprit Saint sera invoqué sur vous, pécheurs, pour que vous le receviez et qu’ainsi vous soyez introduit plus profondément dans la vigne du Seigneur et deveniez les membres de son peuple.

Nous pouvons, Frères et Sœurs, rendre grâce à Dieu pour le don de sa Parole. Sa Parole qui nous invite à accueillir le don qu’il veut nous faire de lui-même. Sa Parole qui nous invite à réviser nos comportements, à faire taire nos murmures spontanés. Sa Parole qui nous invite à laisser sa bonté venir purifier notre œil mauvais pour qu’accueillant le don de son Esprit Saint nous puissions aimer de « la mesure de l’amour qui est d’aimer sans mesure » (Saint Augustin), pour que notre regard se purifie, pour que notre cœur s’élargisse aux dimensions du cœur divin.

Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

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