Homélie d’Avon : Le Saint Sacrement

“L’EUCHARISTIE EST NOTRE VIE”

Frères et sœurs, je voudrais tout d’abord vous souhaiter une bonne fête. En effet, nous fêtons aujourd’hui le Corps et le Sang du Christ. Rassemblés dans cette chapelle, nous sommes le Corps du Christ, par notre baptême nous sommes devenus les uns, les autres, membres du Corps du Christ. Cette fête et donc, d’une manière toute spéciale, notre fête.

« Je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur » (1 Co 11, 23). Paul, comme les évangélistes, nous transmet quelque chose que nous avons à recevoir et que nous aurons à notre tour à transmettre. Mais pour pouvoir transmettre quelque chose, il faut nous seulement le savoir intellectuellement mais le vivre existentiellement. La transmission ne peut pas se faire uniquement par la parole, par l’enseignement, même si cela demeure utile ; la transmission se fait d’une certaine manière par “contamination”, par l’exemple vécu qui vient attester de la vérité de la parole dite.

Aujourd’hui en fêtant la solennité du Saint Sacrement, du Corps et du Sang du Christ, nous sommes, chacun et chacune, interrogés sur notre relation à l’Eucharistie. Précisons tout de suite ce que nous entendons par le mot “Eucharistie”. Sortons d’une vision restrictive ou étroite. À une certaine époque, dans l’Église catholique, quand les personnes arrivaient avant que le prêtre ait levé le voile qui était sur le calice, ce qui correspond au rite de l’offertoire, “on n’avait pas manqué sa messe” ; la liturgie de la Parole était sous-valorisée…

La tradition ancienne de l’Église parle des deux tables de l’Eucharistie : la table de la Parole et la table du Pain eucharistique. Il nous faut nous nourrir à ses deux tables, il nous faut vivre ces deux dimensions de la célébration eucharistique.

Pour mieux parler de cela, je vais faire appel à une belle figure contemporaine du carmel : sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, Edith Stein. Le 6 janvier 1941, pour la célébration du renouvellement des vœux, elle écrit une petite exhortation pour ses sœurs. Replacé dans son contexte, 25 ans avant le Concile Vatican II, ce texte puise à la source de la tradition et présente magnifiquement les deux tables de l’Eucharistie.

« Parcourons avec le Verbe de Dieu le chemin de sa vie terrestre tout au long d’une nouvelle année. Chaque secret de cette vie, que nous essayons de scruter dans une contemplation aimante, est source de vie éternelle. » Est-ce que notre lecture de l’Écriture, frères et sœurs, est une “scrutation dans une contemplation aimante” ? C’est la condition pour que notre lecture de l’Écriture devienne pour nous “source de vie éternelle”.

Elle poursuit : « Et le même Sauveur que la Parole de l’Écriture nous met sous les yeux dans son humanité en nous le montrant sur tous les chemins qu’il a parcourus sur la terre, habite parmi nous caché sous l’apparence du pain eucharistique. Il vient à nous tous les jours comme Pain de Vie. Dans ses deux aspects, [Parole et Pain] il se fait proche de nous et sous ses deux aspects, il désire que nous le cherchions et que nous le trouvions. » Interrogeons-nous : est-ce que dans notre relation personnelle, intime, avec le Seigneur Jésus, en voulant grandir dans notre condition de membre du Corps du Christ, nous cherchons concrètement à approfondir cette relation en le cherchant dans la Parole et dans le Pain Eucharistique ? Est-ce que ces deux dimensions essentielles à la vie chrétienne, à la croissance de l’être chrétien sont présentes dans notre existence.

Edith Stein poursuit : « L’un appelle l’autre. Lorsque nous voyons avec les yeux de la foi le Sauveur devant nous, comme l’Écriture nous le dépeint, alors grandit notre désir de l’accueillir en nous dans le Pain de Vie. » La lecture de la Parole est-elle le lieu de croissance de notre désir du pain eucharistique.

« Le pain eucharistique à son tour avive notre désir de faire toujours plus profondément connaissance avec le Seigneur à partir de la parole de l’Écriture, et donne des forces à notre esprit pour une meilleure compréhension. » Prendre le pain eucharistique pour qu’il saisisse toutes les dimensions de notre être, y compris notre intelligence, notre entendement, et qu’il nous donne ainsi de mieux pénétrer la Parole de Dieu. Parce que c’est la Parole de Dieu mieux pénétrée et mieux comprise qui nous permettra de comprendre et de vivre ce que nous célébrons dans chaque Eucharistie : le Mystère Pascal du Verbe de Dieu, sa Mort et sa Résurrection, son Incarnation rédemptrice et son Ascension auprès du Père, où nous sommes déjà avec lui.

Le texte de l’Évangile de ce jour nous rapporte l’épisode de la multiplication des pains, évoque lui aussi les deux tables : « Jésus parlait du Règne de Dieu à la foule » (Lc 9, 11b). « Jésus prit les pains, […] il les bénit, les rompit » (Lc 9, 16). Jésus parle, il dit sa Parole, puis il rend grâce…

Il nous faut véritablement, dans notre vie, nous nourrir à la fois de la Parole de Dieu et du Pain eucharistique. Dans cette double dimension, l’Eucharistie est nécessaire pour un chrétien. Il ne s’agit pas d’une obligation extérieure et morale, mais bien d’une nécessité intérieure et vitale.

Un chrétien ne peut pas être chrétien sans une participation aux deux tables de l’Eucharistie. Un chrétien doit fréquenter le Christ Jésus dans sa parole et dans son pain eucharistique. Et quand la réception du pain eucharistique est rendue impossible, il est toujours possible de le fréquenter par la prière et l’adoration.

L’Eucharistie est nécessaire à la vie chrétienne car elle nous fait advenir à ce à quoi le baptême nous a fait naître : fils et fille de Dieu. Et selon la très belle expression d’Edith Stein : il nous faut « faire en nous place à l’Eucharistie ».

Dans son article sur La Prière de l’Église, elle donne toute la dimension de l’Eucharistie : « Ainsi, le sacrifice éternellement actuel du Christ, sur la Croix, au cours de la Sainte Messe et dans la gloire éternelle du ciel peut se comprendre comme une seule immense action de grâce, comme Eucharistie : comme action de grâce pour la création, la rédemption et l’achèvement final. Il s’offre lui-même au nom de tout l’univers créé dont il est le modèle originel et dans lequel il est descendu pour le renouveler de l’intérieur et le conduire à son achèvement. Mais il appelle aussi tout ce monde créé à présenter avec lui au Créateur l’hommage d’action de grâce qui lui revient. » Dans ce regard pénétrant d’amour, toutes les réalités sont ressaisies, toute l’histoire est reprise et condensée. L’Eucharistie devient le lieu d’accomplissement de l’œuvre de Dieu, de la création à l’achèvement, le lieu d’accomplissement de la création qui s’unissant au Christ s’offre au Créateur en “hommage d’action de grâce”.

Faire de l’Eucharistie le lieu d’un hommage au Père dans l’Esprit ; Faire de l’Eucharistie le lieu où comme les disciples nous offrons nos cinq pains et nos deux poissons, le “petit peu qui dépend de nous”. Nous sommes finalement invités à nous offrir tels que nous sommes avec nos ombres et nos lumières, avec nos richesses et nos limites. Offrons-nous dans l’unique offrande du Christ pour être “louange à la gloire des Trois”.

Pendant le temps de l’offertoire, je vous invite à faire vôtres ces paroles qu’Edith Stein écrivait à une amie : « La seule chose que l’on puisse faire, c’est de vivre de plus en plus fidèlement et purement la vie que l’on a choisie, pour la présenter comme une offrande agréable en faveur de tous ceux avec qui l’on a des liens. »

Que cette fête du Corps et du Sang du Christ nous dynamise dans notre vie chrétienne ; qu’elle nous fasse être toujours plus ce que nous sommes : le Corps du Christ.

Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

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