Homélie de Noël (jour) : face Nord, face Sud, que choisir ?

donnée au couvent de Lille

Le Provincial de Paris, fr. Guillaume Dehorter a prêché lors de la messe de Noël des frères Carmes de Lille dans l’église Saint André des Carmes.

Textes liturgiques : Is 52, 7-10 ; Ps 97 ; He 1, 1-6 ; Jn 1,1-18

Etes-vous allés à la messe hier soir ? Oh ! Rassurez-vous, je ne suis ni enquêteur ni inquisiteur, de passage simplement parmi vous. Et hier justement, j’étais à la messe de la nuit – ou du soir… on ne sait comment dire – Je suis toujours frappé par le contraste entre les deux messes de Noël. Les lecteurs d’Alphonse Daudet savent qu’il y en a même trois et ceux du missel romain qu’il en existe quatre mais la pratique habituelle de nos communautés consiste en ces deux messes, de la veille et du jour. Deux messes pour marquer, comme à Pâques, l’importance de notre fête. Deux messes pour aborder différemment la richesse de ce que nous célébrons : face nord ou face sud si l’on peut dire. La messe de la veille, avec le récit des bergers, des anges et de la crèche, raconte l’événement – l’évangile de cette messe est celui du gloria chanté à tue-tête – alors que la messe du jour, avec les prologues solennels de l’épitre aux hébreux puis de l’évangile de Jean, avec le climat de silence admiratif qu’ils induisent, médite le mystère : le mystère de Dieu qui se donne et le mystère de l’homme qui l’accueille – l’évangile de cette messe résonne comme un credo cantillé ou médité – Je voudrais en méditer trois thèmes : « naissance », « connaissance » et « Incarnation. »

Parler de naissance le jour de Noël frise la redondance. Pourtant, si l’évangile d’hier nous racontait la naissance de Jésus, celui d’aujourd’hui n’en décrit rien : «  le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous  », ce qui englobe au fond toute la vie terrestre de Jésus, de l’Annonciation à son Ascension, évoquée dans la lecture aux Hébreux. Le Prologue de saint Jean évoque en fait plus explicitement une autre naissance, la nôtre : « devenir enfants de Dieu. » Telle est bien la naissance à accueillir et à désirer aujourd’hui : «  A quoi sert que le Christ soit né il y a si longtemps dans une étable s’il ne nait pas aujourd’hui dans ton cœur ?  » demandait déjà Maître Eckart citant lui-même Origène. Prises isolément, de telles paroles pourraient faire oublier l’enracinement historique de ce que nous célébrons en réduisant Noël à une simple expérience individuelle. A l’inverse, compris comme un simple anniversaire, l’événement que nous célébrons pourrait devenir anecdotique. Tenons donc ensemble face nord et face sud, messe du soir et messe du matin : le Christ est né pour que nous accueillions aujourd’hui la vie divine, qu’elle nous remplisse et nous déborde, qu’elle soit notre force et notre joie !

La naissance que nous célébrons, enfin, concerne Dieu en lui-même : « engendré non pas créé » s’émerveille le Credo car, nous dira la théologie trinitaire, Dieu en lui-même est naissance. « Dieu n’est qu’en naissant » peut-on résumer. Célébrer Noël, c’est ainsi célébrer Dieu Trinité qui se dévoile à nous aujourd’hui. Mais de même que l’écriture de l’introduction d’un long texte en conclut souvent la rédaction, pareillement, le Prologue est au fond la conclusion de l’évangile : autrement dit la révélation du Dieu Trinité qui donne toute la profondeur à la fête de Noël est le fruit du parcours de Jésus naissant, enseignant, mourant, ressuscitant et donnant son Esprit à l’Eglise qui pourra ainsi confesser Dieu, Père, Fils et Esprit-Saint. Fêter Noël est pour nous l’appel à suivre Jésus de la crèche à la Croix, comme le signifient avec profondeur certaines représentations mettant, en les mains du nouveau-né, les instruments de la Passion.

En parlant de naissance, j’ai déjà abordé le deuxième thème : connaître Dieu qui se donne et se révèle car Dieu, dans le mystère de Noël, s’est entièrement donné à nous. Il nous a tout dit par son Fils. La naissance de Jésus est l’avènement d’une nouvelle connaissance de Dieu, d’une nouvelle relation à lui, d’une nouvelle présence : présence d’un enfant puis d’un homme aux paroles et aux faits inoubliables (« il est passé et rien ne se passe plus comme avant » a-t-on écrit), à la mort et résurrection toujours agissant en nous par les sacrements. Fêter Noël, c’est donc croire que Dieu s’est donné à connaitre et, chose au fond inouïe, que l’on peut dire effectivement quelque chose de lui. Cela mérite deux précisions. Ce que l’on peut dire de Dieu restera toujours en deçà : c’est l’apophatisme que les mystiques de tous les temps ont éprouvé et que défend notre évangile. « Dieu personne ne l’a jamais vu (…) le Fils unique, c’est lui qui l’a fait connaitre.  » L’autre précision est là : toute connaissance de Dieu se fait en et par Jésus-Christ, l’unique médiateur qui nous révèle le vrai visage de Dieu-Père. « Le Bien-Aimé n’épuise pas, il creuse. » Oui, fêter Noël d’année en année, c’est avancer sur ce chemin, inépuisable et parfois épuisant, de connaissance et d’inconnaissance, de foi lumineuse et obscure, d’émerveillement et de déprise face au mystère de Jésus. Cette connaissance nous engage : croire et témoigner, accueillir l’enfance divine pour être ostensoir et ange de Dieu ! Encore une chose : « les ténèbres ne l’ont pas arrêté. » En ces temps incertains, parfois inquiétants, c’est aussi un des messages forts et encourageants de Noël. Rien n’arrête la course de la Parole qui nous donne d’en être les récepteurs et les émetteurs.

Enfin, parler d’Incarnation (« le Verbe fait chair »), troisième thème, c’est renoncer à opposer le charnel au spirituel, le ciel à la terre, la messe du soir à celle du matin ou à osciller sans cesse entre matérialisme (il n’y aurait que le charnel) et spiritualisme (il n’y aurait que le spirituel). Comme écrivit celui dont c’est encore l’année du centenaire de la mort, Ch. Péguy, « le spirituel est lui-même charnel, l’arbre de la grâce est raciné profond, plonge dans le sol et cherche jusqu’au fond. » Tel est aussi le sens de Noël. Tel sera toujours la marque d’authenticité de notre vie avec Dieu. Croire ne consiste pas à toujours parler de lui, ni même à lui. Au cœur de nos vies, de notre humanité, de notre fragilité, rencontrer Dieu se vit dans l’expérience de sa Paix, de sa douceur, de la fraternité. Noël a ainsi toujours été compris comme fête des pauvres et attestation de la dignité inouïe de l’homme, de tout homme…

Accueillir le mystère de Noël, c’est ainsi laisser sourdre en nos vies, sa joie secrète mais irrésistible, joie qui rayonne, joie qui s’exprime ou joie qui s’accueille, joie intérieure, joie qui irrigue. Messe du soir ou messe du jour, il n’y a pas à choisir : que le mystère accueilli sous toutes ses formes nous donne de vivre et de croire à l’enfance toujours nouvelle de Dieu ! Amen

fr. Guillaume Dehorter, Provincial de Paris ocd
Revenir en haut