Homélie de Pentecôte : qui es-Tu ?

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques de la Pentecôte (année C) : Ac 2, 1-11 ; Ps 103 ; Rm 8, 8-17 ; Jn 14, 15-16.23b-26

Wer bist du, süsses Licht, das mich erfüllt
und meines Herzens Dunkelheit erleuchtet ?
Du leitest mich gleich einer Mutter Hand,
und liessest mich los,
so wüsste keinen Schritt ich mehr zu gehen.
Du bist der Raum,
der rund mein Sein umschliesst und in sich birgt (…)
Heiliger Geist – ewige Liebe !

Les mystères du salut sont accomplis une fois pour toutes, mais c’est tout le chemin de notre existence chrétienne que de les laisser se déployer dans notre existence personnelle. C’est pourquoi, même au jour de la Pentecôte, pour que nous puissions nous comprendre, il me faut encore vous donner une traduction de cette prière à l’Esprit Saint de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix :

Qui es-tu, douce lumière qui me combles
et illumines la ténèbre de mon cœur ?
Comme la main d’une mère, tu me conduis
et, si tu me lâchais,
je ne saurais faire un pas de plus.
Tu es l’espace environnant mon être
et l’abritant en toi (…)
Saint-Esprit, éternel Amour !

À la Pentecôte 1937, sainte Thérèse-Bénédicte rédige ce poème en sept strophes, qu’elle a intitulé, sur certaines des copies qu’elle en a faites : « Sept rayons d’une neuvaine de Pentecôte ». La question initiale qu’elle adresse à l’Esprit Saint : « Qui es-tu ? », est reprise par une interrogation lancinante au début de chacune des strophes suivantes : « Es-tu… ? » Le langage poétique permet de répondre en partie à cette question, et chaque strophe se conclut par l’exclamation jubilatoire de celle qui a entr’aperçu quelque chose du mystère de l’Esprit : « Saint-Esprit, éternel Amour ! Saint-Esprit, rayon que rien n’arrête ! Saint-Esprit, Main de Dieu créatrice ! » Mais, comme dans l’Écriture, ce n’est jamais qu’à travers son œuvre dans le monde, dans l’Église, dans les croyants, que l’Esprit Saint est connu.

C’est que, comme a pu le dire un théologien du XXe siècle, « jamais l’Esprit ne renvoie à lui-même, ni ne se met lui-même en lumière ; toujours il est l’Esprit du Fils et du Père, dont il éclaire l’amour de sa lumière ». C’est en cela que nous devinons quelque chose du mystère de la personne de l’Esprit Saint : totalement « indifférent à soi », « l’Esprit sans voix et sans visage » est celui qui donne forme à la vie de Dieu en nous et qui suscite notre parole.

Au jour de la Pentecôte, selon le récit de saint Luc dans les Actes des Apôtres, l’œuvre de l’Esprit est tout à la fois de faire parler les disciples à autrui et de donner à tous la capacité d’entendre le langage des disciples, chacun entendant l’annonce des merveilles de Dieu « dans son propre dialecte, sa langue maternelle ». La liturgie le signifie avec force : pour nous, par la Pentecôte, s’achève le temps pascal ; pour les premiers disciples, au jour de la Pentecôte, s’accomplit la promesse faite par le Ressuscité : ils sont revêtus de la force d’en-haut pour pouvoir annoncer sans crainte ce qu’ils ont vu et entendu : le Christ est mort et ressuscité pour notre salut. L’œuvre de l’Esprit est tout à la fois de faire proclamer cette nouvelle – autrui n’étant plus pour moi une menace qui me glace de peur – et de faire entendre le langage de l’annonce – autrui n’étant plus un étranger au dialecte indéchiffrable.

L’Esprit nous fait parler de Dieu à nos frères et sœurs, il nous fait aussi parler à Dieu lui-même. Parler à Dieu : comment pourrais-je apprendre ce langage s’il ne m’était enseigné d’en-haut ? d’en-haut ou bien du plus profond de moi-même, comme nous l’a redit saint Paul dans sa lettre aux Romains : « Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu ». Le langage que l’Esprit nous enseigne pour que nous nous adressions au Père n’est pas un langage extérieur ni une langue étrangère : c’est le langage même de Jésus. Les disciples qui avaient vécu dans le compagnonnage de Jésus avaient été frappés par cette singularité de sa prière ; ils en ont gardé la mémoire et l’ont transmis aux premières communautés de croyants. Saint Paul, dans la lettre aux Romains, comme dans la lettre aux Galates, en témoigne. La singularité inouïe de la prière de Jésus, c’est qu’il appelle Dieu « Abba », « Père », ou plus exactement « Papa », parole qui dit tout à la fois l’intimité, la confiance et la tendresse. Quand saint Paul écrit que, dans l’Esprit, nous disons à Dieu « Abba », il veut signifier que la prière même de Jésus devient notre prière.

En effet, « le Christ Notre Seigneur a élevé notre prière à la participation au mystère de sa propre prière, c’est-à-dire au mystère de son dialogue filial avec le Dieu vivant, notre Père » (Constitutions des Carmes Déchaux, n. 54). La prière chrétienne – qu’elle soit intérieure, vocale, solitaire, liturgique – est toujours cela : une participation à l’échange d’amour entre le Père et le Fils. Prier, c’est laisser l’Esprit nous faire dire à Dieu la prière même de Jésus : « Abba ! » Cette prière de Jésus, ce ne sont pas que des mots prononcés à des moments déterminés, c’est un état de vie : sans cesse, par ses paroles et par ses actes, par son regard sur le monde, sur les événements et sur les personnes, dans la jubilation et jusque dans son Agonie, Jésus dit à Dieu : « Abba ! Père ! » Il nous appelle et nous entraîne à vivre ainsi nous aussi.

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure ». Garder la Parole de Jésus, c’est laisser l’Esprit Saint nous faire souvenir de tout ce que Jésus nous a dit, et n’est-ce pas justement laisser l’Esprit susciter en nous la prière filiale de Jésus lui-même ? Mais comment notre propre existence, notre propre cœur, traversé de tant de contradictions et de blessures, capable de grands désirs et de longues errances, pourrait-il devenir la demeure de Dieu, si l’Esprit lui-même ne venait en nous préparer ce séjour du Père et du Fils ? « Comme aux apôtres, le Fils de Dieu a envoyé d’abord à l’âme son Esprit, qu’Il a chargé de lui préparer sa Demeure, l’auberge qu’est l’âme-épouse, l’enrichissant d’agréments, l’ornant de ses grâces et de ses richesses » (Cf. Saint JEAN DE LA CROIX, Cantique spirituel B 17, 8, Sagesses chrétiennes, Cerf, Paris, 1995).

À nous maintenant, déjà habités par l’Esprit depuis le jour de notre baptême, de désirer qu’il poursuive et achève son œuvre en nous, dans nos communautés de vie, dans l’Église et dans le monde ! À nous de coopérer avec lui, animés par lui, afin que s’accomplisse en nous et à travers nous le mystère de Jésus, le mystère du salut promis à toute chair !

Es-tu le doux cantique de l’amour
et du respect sacré qui retentit sans fin
autour du trône de la Trinité sainte,
symphonie où résonne
la note pure donnée par chaque créature ?
Le son harmonieux,
l’accord unanime des membres et de la Tête,
dans lequel chacun au comble de la joie
découvre le sens mystérieux de son être
et le laisse jaillir en cri de jubilation,
rendu libre
en participant à ton propre jaillissement :
Heiliger Geist – ewiger Jubel ! Saint-Esprit, jubilation éternelle !
fr. Anthony-Joseph de sainte Thérèse de Jésus, ocd (Couvent de Paris)
Revenir en haut