Homélie de l’Ascension : vivre sur la terre comme au ciel

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques de l’Ascension (année C) : Ac 1, 1-11 ; Ps 46 ; Ep 1,17-23 ; Lc 24, 46-53

Nous célébrons aujourd’hui le mystère de l’ascension. En tant que mystère, on le célèbre chaque année sans jamais finir de le comprendre. C’est même pour cela qu’il mérite le nom de mystère. L’évangéliste Luc lui-même ne décrit pas ce mystère avec les mêmes précisions. Dans la première lecture il nous présente des disciples qui certainement frappés d’étonnement devant l’événement restaient les yeux fixés au Ciel. Alors que dans l’Evangile, le même Luc, en racontant l’évènement, met cette fois-ci l’accent sur la joie qui déborde du cœur des disciples pendant que le maître monte au ciel. Que dirions-nous, Luc se contredit-il ? Certainement pas. En réalité, les mots sont toujours limités quant il faut parler de sa propre personne et plus encore quand il faut parler de l’Homme-Dieu. Le souci de Luc, il me semble, est de mettre l’accent sur deux attitudes qui caractérisent les disciples face à ce mystère : l’étonnement et la Joie.

En effet, comment ne pas être dans l’étonnement quand il nous est donné de vivre un évènement aussi inouï ? Par ailleurs, comment ne pas se laisser envahir par la joie divine quant au moment où le Christ monte au ciel, trois promesses sont fait aux disciples et par ricochet à toute l’humanité ? Le vide qu’aurait pu ressentir les disciples est ici comblé par l’annonce de trois promesses qui rendent leur joie parfaite à l’image de la joie divine. Ces trois promesses nous sont clairement livrées par les différentes lectures de ce jour : il s’agit de la promesse de l’envoi de l’Esprit, de la promesse du retour du Christ et de la promesse d’une ascension de l’homme dans le sanctuaire divin. Comment ne pas se réjouir face à ces trois promesses qui ensemble apparaissent comme une vérité inédite dans l’histoire des religions ?

La promesse de l’envoi de l’Esprit marque une nouvelle étape dans la continuité de l’histoire de Dieu avec l’homme. Moïse à son époque, fatigué par les récriminations de son peuple, priait déjà pour que tous les fils d’Israël soit un peuple de prophètes. Le prophète Joël animé par l’esprit prophétique, assume la prière de Moïse et en fait une prophétie : « Je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, Et vos jeunes gens des visions (Jl 2, 28) ». Dans le mystère de l’ascension de Jésus, la prophétie de Joël devient une promesse. C’est tout le peuple de Dieu mort et ressuscité avec le Christ qui deviendra un peuple de prophètes, capables d’assumer en actes et en paroles, ce qui caractérise la vie du Christ. C’est par ce fait même qu’il lui sera donné le nom de témoin. Témoin non seulement parce qu’il doit être porteur d’une espérance, mais aussi parce que porté par cette espérance il devient un autre Christ.

La deuxième promesse concerne le retour du Christ : « Jésus qui a été enlevé au milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel ». Cette promesse annoncée par les « hommes en vêtements blanc » nous révèle une vérité fondamentale de notre foi : l’ascension du Christ n’est pas une évaporation. Christ reviendra. Son départ sonne déjà l’annonce de son retour. Aussi faut-il noter que le temps qui sépare son ascension de son retour n’est pas un temps de vacances. De même que sur terre, il a œuvré pour les choses d’en haut, de même à la droite de Dieu, il reste actif sur terre. La promesse de l’Esprit s’inscrit donc dans le cadre d’une continuité de l’œuvre d’amour du Christ.

Élevé dans le sanctuaire impérissable et éternel de Dieu, le Christ, reste donc toujours en lien avec la terre. L’ascension, comme l’incarnation, devient à ce titre le lieu de la réconciliation du ciel et de la terre. C’est le lieu de la syntonie et de la symphonie dans laquelle le ciel et la terre se croisent comme aux premières heures de la création, sans que l’un n’apparaisse étranger à l’autre. Le ciel s’est penché sur la terre. Dieu s’est encore penché vers l’homme et jamais ils ne se sépareront. « Une femme oublie-t-elle son nourrisson ? N’a-t-elle pas compassion du fils qui est sorti de son ventre ? Quand elle l’oublierait, moi je ne t’oublierais pas. Car voici, je t’ai gravée sur mes mains (Is 49, 15-16) ».

La deuxième promesse contient en elle-même la troisième promesse : celle de l’élévation de l’homme dans le sanctuaire divin. Ce qui frappe dans ces récits lucaniens de l’ascension c’est que les disciples ne voient pas monter un fantôme ou un esprit, mais c’est Jésus, Jésus dans son humanité qui monte dans le Saint des saints éternel. La conclusion s’impose : en réconciliant le ciel et la terre, c’est l’humanité qui est introduite de façon glorieuse dans l’amour divin. La promesse que Dieu nous fait à ce niveau est donc une bonne nouvelle : porté par le mouvement ascendant du Christ, l’homme dans la beauté de son humanité participera au sacrifice éternel du grand prêtre pris parmi les hommes. Comme le Christ, l’homme n’aura plus besoin de répéter le sacrifice car une fois introduit dans le Saint des saints préparé depuis l’éternité par Dieu, l’homme n’aura plus besoin de sortir parce qu’ayant finalement trouvé ce à quoi son humanité aspire véritablement.

L’unité de ces trois promesses de l’ascension, réside dans le fait même que chez Dieu la promesse n’a pas qu’une dimension eschatologique (qui concerne la fin des temps), elle se réalise aussi dans l’aujourd’hui de notre monde. A cet effet l’interrogation des ‘‘hommes divins’’ aux disciples est crédible : "Homme de Galilée pourquoi restés là à regarder le ciel ?" Dans l’acte même de l’ascension, il ne s’agit plus d’avoir les yeux seulement fixés au ciel ou seulement fixés sur la terre, mais à se rendre compte que par les trois promesses faites, le Christ comme le dit Saint Augustin, nous invite à travailler « sur la terre de telle sorte que par la foi, l’espérance et la charité grâce auxquels nous nous relions déjà à lui, nous reposions déjà maintenant avec lui, dans le ciel ».

Vivre sur la terre comme au ciel c’est donc se rendre compte que la promesse de l’envoi de l’Esprit se réalise déjà dans nos vies ; c’est se rendre compte que la promesse du retour du Christ se réalise déjà dans les rencontres interpersonnelles, dans les sacrements et dans le pardon que nous témoignons les uns envers les autres. Vivre sur la terre comme au ciel, c’est finalement se rendre compte que notre glorification en Dieu a déjà commencé. Voilà pourquoi, je voudrais terminer mon propos en nous rappelant cette exhortation de l’épître aux Hébreux : « Avançons-nous donc vers Dieu avec un cœur sincère, et dans la certitude que donne la foi, le cœur purifié de ce qui souille notre conscience, le corps lavé par une eau pure. Continuons sans fléchir d’affirmer notre espérance, car il est fidèle, celui qui a promis. »

fr. Elisé Alloko, ocd (Couvent de Paris)
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