Homélie de l’Assomption

Vendredi 15 août 2014 – Assomption de la Vierge Marie – Couvent d’Avon (Ap 11, 19a. 12, 1-6a. 10ab ; Ps 44 ; 1 Co 15, 20-27a ; Lc 1, 39-56)

« Ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé  » : par ce petit adage, les Pères de l’Église, tels que saint Grégoire de Nazianze, exprimaient la merveille de notre salut, en disant la profondeur à laquelle Dieu s’est uni à l’humanité dans le mystère de l’Incarnation de son Fils. En effet, à une époque où des hérésies christologiques prétendaient que le Verbe fait chair aurait pris seulement une part de notre humanité, les Pères ont affirmé avec force que Jésus-Christ, en sa chair semblable à la nôtre sauf le péché, avait assumé tout ce qui fait notre humanité. Non seulement les Pères exprimaient ainsi la vérité de l’Incarnation du Fils de Dieu, mais ils prenaient en compte la conséquence de cette vérité pour notre salut : puisqu’il a assumé tout ce qui fait notre humanité, le Verbe fait chair est capable de porter au salut tout ce qui fait notre humanité. Ou bien, a contrario, s’il restait quelque chose de notre condition humaine qu’il n’ait pas pris sur lui, quelque chose de notre humanité resterait exclu de la promesse du salut de Dieu en Jésus-Christ : « Ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ».

Le mot « assomption » provient précisément de la même racine latine que le mot « assumer ». Fêter l’assomption de la Vierge Marie, ce n’est pas seulement célébrer son ascension dans les cieux, mais c’est aussi et surtout célébrer la merveille du salut qui s’accomplit en elle la première : le Christ la prend avec lui (en latin, ad-sumere, assumere : prendre auprès de soi, comme prendre entre ses mains, entre ses bras, porter, assumer) le Christ la prend avec lui dans la gloire de Dieu, et nous pourrions compléter le titre de la fête de ce jour : « Assomption de la Vierge Marie par son Fils l’unique Sauveur dans la gloire de Dieu ». Cette assomption est forcément quelque chose de passif, que l’on reçoit en pure grâce. La Vierge Marie en est purement bénéficiaire, c’est l’œuvre du Sauveur, lui qui a assumé notre humanité. En la Vierge Marie, nous voyons pour la première fois en une créature l’accomplissement de cette assomption de l’humanité par le Fils de Dieu : tout en elle, en son corps et en son âme, est assumé dans la gloire de Dieu : la première, de façon parfaite et totale, elle est toute sauvée.

Quelle joie pour elle ! et pour nous ? Heureusement, comme le chantait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, « le trésor de la mère appartient à l’enfant  », et nous sommes tous concernés, personnellement, par cette merveille de l’assomption. L’iconographe l’a bien compris lui aussi, quand il représente le collège des Apôtres réunis autour du lit de la dormition de la Vierge Marie : ce n’est pas là une scène affective, comme on vient entourer une amie en ses derniers instants – et ce serait déjà bien ! Mais une icône ouvre une fenêtre sur le monde de Dieu, et la signification théologique de ce rassemblement des apôtres est bien plus profonde : à travers eux, c’est l’Église tout entière – l’Église apostolique, fondée sur la foi des apôtres, prémices de l’humanité entière – qui est concernée par ce mystère, et qui chante, comme nous l’avons fait au début de cette célébration : « Vierge Marie, tu as trouvé la joie, elle est notre avenir ». Notre avenir, nous le savons humblement, c’est d’abord de traverser le mystère de la mort. Mais notre avenir, surtout, c’est d’être alors assumé par notre Sauveur Jésus-Christ, d’être pris dans ses bras comme un enfant – et l’iconographe représente sous les traits d’un enfant l’âme de la Vierge Marie, la personne tout entière du croyant – pour être introduit dans le mystère de Dieu – cette nuée obscure et rayonnante, irreprésentable, d’où émerge le Sauveur.

« Tu as trouvé la joie, elle est notre avenir »… et qu’en est-il de notre présent, où nous ne savons que trop bien qu’il n’est pas si aisé d’assumer ce qui fait le quotidien de notre vie, à travers les joies et les lumières, mais aussi les adversités, les souffrances, le mal et le péché ? Continuons de nous efforcer d’assumer ce qui fait notre vie, en rendant grâce pour ce qui y est bon et en cherchant à convertir ce qui doit l’être. Mais n’oublions pas non plus de nous remettre toujours plus, dans la foi et la confiance, entre les mains de Celui qui a tout assumé de notre humanité, afin de nous conduire au salut. Ce n’est peut-être pas toujours si facile à croire, quand je regarde ma vie sous le regard de Dieu : n’y a t-il pas tant de pans de mon histoire, de traits de ma personnalité, d’actes que j’ai posés ou que je pose encore, que je préfèrerais cacher à mes propres yeux et aux yeux de Dieu ? Mais c’est justement cela en moi qui a tout particulièrement besoin du salut de Dieu, c’est justement cela en moi que Jésus désire assumer pour le sauver, pourvu que j’accepte de le lui livrer.

Alors, en ce jour de fête, demandons à la Vierge Marie qu’elle s’approche de nous, qu’elle nous visite afin que, au-dedans de nous, l’enfant tressaille d’allégresse – l’enfant : ce que nous portons de plus vrai, de plus beau, de plus simple, de promis à la vie, au plus profond de nous. Qu’elle nous enseigne la louange, dans la paix de la confiance, afin que de notre cœur jaillisse aussi la joie d’une vie offerte à l’amour et la miséricorde du Sauveur, la joie d’une vie que nous savons assumée par Dieu : « Le Puissant fit pour moi des merveilles, saint est son Nom  » !

fr. Anthony-Joseph de Sainte Thérèse de Jésus, ocd
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