Homélie des Rameaux : la force du pardon

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année C) : Is 50,4-7 ; Ps 21 ; Ph 2,6-11 ; Lc 22,14 - 23,56

« Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Le paradis, le Royaume de la vie avec Dieu ; le Royaume d’une humanité réconciliée. Jésus ouvre sur la croix la porte de ce Royaume en assumant la mission du serviteur souffrant : il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : « Il a été compté avec les impies. » (Is 53,12) A la lumière du chant du serviteur d’Isaïe, l’hymne aux Philippiens présente aussi le Fils de Dieu comme celui qui s’est dépouillé lui-même pour prendre la condition de serviteur. Le serviteur est celui qui consent à sa totale impuissance face à la souffrance subie, tout en étant solidaire des condamnés et en exerçant le pardon envers ceux qui le condamnent : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (23,33s)

Jésus cloué au bois entre deux bandits prie pour ses persécuteurs. Il brise ainsi le cercle vicieux du mal en ne condamnant personne. Sans dénier notre responsabilité face au mal commis, il ouvre un chemin de salut à quiconque veut bien porter comme lui sa souffrance sans la rejeter sur autrui. C’est pourquoi, sur le chemin de sa Passion, Jésus ne veut pas de notre compassion, mais il espère notre conversion à la mission de serviteur. Lorsque les femmes se lamentent sur lui (23,27), il les invite à considérer plutôt leur propre malheur et celui de leurs enfants (23,28). Quant à lui, il se sait pleinement vivant comme le bois vert et n’a nul besoin de leurs plaintes. Après cette remise en place, il entre dans le silence (Is 53,7) : « Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. »

Il ne répond rien à la raillerie des témoins (23,35-38) : « sauve-toi toi-même et nous aussi !  » L’un des deux autres suppliciés (23,39-43) reconnaît la royauté du serviteur au sein de son humiliation et interpelle son compagnon révolté. Le bon larron s’identifie à la non-violence de Jésus et prononce cette prière bouleversante : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume !  » Comme Jésus, cet homme accueille sa souffrance sans la rejeter sur autrui. Il ne sombre pas non plus dans la culpabilité. Il désire simplement accéder à cette royauté qu’il pressent en Jésus. Jésus accueille sa prière par un solennel ’amen’ : aujourd’hui même, tu partageras ma royauté ! Solidaire de Jésus dans sa crucifixion, le larron devient avec lui libre à l’égard de cette rancune qui nous attache à ceux qui nous font mal. Il n’est pas question ici d’innocence ou de culpabilité, de victime ou de bourreau, car le récit se situe au-delà du clivage entre le bien et le mal. Jésus ne cherche pas de responsables : « Ils ne savent pas ce qu’ils font. » Seul le pardon inconditionnel libère du mal injuste en laissant aller librement ceux qui nous ont fait souffrir sans rien leur demander en échange.

Jésus assume ainsi la vocation du serviteur et nous invite à le suivre sur ce chemin de salut. Simon de Cyrène est le premier à être engagé dans cette voie (23,26). Il aide Jésus à porter la Croix parce que c’est aussi sa croix. En assumant à la suite de Jésus le mal que nous avons subi sans rancune, ni jugement, nous renvoyons les autres à leur propre liberté. En unissant silencieusement notre propre souffrance à celle de Jésus, nous sommes en mesure de pardonner comme lui et de communiquer la force libératrice de ce pardon. Nous devenons ainsi acteurs du salut apporté par le Christ au monde en brisant le cercle vicieux de la souffrance subie et reproduite. Le pardon donné dans le silence du cœur nous fait entrer dans le Royaume tout en priant pour ceux qui en ignorent encore le chemin. « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

fr. Olivier Rousseau, ocd (Couvent de Paris)
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