Homélie du Sacré Coeur : entrer dans le paradoxe

donnée au couvent de Paris

Vendredi 12 juin 2015 - Sacré Cœur de Jésus

Textes liturgiques : Os 11,1-9 ; Ps 103 ; Ep 3,8-19 ; Jn 19,31-37

Avec la célébration du Sacré Cœur de Jésus, nous plongeons en quelque sorte dans le centre du mystère chrétien. Le Cœur du Seigneur cristallise, symbolise l’essentiel de notre foi. Mais il le fait de manière paradoxale, en sorte qu’il révèle et dévoile quelque chose de Dieu, tout en le cachant en même temps à ceux qui ne savent pas voir. Cette perception paradoxale de Dieu se manifeste à nous dès les oracles prophétiques ; le Seigneur ne dit-il pas dans le livre d’Osée ? « Je guidais Israël avec humanité, par des liens d’amour  » et quelques versets après « je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme. » Mystère paradoxal de Dieu qui conduit avec humanité, tout en affirmant sa différence radicale avec l’homme : que faut-il donc comprendre ?

En fait, le Seigneur assume ce qui dans l’humanité lui ressemble le plus, à savoir le lien d’amour, le comportement affectueux d’un père avec son tout-petit, sa tendresse paternelle. Car saint Paul nous dit que toute paternité tire son nom du Père des cieux. Cependant, Dieu ne se confond pas avec la violence humaine marquée par la vengeance et la violence : il n’exterminera pas Israël. Dieu a un cœur capable de se « retourner contre lui » : étonnante image humaine montrant que la sainteté de Dieu consiste en une capacité infinie à aimer, que rien ne peut arrêter, même la logique de la justice. L’image complémentaire des « entrailles qui frémissent » évoque l’amour miséricordieux, avec des termes maternels très humains : c’est bien cette tendre humanité qui révèle quelque chose du mystère divin. Mais tout cela demeure image et anthropomorphisme. Dieu est Dieu, Créateur séparé de sa créature.

Jusqu’au jour où, à la plénitude des temps, la parole de Dieu se déplace et qu’en Dieu, une Personne pourra dire : « moi je suis Dieu » et je suis homme. Par le mystère de l’Incarnation, le Verbe assume concrètement notre humanité et donne forme au cœur de Dieu. Désormais, le cœur de Dieu n’est plus une image ou un concept, il est une réalité. Nous pouvons contempler le mystère divin à travers le Cœur du Christ. Et cette contemplation n’est pas abstraite : elle n’est possible qu’en un seul lieu, au pied de la Croix. C’est là que nous avons accès au Cœur de Jésus : L’ouverture gratuite voire absurde du côté de Jésus a été interprétée par la tradition chrétienne comme l’accomplissement de la Révélation. En Jésus, Dieu nous a tout donné, tout révélé. Plus rien n’est caché, tout est accessible, mais toujours dans le Christ.

« Je ne vous appelle plus serviteurs dit Jésus ; désormais je vous appelle mes amis car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » (Jn 15,15) Cette phrase testamentaire de Jésus avant sa mort nous redit ce paradoxe : tout est révélé mais tous ne voient pas. Il faut être ami de Jésus pour voir ; il faut apprendre à le connaître pour voir dans le Cœur transpercé la révélation de l’amour infini de Dieu. Le connaître, non pas en termes abstraits ou intellectuels mais le connaître en engageant sa vie à sa suite, pour le connaître de l’intérieur, en expérimentant une vie semblable. C’est le cas de celui qui nous livre le témoignage, saint Jean : l’évangéliste, « celui qui a vu, rend témoignage » car il est le disciple bien-aimé. Il est celui dont le regard a été transformé par l’amour et qui au matin de Pâques, verra dans le tombeau vide, la présence du Ressuscité. Il est l’ami de Jésus par excellence qui nous montre le lieu où se dévoile le paradoxe humano-divin du Christ.

Autre paradoxe du Cœur de Jésus : c’est dans cet organe, bien humain, petit et limité que se révèle «  l’insondable richesse du Christ », « les multiples aspects de la Sagesse de Dieu » évoqués par saint Paul. C’est dans cet organe, symbole biblique de toute la personne que se cache « la plénitude de Dieu. » Inutile de penser accéder à Dieu par une méditation sur l’infini ou sur le vide. Piège encore que de croire atteindre Dieu par des élévations gnostiques. Non c’est en osant regarder dans la plaie d’un homme crucifié que nous est donné la lumière spirituelle pour « comprendre quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… », pour connaître « ce qui surpasse toute connaissance : l’amour du Christ. » L’infini se découvre dans le fini, la richesse dans la pauvreté, le grandiose dans le difforme.

La fête du Sacré Cœur est donc le cadeau de Dieu aux amis de Jésus, à ceux qui sont petits, doux et humbles de cœur comme lui. Elle cache Dieu aux savants qui méprisent ses représentations trop humaines, certes pas toujours très inspirées. Mais à ceux qui s’efforcent de devenir les amis de Jésus, il est donné d’entrer dans le paradoxe humano-divin du Christ, vrai Dieu et vrai Homme. Ce n’est qu’en Lui, que dans sa Personne que tous les paradoxes s’accordent et dévoilent l’intimité du Père, dans la lumière de l’Esprit. Pourtant être un petit pour entrer dans le mystère paradoxal du Cœur de Jésus ne veut pas dire mettre son intelligence en ‘stand-by’ : c’est bien le grand théologien, saint Paul, qui se dit dans la 2e lecture « moi qui suis vraiment le plus petit de tous les fidèles  ». La petitesse dont il s’agit est l’humilité de savoir que Dieu ne nous doit rien et que tous ses dons ne sont que pure miséricorde face à notre mesquinerie : voilà l’attitude juste qui perce le mystère et y fait pénétrer.

Aussi frères et sœurs, faisons-nous petits en ce jour. Approchons-nous intérieurement avec audace et simplicité de cette foule des humbles : contemplons avec amour et gratitude le Cœur de Jésus afin que son amour passe en nous et « que le Christ habite en nos cœurs » à jamais. Alors le mystère du Cœur de Jésus deviendra aussi le nôtre. Amen.

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent de Paris)
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