Homélie du Sacré Coeur : un coeur qui engage

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques du Sacré Cœur du Seigneur (année C) : Ez 34,11-16 ; Ps 22 ; Rm 5, 5-11 ; Lc 15,3-7

Il nous est aujourd’hui donner de contempler et de parler du cœur de Jésus. Mais peut-on vraiment parler du cœur de Jésus ? Cette question donne à réfléchir quand nous savons que le cœur est cet organe assez complexe que les scientifiques eux-mêmes ne finissent pas de sonder et de maîtriser ? La question est plus complexe quand le cœur lui-même devient le symbolisme par excellence de l’affectivité, des sensations et de l’intuition. On est même tenté de dire que la question devient intéressante quand on sait que « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » (Pascal).

Vu la complexité de la notion de cœur, il est juste de se demander qu’est-ce que le cœur de Jésus ? Il me semble que pour dire quelque chose du cœur de Jésus, il n’est pas inutile de remonter dans le monde biblique. Car avant que ce mystère ne soit officiellement célébré dans l’Église à partir des XVIII et XIXe siècles, ses racines sont fondamentalement bibliques. Déjà avec les prophètes de l’Ancien Testament, principalement Jérémie et Ezéchiel, on se rend compte que le cœur dans la sphère biblique est le moteur de la décision et de la mémoire ; c’est le sanctuaire du dialogue entre Dieu et l’homme et entre l’homme et l’homme, à telle enseigne que ce qui sort du cœur de l’homme révèle la personne dans son intégralité et dans son intimité. Voilà pourquoi la loi du Seigneur ne sera pas inscrite dans un autre lieu que dans le cœur : « Je mettrai ma loi au dedans d’eux, Je l’écrirai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu. Et ils seront mon peuple » (Jr 31,33).

Pour l’Israélite, dire qu’Adonaï à un cœur Bon, ce n’est rien d’autre que signifier qu’Adonaï est intrinsèquement bon. Car le cœur biblique révèle l’essence de la personne elle-même. A ce titre lorsque le disciple Bien Aimé posait la tête sur le cœur du maître, il avait conscience qu’il ne posait pas seulement la tête sur une partie du corps de Jésus, mais bien plus, il était conscient qu’il reposait dans l’être même du Fils de l’homme. Célébrer aujourd’hui le sacré cœur de Jésus c’est donc célébrer le Christ tel qu’il se présente à nous et nous révèle le visage de Dieu dans l’histoire de l’homme et des peuples.

A cet effet, les textes du jour sont une véritable richesse qui nous introduit au cœur de ce mystère et souligne des éléments qui révèlent la beauté du cœur de Dieu. L’image du pasteur mise en évidence dans la première lecture et l’Evangile est très éclairante sur la manière dont le cœur de Dieu se manifeste à nous. Les verbes utilisés dans les textes parlent en eux-mêmes : le berger veille sur ses brebis, il les délivre, il les fait paître, il les soigne et il se réjouit avec elle. Ces verbes sont l’expression de la révélation du cœur de Dieu dans l’histoire. Ils récapitulent en quelque sorte notre histoire avec Dieu. Dieu ne fait pas que manifester la bonté de son cœur dans l’acte de la création, il poursuit son œuvre en veillant sur ce qu’il a créé.

Comme le dira sainte Thérèse de Jésus : « Regarde ! Il te regarde ». Le regard du cœur de Dieu se manifeste dans une proximité qui mène vers les eaux tranquilles et fait revivre ; une proximité qui conduit par de justes chemins ; une proximité qui guide et rassure et qui sans être encombrante respecte la liberté humaine. Et même quand l’homme vient à s’égarer, dans l’acte de l’incarnation Dieu lui révèle encore que la bonté de son cœur n’a pas de limite. Elle est capable de traverser les ravins de la mort non pas sans souffrir, mais sans craindre le mal. Car dans le cœur de Dieu, l’amour est plus fort que la mort. La mort et la souffrance deviennent pour lui dans l’acte sacrificiel le lieu qui révèle son cœur comme source d’eau vive, comme miséricorde et comme amour inépuisable.

Sa parole en croix : « Père Pardonne-leur » et selon l’évangéliste Matthieu, sa dernière parole avant son ascension « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » sont des expressions de son cœur comme amour compatissant, et de son cœur comme présence continuelle en l’homme pour l’éternité. Célébrer le sacré cœur de Jésus, c’est donc en un mot s’extasier devant la folie de la croix et se laisser emporter dans le mystère d’amour dans lequel on se réjouit avec la Trinité quand un seul pécheur est converti. N’oublions toutefois pas que se réjouir avec Dieu, c’est s’engager à lui ressembler. Qu’en célébrant cette Eucharistie notre cœur se conforme à celui du Christ, et que nous chantions avec Saint Paul « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ».

fr. Elisé Alloko, ocd (Couvent de Paris)
Revenir en haut