Homélie pour St Jean de la Croix - 14 décembre 2012

donnée au couvent de Paris

Saint Jean de la Croix à travers son expérience spirituelle est un véritable chantre de la foi, il peut nous aider tout particulièrement à entrer plus avant dans cette année de la foi proposée à toute l’Église. Quel est le mode le plus habituel dans lequel la foi se vit, n’est-ce pas la nuit ? Avons-nous une foi limpide, claire ? Ne cheminons-nous pas plutôt comme à tâtons, nos pas de géants ne se résument-ils pas à des pas de fourmis ?

En ce jour, je voudrais vous proposer une démarche un peu originale, pour cette première fête de saint Jean de la Croix dans cette chapelle, je voudrais me servir de la tapisserie d’Alfred Manessier dans mon dos qui s’intitule ; « Nuit de saint Jean de la Croix ». Alfred Manessier raconte : « chaque fois que je m’enfonce dans une recherche intérieure, je rencontre cette nuit chantée par saint Jean de la Croix dans son poème : Et c’est de nuit ». Ce poème que nous dénommons habituellement : La Source.

C’est dans le cachot de Tolède que Jean de la Croix compose ce chant de l’âme, vraisemblablement au temps des fêtes de la Trinité et du Corps du Christ auxquels il fait allusion. C’est un chant de l’âme qui se réjouit de connaître Dieu par la foi. Il est centré sur les deux métaphores que sont la source et la nuit. Ne sachant pas où il est, saint Jean de la Croix entend le bruit du fleuve, le Tage, non loin duquel se trouve le couvent où il est emprisonné (en contrebas coule ce fleuve). L’expérience contemplative de l’être de Dieu, Père, Fils et Esprit se vit dans l’Eucharistie dont il est privé… Cette source, c’est donc Dieu. Tout dérive de Dieu, c’est le mystère, l’unique objet de la contemplation. Ce poème pose comme une énigme dont la solution nous est dévoilée dans les trois dernières strophes.

Chapelle avec la tapisserie de Manessier

Ici, devant vous, vous avez la thématique de la nuit qui entoure la source qui coule au centre, qui fuit devant vous, qui s’échappe à vos regards comme la rencontre de Dieu que l’on ne peut contenir, ni enfermer.

Je sais la source qui jaillit et fuit,
bien que de nuit.
 
1. Cette source éternelle est bien cachée,
pourtant sa demeure je la connais,
bien que de nuit.

C’est vraiment le chant de l’âme qui s’approche de Dieu. Cette source, notre saint nous dit la connaître mais dans la foi qui est contact, intuition, appréhension mais, nocturne, de nuit.

2. En cette nuit obscure de la vie,
je connais bien par foi la source vive,
bien que de nuit
 
3. Je ne sais sa cause, car n’en a point,
pourtant toute origine d’elle vient,
bien que de nuit.

Une "définition" du Père, de Dieu le Père, est d’être « sans origine », il est aussi « Beauté infinie » et notre saint chante la beauté de Dieu en des termes incomparables dans le Cantique Spirituel, un autre de ses poèmes. Beauté inaccessible, toujours au-delà d’une main mise et cependant saint Jean de la Croix en connaît le chemin.

4. Je sais qu’il n’y a pas chose plus belle,
et que cieux et terre s’abreuvent d’elle,
bien que de nuit.
 
5. Je sais qu’on ne peut de fond y trouver,
et que nul ne peut à gué la passer,
bien que de nuit.
 
6. Sa lumière jamais n’est altérée,
et sais que vient d’elle toute clarté,
bien que de nuit.

Dieu est aussi lumière irradiante comme un soleil. Il est vie d’où procèdent des milliers de torrents divins irriguant tous les peuples, toutes les contrées, toute la Création.

7. Je sais que ses flots vont à profusion,
et arrosent cieux, enfers et nations,
bien que de nuit.
 
8. Le flot de cette source jaillissant,
je sais qu’il est aussi vaste et puissant,
bien que de nuit.

C’est une vision dynamique de l’engendrement du Fils. Né de cette source, il lui est égal en puissance. Le Fils sort du sein du Père comme égal à lui dans un jaillissement perpétuel.

9. Et le torrent qui de ces deux procède,
je sais bien qu’aucun d’eux ne le précède,
bien que de nuit.
 
10. Je sais bien qu’ils sont trois en une eau vive,
et que l’un de l’autre, ils se dérivent,
bien que de nuit.

Cette foi est un commencement de lumière, de connaissance, donc un commencement de jouissance. Tous ces trésors, il les a entrevus dans la foi. Mais où est donc cachée cette source ? C’est la nouveauté absolue des trois dernières strophes :

11. Cette source éternelle est bien cachée,
en ce pain vivant, pour vie nous donner,
bien que de nuit.
 
12. Ici, elle appelle les créatures,
qui de cette eau boivent, bien qu’à l’obscur,
bien que de nuit.
 
13. Cette source vive que je désire,
je la vois au sein de ce pain de vie,
bien que de nuit.

Pour deviner ce que fut la vie eucharistique de Jean de la Croix, il faut se contenter de brefs passages de ses écrits (dont cet admirable poème sur la Source cachée) et de quelques épisodes de sa vie. Ils permettent cependant de découvrir la fascination qu’exerçait sur lui la Présence cachée, reconnue dans l’obscurité de la foi et avivant le désir du face à face éternel. Bien que la foi soit annoncée dès la sixième strophe par la lumière et la clarté, c’est tout à la fin seulement qu’apparaît le verbe voir.

Saint Jean de la Croix découvre Dieu dans l’Eucharistie. Il s’est opéré là un immense resserrement : c’est dans l’hostie qu’il voit cette source d’eau vive. Et nous voyons tout le credo comme un grand fleuve de Vie, de Dieu le Père au pain Eucharistique. Cette source cachée est présente dans ce pain vivant pour nous donner la Vie. Qui voit l’Eucharistie voit le Corps du Christ qui est dans le Père. C’est bien Dieu qui nous touche, nous emplit, nous abreuve.

Selon saint Jean de la Croix seul l’hiver prépare les vraies promesses, en ce sens, pour terminer et nous resituer dans notre temps de l’Avent, je vous cite un poète lituanien : « Que ton cœur soit joyeux, comme la terre qui espère sous la neige ». Au cœur de la nuit d’hiver va donc naître l’espérance. Que saint Jean de la Croix nous aide à préparer la fête de Noël qui approche à grands pas. Amen.

fr. Christophe-Marie ocd
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