Jean Soreth, réformateur du XVe siècle

La mitigation de la Règle du Carmel

Comme dans tous les Ordres, les XIV° et XV° siècles sont des temps difficiles pour les Carmes. Après avoir connu la Grande Peste, la Guerre de Cent ans et le Schisme d’occident, c’est toute l’Église qui est dans un mauvais état humain et spirituel. Recherche des grades académiques et des titres ecclésiastiques, infractions multiples au vœu de pauvreté, absentéisme à l’office divin : les Carmes se trouvaient alors, comme d’autres Ordres mendiants, menacés par la décadence…

Dans ce contexte, l’idée d’une mitigation de la Règle se fait jour. Elle fut demandée par le Général Jean Faci. Elle est accordée par le pape Eugène IV dans la bulle Romani Pontificis datée du 15 février 1432 (de la date de la demande alors que la bulle date de 1435) : allègement de l’abstinence de viande, liberté de circulation dans le couvent en dehors des temps dédiés aux exercices communs, plus tard possibilité d’alléger le jeûne, modifications de l’habit. La mitigation fut appliquée largement en Espagne mais certains régions résistèrent et de des réformes naquirent (Mantoue, Albi, Touraine). De grands supérieurs généraux cherchèrent à ramener l’Ordre tout entier à une observance plus stricte de la Règle mitigée (datant de 1432 ou 1435).

Le généralat du bienheureux Jean Soreth (1451-1471)

Un renouveau réel du Carmel commença en 1451 par l’élection au généralat du bienheureux Jean Soreth. Né à Caen (en 1395 ?), Soreth était entré chez les carmes de cette ville et avait acquis en 1438 le grade de maître en théologie à l’université de Paris. Dès 1440, il était provincial de France.

Jean Soreth

Durant son provincialat, quelques couvents de cette province embrassèrent la stricte observance. La province d’Allemagne inférieure comptait aussi quelques couvents observants, déjà avant l’avènement de Soreth au généralat, notamment ceux d’Enghien et de Moers.

Dès le chapitre de 1451, où il fut élu, le bienheureux commença son œuvre de réforme. Le nouveau général, à la personnalité riche et équilibrée, savait allier prudence, douceur et sévérité nécessaire, intériorité et efficacité. Tout en conservant la mitigation de 1432, il voulait ramener l’Ordre à une observance digne de ce nom et y rallumer la flamme de l’idéal primitif. Pour lui, « la fin de tout religieux et la perfection de son cœur, c’est de tendre à une oraison continuelle, ininterrompue, persévérante autant que le permet la faiblesse de l’homme. C’est s’avancer avec effort vers l’immobile tranquillité et la pureté perpétuelle de l’âme. » Jean Soreth savait condescendre à la fragilité humaine tout en maintenant ferme sa volonté de réforme : c’est le secret de son succès.

Ses premiers décrets, promulgués lors du chapitre de 1451, s’élevaient contre les privilèges et exemptions, cause majeure de la décadence de l’Ordre. Après ce chapitre, le nouveau général alla pacifier la province d’Allemagne inférieure, où le manque de prudence de son prédécesseur, Faci, avait suscité un schisme. A cette occasion, il visita les couvents réformés de Moers et d’Enghien, dont il approuva l’observance en 1452. La vie régulière observée en ces deux couvents fournit la base de la réforme sorethienne. Au chapitre général tenu a Paris en 1456, le bienheureux composa des statuts pour tous les couvents réformés. Ils avaient le droit d’élire eux-mêmes leur prieur ; le provincial ne pouvait les visiter qu’avec un socius réformé et n’avait pas le droit de transférer des frères en d’autres couvents ni d’introduire des non-observants dans les couvents réformés. L’activité extérieure des frères était restreinte et ils devaient renoncer a toute propriété et a tout privilège même licite. Soreth se montra très prudent en n’imposant pas la stricte observance à tout l’Ordre. Il rassemblait en des couvents spéciaux les frères qui désiraient une vie plus observante, espérant que, peu a peu, par ce noyau, tout l’Ordre serait renouvelé.

Mais le grand général ne s’en tint pas là : il n’oubliait pas le reste de l’Ordre. Afin de l’amener à une vie religieuse plus fervente, il rédigea de nouvelles constitutions, notablement différentes de celles de 1362, encore en vigueur. Le chapitre général de Bruxelles allait les approuver en 1462. Ces nouvelles constitutions insistent sur l’office divin, le vœu de pauvreté, le silence et la solitude, la garde du couvent et de la cellule, les études, le travail et les visites des supérieurs.

La réforme ne fut pas acceptée partout sans difficultés. De nombreux frères quittèrent l’Ordre. D’autres se révoltèrent, comme le studium general de Cologne, obligeant le général a sévir. Sans relâche, Soreth visitait couvents et provinces, en Italie, en France, en Allemagne, en Angleterre, voyageant le plus souvent à pied, par tous les temps. Soreth arriva ainsi à introduire et à maintenir la réforme, de manière stricte dans des couvents isolés de chaque province, de manière moins exigeante dans l’Ordre tout entier. Il joua aussi un rôle extrêmement important dans la fondation du second Ordre des Carmélites ainsi que de celle du Tiers-Ordre le 7 octobre 1452.

Ayant atteint le sommet de sa sainteté personnelle, à travers tant de luttes et de travaux, qui ne lui firent jamais oublier l’essentiel, l’union au Seigneur par l’oraison, le bienheureux Jean Soreth rendit son âme a Dieu en 1471 à Angers après la visite du couvent de Nantes, peut-être après avoir été empoisonné… Il est béatifié par le pape Pie IX en 1866. .

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