La Sainte Famille ; Mt2,13-23

D’instinct, lorsque nous relisons ce passage de la fuite en Égypte, nous sentons que nous ne pouvons le rejoindre à deux niveaux, qui sont tous deux interprétations authentiques du texte évangélique, mais qui gagnent à rester jumelés :

  • on peut suivre le récit pas à pas, filer chacun des acteurs, repérer les attitudes de soumission silencieuse, de prudence surnaturelle. ;
  • on peut aussi reprendre le récit à la lumière de l’Evangile matthéen de l’enfance et profiter de cet éclairage latéral pour mieux discerner la visée théologique de saint Matthieu.

L’Evangile de Matthieu s’ouvre par une généalogie qui répond à la question :" Qui est Jésus ? », puis le récit de sa conception virginale répond à une deuxième question : « Comment est-il venu au monde ? ». L’arrivée des Mages, qui centre la tension sur Bethléhem et la cité de David, permet de préciser "Où est né Jésus ? ». Dans l’Evangile d’aujourd’hui, le long voyage de la Sainte Famille, de Bethléem en Égypte et d’Égypte à Nazareth, répond à une quatrième question : "Pourquoi Nazareth ?"

Bien évidemment l’insistance de Matthieu présentant Jésus comme fils de David et Emmanuel reflète pour une part des controverses avec des juifs, ses contemporains, qui ne croyaient pas en Jésus et qui contestaient son origine divine en rappelant l’humilité de sa famille humaine, voire en l’accusant d’être illégitime. C’est peut-être le même groupe d’opposants que vise Matthieu en présentant Jésus comme Nazôraios. Nous savons par l’Evangile de Jean que beaucoup de juifs croyants se sont étonnés en apprenant que Jésus venait de Nazareth … « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ?", demandait Nathanaël (Jo 1,45s). « Scrutez les Ecritures, ajoutent les Pharisiens, et vous verrez qu’aucun prophète ne surgit de Galilée »(7,52), « l’Ecriture ne dit-elle pas que le Messie, étant de la famille de David, devait venir de Bethléem, le village où a vécu David ? »(7,41s)

Mathieu va au devant de cet étonnement : son récit de l’arrivée des Mages montre que Jésus a bien accompli les espérances juives concernant le Messie : en vrai fils de David, il est né à Bethléem.

Le récit de la fuite et du retour répond à son tour aux détracteurs de Jésus : ce n’est pas un hasard si Jésus venait de Nazareth et était connu comme Nazaréen. En effet le même Dieu qui avait prédit par le prophète Michée que le Messie naîtrait à Bethléem, a également parlé par les prophètes, d’un …Nazoréen puisque les prophètes ont annoncé « nazir » de Dieu, un consacré, un saint de Dieu, un « nézer », un surgeon de la race de David. Il semble bien ,en effet, que Matthieu ait joué sur les deux mots traditionnels pour lester ce qu’il dit ou laisse entendre du Nazoréen Jésus.

De plus, en un certain sens, Jésus, dans l’évangile de Matthieu, revit l’Exil et l’Exode, accomplissant ainsi l’histoire d Israël (autre motif apologétique !)… comme Israël, il va en Egypte et en revient, et le massacre des enfants à Bethléem est commenté par des paroles de Jérémie qui décrivaient l’Exil des tribus du nord. Cette visée apostolique, si apparente ici dans Matthieu 2, reste cependant secondaire. Son premier but n’est pas, finalement, de réfuter des opposants au message chrétien, mais d’introduire dans le mystère du Christ une communauté composée de juifs et de gentils. Et nous trouvons déjà au niveau de l’Evangile de l’enfance, le schéma christologique que Matthieu redéploie plus loin à propos du baptême et à propos de la résurrection, schéma en trois étapes : révélation par Dieu, proclamation, double réaction de foi et d’incroyance.

Après la révélation christologique par l‘Ange du Seigneur, concernant la conception de Jésus, nous avons le récit de la proclamation de la bonne nouvelle puis la double réaction :

  • réaction de foi chez les gentils : ce sont en effet des gentils venus de l’est qui apportent le premier hommage au roi nouveau-né, et dans ces Mages, Mathieu voit une anticipation de la parole de Jésus : « Beaucoup viendront de l’orient et de l’occident ,et prendront place à table » ;
  • réaction d’incroyance à Jérusalem de la part des autorités, dépositaires, pourtant, de la révélation.

L’Evangile de l’Enfance est ainsi un Evangile en miniature. L’Evangile est une bonne nouvelle, mais face à lui se révèle le fond des cœurs.

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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