La pratique de l’Oraison

LA PRATIQUE DE L’ORAISON

“Devenir serviteur de l’Amour” (V 11,1)

« Parlons maintenant de ceux qui commencent à être les esclaves de l’amour, car tel est, selon moi, l’heureux sort des âmes qui se déterminent à suivre, par le chemin de l’oraison, Celui qui nous a tant aimés » (V 11,1).

I / Le fondement évangélique de l’oraison

En nous invitant à faire oraison, à “être oraison”, Thérèse de Jésus nous invite d’une certaine manière à imiter le Christ Jésus lui-même : « Or la nouvelle se répandait de plus en plus à son sujet, et des foules nombreuses s’assemblaient pour l’entendre et se faire guérir de leur maladie. Mais lui [Jésus] se tenait retiré dans les déserts et priait » (Lc 5, 15-16).

Dans le début de ce chapitre 5, Jésus enseigne la foule, puis il appelle les quatre premiers disciples enfin il guérit un lépreux. Et Luc nous donne ce petit sommaire des versets 15-16. Jésus fait le choix d’arrêter deux activités importantes : l’annonce de la Parole et la guérison des malades, pour une “activité” plus importante encore : la prière. Jésus cesse de “faire” pour “être” avec son Père.

Prendre le temps de l’oraison, c’est prendre le temps de laisser des activités qui peuvent être bonnes, très bonnes même, pour être avec Dieu, pour se laisser aimer. C’est un temps gratuit donné à Dieu.

C’est pourquoi, il est important de changer de lieu pour faire oraison. Si possible changer de pièce, pour couper avec mes activités précédentes. Si ce n’est pas possible, simplement changer de siège… Poser un acte qui me dit à moi-même que je change de registre… Cela reste à trouver, à inventer par chacun dans le concret de sa vie.

II / L’oraison, un acte théologal

Faire oraison, c’est non seulement quitter, cesser ces activités, mais c’est vivre à un niveau théologal. C’est mettre en œuvre la Foi, l’Espérance et la Charité. Croire en la présence aimante et agissante de Dieu que je viens rencontrer dans la prière au-delà de ce que je sens ou ressens. Espérer en la réalisation des promesses de Dieu qui en son Fils unique veut faire de moi son enfant bien-aimé. L’Espérance nous aide à traverser le temps, la durée… Aimer Celui dont nous savons qu’il nous aime. Contempler l’amour, car « l’amour attire l’amour ». Venir lui tenir compagnie par amour pour lui, gratuitement.

Prendre conscience que cette rencontre avec Dieu ne peut se vivre que dans la Foi, l’Espérance et la Charité. Il nous faut plonger au niveau théologal (y replonger quand notre sensibilité reprend le dessus).

III / Le concret de l’oraison

Il faut “choisir” de faire oraison. Il faut décider de cesser ces activités pour une activité placée sur un autre registre.

Il peut être utile d’avoir un “coin prière” pour vivre ce rendez-vous. Ce peut être très simple : une Bible ouverte, un crucifix, une bougie, … Un petit espace qui nous aide à “passer” à autre chose.

Il faut choisir le temps que l’on va prendre et s’y tenir, pour ne pas être livré à notre ressenti (quand je crois que cela marche, je prolonge et dans l’aridité, je m’arrête).

Si possible que ce temps soit régulier et placé au même moment de la journée (si possible) de manière à devenir un habitus.

a) Entrer en oraison

Trois mots clés pour entrer dans l’oraison : Corps, Cœur, Esprit.

Corps

Prendre le temps d’accueillir mon corps, de me poser.

Trouver une position qui soit à la fois confortable pour que je n’aie pas à en changer toutes les deux minutes et en même temps qui me tienne éveillé. Mon corps, c’est moi, c’est ma capacité d’entrer en relation avec le cosmos, avec les autres, avec Dieu. La position de mon corps influence ma prière : je ne prie pas de la même manière si je suis assis, debout ou à genoux, si mes mains sont levées ou posées sur mes cuisses, …

Accueillir mon corps pour qu’il m’aide à me recueillir, à me recentrer, à m’intérioriser. Être attentif à ma respiration peut être un bon moyen de m’apaiser et de m’intérioriser.

(« Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de l’Esprit Saint » (I Co 16,19).)

Cœur

Nous ne rencontrons pas quelqu’un qu’avec notre intelligence, mais avec notre cœur.

Le cœur, centre de mon affectivité, centre de mes décisions, lieu de mon véritable engagement. Prendre le temps de descendre dans mon cœur pour découvrir ce qui l’habite. Cela nous amène à prier à partir de notre réel, du concret de notre vie et de notre être et non pas à partir d’une idée préétablie de la prière et de son contenu. Partir de ce qui habite mon cœur pour le présenter au Seigneur, avec souplesse sans m’y enfermer. Le cœur, c’est le lieu de l’exercice de ma liberté. Qu’est-ce que je veux vraiment ? Qu’est-ce que je décide de vivre en cet instant ? Qu’est-ce que je cherche ?

Décider dans mon cœur, en partant de mon réel (parfois pour m’en saisir, parfois pour m’en détacher), de ce que je veux vivre avec le Seigneur dans cette rencontre d’amitié.

Esprit

Nous ne savons pas prier comme il faut, nous avons besoin de l’œuvre de l’Esprit en nous pour prier vraiment. La prière est l’œuvre conjointe de l’homme et de Dieu. Prendre le temps de demander le don de l’Esprit Saint ; être des mendiants de l’Esprit Saint…

b) Durer dans l’oraison

S’appuyer sur la Parole

Se rappeler que dans cette rencontre, je suis précédé par le Seigneur, par son amour, par sa Parole. Ma prière est comme une réponse à Dieu qui se dit en moi, en Jésus-Christ, Verbe Incarné. Cela nous permet de souligner le lien entre lecture de la Parole (Lectio Divina) et Oraison.

Je peux faire oraison, en murmurant dans mon cœur le nom de Jésus pour le laisser m’envahir tout entier et parvenir par grâce au silence intérieur.

Il est bon aussi de prendre le temps de méditer l’Écriture. Dans un premier temps, je lis un texte bref et je réfléchis sur ce texte en étant attentif aux paroles, aux gestes de Jésus. Je regarde le Christ Jésus dans sa sainte humanité. Dans un deuxième temps, je laisser résonner en mon cœur, en mon être les quelques mots qui m’ont touché, qui ont éveillé l’amour en mon cœur.

Partir de mon réel

Parfois le concret de mon existence me colle tellement à la peau, au cœur, qu’il envahit tout le champ de ma conscience. Il faut alors partir de là.

Déposer devant le Seigneur cette situation qui nous envahit et chercher à la lui remettre en l’insérant dans le filet de la prière du Notre Père par exemple : Que ton Règne arrive… Oui qu’il arrive dans cette situation… Que ta Volonté soit faite… Oui qu’elle se réalise à travers cette situation… Pardonne-nous nos offenses… Pardonne-moi pour la part qui me revient dans cette situation ; pardonne tel ou tel comportement…

Il faut persévérer dans cette remise de soi, et de ses situations entre les mains du Seigneur. Cela nous demande la conversion qui est une vraie œuvre spirituelle.

S’offrir simplement au Seigneur

Les jours où la Parole ne me rejoint pas, se mettre simplement aux pieds du Seigneur et s’offrir à lui ; se livrer consciemment à son regard créateur et s’abandonner entre ses mains. Croire, Espérer et Aimer de tout notre être.

c) Sortir de l’oraison

Lorsque le temps fixé pour cette rencontre d’amitié s’achève, nous nous tournons vers le Seigneur pour lui rendre grâce. Le remercier pour sa Présence, pour son œuvre créatrice en nous et dans le monde.

Décider de me tourner vers l’autre : sourire à la première personne rencontrée, être attentif aux besoins de l’autre… Manifester ainsi que le fruit de la prière, de la rencontre avec le Seigneur rejaillit en amour, en service des frères et des sœurs en humanité.

d) Le combat de la prière

Prendre le temps

Quelles sont les priorités que je me donne ? J’ai du temps pour ce que je choisis de faire. Mes choix concrets manifestent clairement les priorités qui sont les miennes.

Les distractions

Si c’est un petit papillon dans le ciel de mes pensées, je la laisse passer. L’inconvénient c’est que, souvent, nous allons à la chasse aux papillons. Nous entretenons les distractions. Nous nous laissons entraîner par elles. Reprendre alors la lecture de l’Écriture pour se recentrer. Ouvrir les yeux pour les poser sur la croix, sur la Bible, sur une icône pour me ramener au Seigneur.

Murmurer consciemment le nom de Jésus.

Apprendre à avoir des petits moyens pour ne pas laisser les distractions nous égarer.

Cela suppose une « détermination déterminée » et une vigilance.

Les préoccupations

Si la distraction se tient dans l’esprit, la préoccupation habite notre cœur. Il nous faut alors “enrober” cette préoccupation dans la prière de Jésus pour que par sa grâce, cette préoccupation ne devienne plus obstacle à la prière, mais devienne elle-même prière. (Cf. Plus haut : Partir de mon réel).

L’ennui

Lorsque je m’ennuie, il est peut-être bon de m’interroger sur la manière dont je suis entré en oraison, sur les moyens que je prends pour être présent à Celui qui « prend ses délices avec les enfants des hommes » (Pr 8,31).

Si, étant revenu aux trois clés d’entrée, ayant cherché à méditer un texte de l’Écriture, je demeure dans l’ennui… alors je choisis de m’ennuyer par amour du Seigneur ; et cela change tout. Je donne mon temps, je me donne au Seigneur et d’une manière totalement gratuite en posant un acte théologal de Foi, d’Espérance et d’Amour.

Les tentations

Arrêtant l’action, nous pouvons être confrontés aux pires pensées et aux pires tentations afin de nous “dégoûter” de faire oraison. C’est le moment de vivre le combat spirituel. Ne pas chercher à répondre à la tentation, en résistant par un acte opposé, mais faire un acte anagogique, en élevant notre cœur vers le Seigneur, « en espérant tout de sa miséricorde. » Se réfugier en Dieu, pour l’aimer et se laisser aimer par lui. Consentir à sa pauvreté, à sa misère, non pour s’en satisfaire mais pour la déposer dans le foyer brûlant d’amour du cœur de Dieu

Le consentement

Il arrive parfois que nous n’arrivions pas consentir à ce qui nous est demandé et pourtant nous sentons intuitivement que c’est le chemin sur lequel le Seigneur nous appelle et nous attend.

Se rappeler que je ne suis jamais seul quand je prie. Le “oui” que je ne peux pas prononcer, je peux demander à Jésus, qui fut « oui à la volonté du Père » de venir le dire en moi.

Je peux déposer mon cœur entre les mains de Jésus ou de Marie et leur demander de m’obtenir la grâce du consentement.

Je peux aussi demander la prière des frères et des sœurs (avec discrétion sans forcément leur donner les tenants et les aboutissants de ma difficulté).

IV / Quelques conseils de sainte Thérèse de Jésus

« Que ceux qui ne trouveraient pas de maître pour leur enseigner l’oraison prennent pour maître ce glorieux saint [Joseph] » (V 6,8).

« Quelques fautes que vienne à commettre celui qui a entrepris de s’adonner à l’oraison, qu’il se garde bien de l’abandonner : avec elle, il aura les moyens de se corriger » (V 8,5).

« Voici quelle était ma manière d’oraison ? Ne pouvant discourir avec l’entendement, je cherchais à me représenter Jésus-Christ au-dedans de moi. Je me trouvais bien surtout de le considérer dans les circonstances où il a été le plus délaissé ; il me semblait que, seul et affligé, il serait, par sa détresse même, plus disposé à m’accueillir » (V 9,4).

« Dès le début, qu’on tâche de marcher avec allégresse et liberté. […] Qu’on ouvre également son âme à une grande confiance. Ne rétrécissons pas nos désirs, c’est d’une haute importance. Croyons fermement qu’avec le secours divin et des efforts, nous pourrons arriver peu à peu – ce ne sera pas en un instant – là où sont parvenus tant de saints aidés par la grâce. » (V 13,1-2).

« J’attends tout de la miséricorde de Dieu ; Personne, après l’avoir choisi pour ami, n’a été abandonné de lui. Selon moi, en effet, l’oraison mentale n’est pas autre chose qu’une amitié intime, un entretien fréquent, seul à seul, avec Celui dont nous nous savons aimés » (V 8,5).

Fr. Didier-Marie GOLAY, o.c.d.

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