La vocation à l’Amour

Les désirs de Thérèse ! Il y aurait beaucoup à dire de ces désirs insensés, qui ne sont pourtant pas des illusions puisqu’ils la portent toujours plus en avant. Nous trouvons, dans le manuscrit B adressé à sœur Marie du Sacré Cœur, un véritable feu d’artifice de désirs. Thérèse a bien été exaucée au Colisée ! Ce qu’elle vit, durant les temps d’oraison, est un véritable martyre nous dit-elle : ses désirs insatiables sont un martyre du cœur.

Sa vocation de carmélite ne suffit pas à la rendre heureuse. C’est tellement insupportable qu’il lui faut une réponse de Dieu ; aucun ange ne vient la lui donner, mais Thérèse va la chercher dans les Écritures. Elle rêvait de répondre à toutes les vocations, partout et toujours et sous leurs formes les plus héroïques. Thérèse est lucide sur le caractère délirant d’un tel désir. Seule la Parole de Dieu peut authentifier le feu qui la dévore. C’est en saint Paul qu’elle trouve la réponse, lorsqu’il affirme que l’Amour embrasse toutes les vocations : « Alors, dans ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !… » Et elle ose ajouter que cette place dans l’Église, c’est Dieu qui la lui a donnée. Seule la folie d’une Parole divine, plus sage que la sagesse des hommes, pouvait illuminer d’une joie délirante la souffrance de Thérèse et la conduire au sommet de sa réponse d’amour.

I - « La science d’amour » (Ms.B 1 r°-v°)

1) Le désir de Thérèse

La sécheresse dans l’oraison vient de ce que Jésus nous instruit dans le secret. Lui seul peut enseigner la science d’amour ; la lumière nous est parfois donnée à partir d’une parole sans que nous sachions comment elle nous est donnée.

« Je comprends si bien qu’il n’y a que l’amour qui puisse nous rendre agréable au Bon Dieu que cet amour est le seul bien que j’ambitionne. » (1r°)

Le désir de Thérèse est d’aimer ; seul compte l’amour ; cet amour est en Dieu et Jésus seul peut nous conduire à ce brasier d’amour.

2) L’enseignement de Jésus

Vivre l’amour, c’est s’abandonner comme l’enfant dans les bras de son père ; c’est expérimenter la tendresse maternelle de Dieu à notre égard ; c’est accepter d’être tout petit en présence de Dieu.

Vivre la confiance, l’abandon et la démaîtrise implique de laisser apparaître sa faiblesse et ses imperfections :

« Ah si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l’âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance, … » (Ms.B 1 v°)

Jésus nous a montré le chemin en son humanité ; il a vécu la confiance filiale jusqu’à l’offrande de sa vie sur la Croix ; c’est ainsi qu’il se révèle Fils de Dieu, son Père et notre Père.

La science d’amour permet de se réjouir d’être tout petit pour se donner à Dieu tel que l’on est ; la grâce que Dieu nous fait en son Fils est de pouvoir nous abandonner à lui totalement dans la confiance et la reconnaissance.

3) La pédagogie de Jésus

Jésus vient le premier à nous en nous faisant découvrir son propre désir, le propre désir de Dieu ; Dieu n’a pas besoin de nous et pourtant il vient mendier de l’eau à la Samaritaine ; en fait il ne demande pas de l’eau mais « à boire » ; il est fatigué, abandonné par ses disciples ; cette scène annonce son cri sur la Croix « j’ai soif ! ». La Révélation inouïe apportée par Jésus, c’est que Dieu a soif de notre amour ; c’est lui qui éveille en notre cœur le désir d’aimer totalement et toujours ; pour cela, il fait surgir de notre cœur (le puits) les désirs idolâtres pour orienter vers lui notre désir profond : « Jésus est altéré ! ». Découvrir ce mystère suscite en nous le désir de répondre au propre désir de Dieu.

II - Un rêve dans la nuit (Ms.B 2 r°-v°)

C’est un rayon de lumière dans la nuit de la foi. Il rend possible l’audace du désir malgré les ténèbres éprouvées par Thérèse ; il exprime la douceur du chemin au milieu des plus douloureuses épreuves.

« O Jésus, mon Bien-Aimé ! qui pourra dire avec quelle tendresse, quelle douceur vous conduisez ma petite âme ? Comment il vous plaît de faire luire le rayon de votre grâce au milieu même du plus sombre orage ? » (2 r°)

Thérèse croit que sa mort est prochaine et a la conviction que le Bon Dieu est content d’elle ; elle n’a rien à ajouter à ses pauvres actions.

Le voile soulevé par la Bienheureuse Anne de Jésus est un voile protecteur qui ne voile que pour découvrir la lumière ; ce n’est pas ce mur de la nuit de la foi qui obscurcit toute vue. Thérèse est en effet éprouvée depuis cinq mois par de terribles doutes sur l’existence du Ciel. C’est pour elle un véritable martyre.

III - « Mes désirs qui touchent à l’infini » (Ms.B 2 v°- 3 v°)

Thérèse épouse de Jésus, carmélite, mère des âmes reste insatisfaite ; elle sent en elle d’autres vocations qu’elle a l’audace d’exprimer à Jésus malgré leur caractère délirant. Ces désirs sont pour Thérèse un véritable martyre ; il faut qu’elle les confie à Jésus. Thérèse identifie sa recherche à celle de Marie-Madeleine auprès de tombeau vide ; elle reste toujours, elle se baisse à plusieurs reprises.

« Comme Madeleine se baissant toujours auprès du tombeau vide finit par trouver ce qu’elle cherchait, ainsi, m’abaissant jusque dans les profondeurs de mon néant je m’élevais si haut que je pus atteindre mon but… » (3 r°-v°)

Elle cherche et trouve grâce à sa foi en la Parole de Jésus qui lui apporte la lumière espérée ; elle cherche aussi en se penchant sur son propre néant, sans peur parce qu’elle met sa confiance en Jésus ; c’est là en effet que Jésus se manifeste à elle et lui révèle le caractère inouï de sa vocation : être l’amour au cœur de l’Eglise.

« O Phare lumineux de l’Amour, je sais comment arriver jusqu’à toi, j’ai trouvé le secret de m’approprier ta flamme. » (Ms.B 3 v°)

IV - être victime d’amour (Ms B 3 v°- 4 v°)

La première réponse de Thérèse à l’amour de Jésus est de consentir à la passivité ; ce consentement est actif puisqu’il se vit à travers un acte d’offrande de soi vécu avec audace. Telle est la folie de la foi :

« Je ne suis qu’une enfant impuissante et faible, cependant c’est ma faiblesse même qui me donne l’audace de m’offrir en victime à ton amour, ô Jésus ! » (Ms.B 3 v°)

Pour s’approprier l’amour, la seule voie est d’accepter qui l’on est, son statut de pauvreté devant Dieu, d’accepter de se laisser enflammer par l’amour lui-même au lieu de vouloir se hausser jusqu’à lui, se laisser saisir par le mouvement même de l’amour qui vient à nous ; le désir confronté à son impuissance ouvre à la découverte de l’amour.

« Oui, pour que l’amour soit pleinement satisfait, il faut qu’il s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au néant et qu’il transforme en feu ce néant… » (Ms.B 3 v°)

Dieu lui-même s’abaisse jusqu’au néant ; il s’agit ici du néant de Thérèse qui a accepté son impuissance, sa faiblesse, son imperfection, sa petitesse, qui a choisi de rester petite pour s’offrir à Dieu, au feu de son amour :

Ainsi, à l’abîme vertigineux du néant correspond l’abîme de l’amour ; ils s’appellent mutuellement ; ce néant, c’est aussi concrètement la nuit dans laquelle se trouve Thérèse ; Thérèse est prête à rester dans cette nuit aussi longtemps que le Seigneur le voudra.

V - Jeter des fleurs (Ms B 4 r°-v°)

Aimer, c’est agir avec les moyens qui sont les nôtres, même s’ils nous paraissent dérisoires au regard des besoins de l’Église et du monde.

La fleur est symbole de beauté et de gratuité.

Appliqué à nos œuvres, ce symbole est signe d’humour : ne pas se prendre trop au sérieux en tout ce que nous faisons ; c’est Dieu qui est l’agent premier de notre salut ; librement et gratuitement il nous donne de participer à son œuvre.

En même temps, cette insistance dit le sérieux de la vie chrétienne qui consiste à incarner le désir fou d’aimer dans l’humble fidélité à le vivre à travers les petites choses de la vie quotidienne ; c’est un chemin d’humanité en ce qu’il nous donne d’assumer avec amour notre finitude à la suite de Jésus, le Verbe de Dieu fait chair pour nous ouvrir à l’amour de Dieu.

VI - La parabole du petit oiseau (Ms B 4 v°- 5 v°)

Mais Thérèse s’interroge à nouveau : Cet amour est-il bien dans son cœur ? La parabole du petit oiseau vient éclairer ce dilemme vécu dans la nuit de la foi ; la foi reste le seul chemin et c’est en elle que se vit cette folie d’amour. Ainsi, les sombres nuages, l’orage n’attristent pas Thérèse ; au contraire, ils sont pour elle cause de la joie parfaite ; de sa nuit, elle fait sa joie et son bonheur. Ce premier temps de la joie consiste à pouvoir nommer la profondeur des ténèbres où elle se trouve, de pouvoir en avoir une conscience pleinement lucide.

Vient ensuite la réalité durable du bonheur comme fruit d’une volonté et d’une longue patience ; ce bonheur est de « rester là quand même, de fixer l’invisible lumière qui se dérobe à sa foi. » (Ms.B 5 r°) Durer dans la foi est cette grâce étonnante que Thérèse découvre et dont le rêve n’était que le prélude (cf Ms.B 2 v°).

Revenir en haut