La vocation mariale

Avant de commencer la rédaction de ses souvenirs, Thérèse va s’agenouiller devant la statue de Marie ; cette statue provenait des Buissonnets et était chargée de toute une histoire de grâces et de joies familiales ; agissant ainsi, Thérèse est fidèle à l’acte de consécration à Marie qu’elle fit au jour de sa première communion ; elle avait été choisie pour le prononcer au nom de toutes les premières communiantes :

« Il était bien juste que je parle au nom de mes compagnes à ma Mère du Ciel, moi qui avais été privée si jeune de ma Mère de la terre… Je mis tout mon cœur à lui parler et à me consacrer à elle comme une enfant se jette dans les bras de sa mère et lui demande de veiller sur elle… » (f.35v°)

Thérèse établit elle-même un lien entre la souffrance que constitua la perte de sa mère à l’âge de quatre ans et demi et son attachement à la Vierge Marie. N’était-ce pas aussi le sourire de la Vierge qui l’avait sauvée de la mort à l’âge de dix ans ? C’est à Marie encore qu’elle consacrera son dernier poème (Pourquoi je t’aime, ô Marie) au moment de mourir après avoir offert sa courte vie au Christ dans l’Ordre de la Vierge :

« Toi qui vint me sourire au matin de ma vie Vient me sourire encore… Mère… voici le soir !… » (PN 54,25)
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I - La Vierge du sourire

Thérèse, privée de sa mère, avait trouvée en sa sœur Pauline une seconde mère. Son propre père avait joint à son amour pour elle un amour vraiment maternel (cf. f.13r°) ; l’ensemble de la famille offre d’ailleurs à Thérèse, dans le cadre des Buissonnets, un milieu protecteur et maternel : elle n’est heureuse que là ! Le rôle de Pauline est prépondérant et son départ au Carmel constitue un choc émotif profond pour Thérèse. Lorsqu’à Pâques 1883 elle se retrouve chez son oncle et sa tante en raison de l’absence de son père et de ses deux sœurs Marie et Léonie, Thérèse sombre alors dans une maladie nerveuse qui consterne toute la famille.

De retour aux Buissonnets, elle est l’objet d’une attention constante de la part de sa sœur aînée Marie sur laquelle elle a reporté tout son besoin de tendresse maternelle. On a placé près d’elle cette fameuse statue de Marie « qui a parlé deux fois à Maman. » (f.29 v°) Thérèse lui exprime toute sa détresse. Le récit qu’elle nous fait de la lutte qui précéda la grâce de sa guérison est poignant. C’est le cri d’un tout petit enfant que Thérèse prononce avec une angoisse d’une intensité croissante : « Mama… Mama… » (f.30r°) Sa sœur aînée accourt et s’agenouille auprès d’elle en se tournant vers la statue ; puis Céline et Léonie viennent faire de même. Thérèse est au plus profond de l’abîme : « Ne trouvant aucun secours sur la terre, la pauvre petite Thérèse s’était tournée vers sa Mère du Ciel ; elle la priait de tout son cœur d’avoir enfin pitié d’elle. » (f.30r°) C’est alors que le miracle se produisit. Thérèse voit la Vierge Marie lui sourire. Celle qui nous fut donnée par Jésus lui-même comme signe de la tendresse maternelle de Dieu a répondu au cri désespéré de sa petite fille.

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II - Une nouvelle naissance

Qu’est-il advenu au juste ? Lorsque Thérèse rétablie va rendre visite au Carmel pour y voir sa sœur Pauline, les carmélites l’accablent de questions sur cette vision. Thérèse est décontenancée. On cherche à se représenter ce qui fut surtout une grâce spirituelle de certitude intérieure, la certitude d’avoir en Marie la Mère la plus belle, la plus souriante, la plus aimante qui se puisse désirer. Elle qui vivait dans le délire depuis plusieurs semaines n’aurait-elle pas menti ? Cette question va devenir la cause d’un tourment intérieur qui ne s’apaisera que quatre ans plus tard devant la statue de Notre-Dame des Victoires à Paris. Thérèse est alors confirmée dans cette certitude que Marie lui a souri. De fait, n’avait-elle pas alors retrouvé la force de faire confiance à la vie et d’en accepter la douloureuse réalité avec ses séparations et ses morts ?

Ce fut comme une nouvelle naissance. Elle reçut du sourire de Marie la grâce de vivre et elle en reste marquée au plus profond de son être. L’important n’est pas de savoir si Thérèse a eu une vision fort difficile de toute façon à distinguer des hallucinations qu’elle avait alors. L’important est la grâce de confiance en la vie que Thérèse a reçu par la médiation de Marie. Elle a compris qu’en Marie, Dieu ne laisserait jamais mourir la force d’un amour maternel dont elle a un besoin vital. Ce qui est admirable dans cet événement, c’est que la grâce mariale puisse rejoindre la souffrance à une telle profondeur : cela est plus miraculeux qu’une vision ! Dans le contexte d’une maladie qui atteint jusqu’aux racines de sa personnalité, c’est par Marie que Thérèse reçoit la grâce de sourire à nouveau à la vie !

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III - Une lumière pour toute l’existence

Elle voudra signifier sa reconnaissance en faisant partie de l’association des enfants de Marie malgré les sacrifices que cela lui demandera. Devenant carmélite, elle sera heureuse d’entrer dans l’Ordre de la Vierge et de porter son habit. Approchant du terme de son itinéraire terrestre, elle consacrera à Marie son dernier et plus long poème :

« Toi qui vint me sourire au matin de ma vie Vient me sourire encore… Mère… voici le soir !… »(PN 54,25)

Ce sourire de Marie a ainsi illuminé toute la vie de foi de Thérèse. Elle qui fut si profondément blessée dans son affectivité au point d’en perdre la raison et presque la vie, a puisé dans ce sourire la grâce d’une renaissance.

Par son Esprit, Dieu veut aussi nous faire renaître en sa tendresse. Marie nous donne de découvrir ce mystère, elle qui fut toute entière livrée à l’Esprit et reçut de Jésus à la Croix la mission d’être notre Mère. Le sourire de Marie est plus vrai que toutes les blessures infligées par la vie. Il est un signe de la tendresse de Dieu plus certain que toutes nos détresses. Il peut ouvrir à la confiance le cœur de toute souffrance humaine et conduire à la vie la profondeur de l’homme !

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IV - Au commencement, le sourire

Il y a une dimension originaire du sourire en toute existence humaine. Lors des régressions que provoque la souffrance, nous pouvons, comme Thérèse, rejoindre au plus profond le sourire de Marie pour renaître à la confiance et à l’espérance : laisser jaillir ces douces larmes qui libèrent de larmes bien amères.

Nous contemplons pour cela Marie dans l’Évangile silencieusement présente, gardant fidèlement toutes choses en son cœur. (cf.Lc.2,19.51) Marie, notre mémoire silencieuse des merveilles de Dieu, nous rejoint en effet dans cette dimension fondamentale de notre histoire humaine : l’expérience du sourire.

Le sourire de Marie apparaît alors comme fondement de l’existence et promesse de son accomplissement en Dieu, comme signe de l’amour de Dieu pour nous. Notre expérience humaine s’enracine ainsi dans l’expérience de foi. Le sourire de la mère est ce sur quoi repose notre expérience de Dieu. Il devient en Marie Révélation du mystère de Dieu comme amour prévenant et inconditionnel.

Ce sourire rend possible le travail de deuil, le consentement à la séparation sur la base d’une confiance fondamentale. L’enfant sait qu’il ne sera pas abandonné. Le croyant sait que la Résurrection est le sens de la Croix.

Pour passer de ce sourire originel à l’expression adulte de la foi évangélique, un travail est nécessaire. Il y a en effet un passage normal par un usage idolâtrique de certains aspects de la foi. Nous projetons sur tel aspect du mystère notre désir de toute puissance qui est dénégation de la finitude et de la mort. Grâce au cheminement de la foi vécu en église, nous intégrons progressivement toutes les dimensions du mystère. La découverte initiale reste vraie. Elle l’est même plus que jamais car elle est enrichie par toutes les autres dimensions du mystère de la foi.

Le sourire de Marie devient proprement icône du mystère de Dieu lorsque Marie est contemplée debout au pied de la Croix. Le recours à la figure maternelle de Marie ne conduit pas alors à une dénégation de la souffrance et de la mort. Les Évangiles de l’Enfance font eux-mêmes ce travail en annonçant déjà la Passion et la mort de Jésus.

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V - Jusqu’au bout, le service

Thérèse montre comment elle a accompli elle-même ce travail de la foi à travers son poème sur Marie (Pourquoi je t’aime, ô Marie). Sa méditation est éclairée uniquement par l’écriture d’une manière tout à fait originale pour l’Église de son temps. Nous passons ainsi de la représentation d’une mère toute puissante, capable d’assurer la vie à sa petite fille menacée d’anéantissement, à la vision d’une femme qui vit dans la nuit de la foi et sert humblement sa famille.

« Ce ne sont point les travaux de Marthe que Jésus blâme, ces travaux, sa divine Mère s’y est humblement soumise toute sa vie puisqu’il lui fallait préparer les repas de la Sainte Famille. » (Ms.C 36 r°)

Au lieu d’idéaliser Marie, Thérèse voit en elle une femme simple et proche de notre expérience concrète. Marie est ainsi notre Mère en étant attentive à nos besoins, mais surtout en nous donnant Jésus. Mais, nous pouvons aussi nous reconnaître en elle, car elle a connu la souffrance et en cela, elle est avant tout notre Sœur.

Marie, notre Sœur, est en effet un modèle imitable pour tout chrétien :

  • modèle de charité dans l’humble service du prochain,
  • modèle d’espérance à travers son silence dans les épreuves,
  • modèle de foi lorsqu’elle cherche Dieu dans la nuit,
  • modèle d’exultation dans la louange (Lc.1,46-55) et de prière humble et confiante (Jn.2,1-12).

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