Le livre de la Parole et celui de la nature (2r°-4r°)

C’est à vous, ma Mère chérie, à vous qui êtes deux fois ma Mère, que je viens confier l’histoire de mon âme… Le jour où vous m’avez demandé de le faire, il me semblait que cela dissiperait mon cœur en l’occupant de lui-même, mais depuis Jésus m’a fait sentir qu’en obéissant simplement je lui serais agréable ; d’ailleurs je ne vais faire qu’une seule chose : Commencer à chanter ce que je dois redire éternellement « Les Miséricordes du Seigneur !!! »

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I - Le mystère des préférences de Jésus

Avant de prendre la plume, je me suis agenouillée devant la statue de Marie (celle qui nous a donné tant de preuves des maternelles préférences de la Reine du Ciel pour notre famille), je l’ai suppliée de guider ma main afin que je ne trace pas une seule ligne qui ne lui soit agréable.

Ensuite ouvrant le Saint Évangile, mes yeux sont tombés sur ces mots : « Jésus étant monté sur une montagne, il appela à Lui ceux qu’il lui plut ; et ils vinrent à Lui. » (Saint Marc, Chap. III, v. 13). Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme… Il n’appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu’il lui plaît ou comme le dit Saint Paul : « Dieu a pitié de qui Il veut et Il fait miséricorde à qui Il veut faire miséricorde. Ce n’est donc pas l’ouvrage de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » (Ep. aux Rom. chap. IX, v. 15 et 16).

Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas un égal degré de grâces, je m’étonnais en Le voyant prodiguer des faveurs extraordinaires aux Saints qui l’avaient [2v°] offensé, comme Saint Paul, Saint Augustin et qu’Il forçait pour ainsi dire à recevoir ses grâces ; ou bien en lisant la vie de Saints que Notre Seigneur s’est plu à caresser du berceau à la tombe, sans laisser sur leur passage aucun obstacle qui les empêchât de s’élever vers Lui et prévenant ces âmes de telles faveurs qu’elles ne pouvaient ternir l’éclat immaculé de leur robe baptismale, je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre avant d’avoir même entendu prononcer le nom de Dieu…

Jésus a daigné m’instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature et j’ai compris que toutes les fleurs qu’Il a créées sont belles, que l’éclat de la rose et la blancheur du Lys n’enlèvent pas le parfum de la petite violette ou la simplicité ravissante de la pâquerette… J’ai compris que si toutes les petites fleurs voulaient être des roses, la nature perdrait sa parure printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes…

Ainsi en est-il dans le monde des âmes qui est le jardin de Jésus. Il a voulu créer les grands saints qui peuvent être comparés aux Lys et aux roses ; mais il en a créé aussi de plus petits et ceux-ci doivent se contenter d’être des pâquerettes ou des violettes destinées à réjouir les regards du bon Dieu lorsqu’Il les abaisse à ses pieds. La perfection consiste à faire sa volonté, à être ce qu’Il veut que nous soyons…

J’ai compris encore que l’amour de Notre Seigneur se révèle aussi bien dans l’âme la plus simple qui ne résiste en rien à sa grâce que dans l’âme la plus sublime ; en effet le propre de l’amour étant de s’abaisser, si toutes les âmes ressemblaient à celles des Saints docteurs qui ont illuminé l’Eglise [3r°] par la clarté de leur doctrine, il semble que le bon Dieu ne descendrait pas assez bas en venant jusqu’à leur cœur ; mais Il a créé l’enfant qui ne sait rien et ne fait entendre que de faibles cris, Il a créé le pauvre sauvage n’ayant pour se conduire que la loi naturelle et c’est jusqu’à leurs cœurs qu’Il daigne s’abaisser, ce sont là ses fleurs des champs dont la simplicité Le ravit… En descendant ainsi le Bon Dieu montre sa grandeur infinie. De même que le soleil éclaire en même temps les cèdres et chaque petite fleur comme si elle était seule sur la terre, de même Notre Seigneur s’occupe aussi particulièrement de chaque âme que si elle n’avait pas de semblables ; et comme dans la nature toutes les saisons sont arrangées de manière à faire éclore au jour marqué la plus humble pâquerette, de même tout correspond au bien de chaque âme.

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II - « Chanter les miséricordes du Seigneur »

Sans doute, ma Mère chérie, vous vous demandez avec étonnement où je veux en venir, car jusqu’ici je n’ai rien dit encore qui ressemble à l’histoire de ma vie, mais vous m’avez demandé d’écrire sans contrainte ce qui me viendrait à la pensée ; ce n’est donc pas ma vie proprement dite que je vais écrire, ce sont mes pensées sur les grâces que le Bon Dieu a daigné m’accorder. Je me trouve à une époque de mon existence où je puis jeter un regard sur le passé ; mon âme s’est mûrie dans le creuset des épreuves extérieures et intérieures ; maintenant comme la fleur fortifiée par l’orage je relève la tête et je vois qu’en moi se réalisent les paroles du psaume XXII. (Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans des pâturages agréables et fertiles. Il me conduit doucement le long des eaux. Il conduit mon âme sans la fatiguer… Mais lors même que je descendrai dans la vallée de [3v°] l’ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal, parce que vous serez avec moi, Seigneur !…) Toujours le Seigneur a été pour moi compatissant et rempli de douceur… Lent à punir et abondant en miséricordes !… (Ps. CII, v. 8)

Aussi, ma Mère, c’est avec bonheur que je viens chanter près de vous les miséricordes du Seigneur… C’est pour vous seule que je vais écrire l’histoire de la petite fleur cueillie par Jésus, aussi je vais parler avec abandon, sans m’inquiéter ni du style ni des nombreuses digressions que je vais faire. Un cœur de mère comprend toujours son enfant, alors même qu’il ne sait que bégayer, aussi je suis sûre d’être comprise et devinée par vous qui avez formé mon cœur et l’avez offert à Jésus !…

Il me semble que si une petite fleur pouvait parler, elle dirait simplement ce que le Bon Dieu a fait pour elle, sans essayer de cacher ses bienfaits. Sous le prétexte d’une fausse humilité elle ne dirait pas qu’elle est disgracieuse et sans parfum, que le soleil lui a ravi son éclat et que les orages ont brisé sa tige, alors qu’elle reconnaîtrait en elle-même tout le contraire. La fleur qui va raconter son histoire se réjouit d’avoir à publier les prévenances tout à fait gratuites de Jésus, elle reconnaît que rien n’était capable en elle d’attirer ses regards divins et que sa miséricorde seule a fait tout ce qu’il y a de bien en elle… C’est Lui qui l’a fait naître en une terre sainte et comme toute imprégnée d’un parfum virginal. C’est Lui qui l’a fait précéder de huit Lys éclatants de blancheur. Dans Son amour, Il a voulu préserver sa petite fleur du souffle empoisonné du monde ; à peine sa corolle commençait-elle à s’entr’ouvrir que ce divin Sauveur l’a transplantée sur la montagne du Carmel où déjà les deux Lys qui l’avaient entourée et doucement bercée au printemps de sa vie répandaient [4r°] leur suave parfum… Sept années se sont écoulées depuis que la petite fleur a pris racine dans le jardin de l’Epoux des vierges et maintenant trois Lys balancent auprès d’elle leurs corolles embaumées ; un peu plus loin un autre lys s’épanouit sous les regards de Jésus et les deux tiges bénies qui ont produit ces fleurs sont maintenant réunies pour l’éternité dans la Céleste Patrie… Là elles ont retrouvé les quatre Lys que la terre n’avait pas vus s’épanouir… Oh ! que Jésus daigne ne pas laisser longtemps sur la rive étrangère les fleurs restées dans l’exil ; que bientôt la branche de Lys soit complète au Ciel !

Je viens, ma Mère, de résumer en peu de mots ce que le bon Dieu a fait pour moi, maintenant je vais entrer dans le détail de ma vie d’enfant ; je sais que là où tout autre ne verrait qu’un récit ennuyeux votre cœur maternel trouvera des charmes… Et puis les souvenirs que je vais évoquer sont aussi les vôtres puisque c’est près de vous que s’est écoulée mon enfance et que j’ai le bonheur d’appartenir aux parents sans égaux qui nous ont entourées des mêmes soins et des mêmes tendresses.

Oh ! qu’il daignent bénir la plus petite de leurs enfants et lui aider à chanter les miséricordes divines !…

Copyright Cerf/DDB

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