Pentecôte 2007 ; Jean 14,15-16.23b-26

« Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. »

Le récit des actes des apôtres que nous venons d’entendre commence par “le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu.” (Ac 2,1) Comme la fête de Pâque, chronologiquement, la Pentecôte est d’abord une fête juive. Si la passion et la résurrection de Jésus ont correspondu avec la fête juive de la Pâque, c’est que Jésus, le messie attendu, accomplissait cette Pâque qui libère pleinement le Peuple de Dieu de l’esclavage du péché et de la mort. Nous ne pouvons comprendre la Pâque nouvelle qu’en considérant la première Pâque juive et comme son accomplissement. De même, pour la Pentecôte, la venue de l’Esprit Saint sur la première communauté en ce jour de fête juive n’est pas anodine. Le sens chrétien de cette fête trouve ses racines dans celui que donnaient les juifs au jour de la Pentecôte.

Cinquante jours après Pâque, les juifs célébraient donc la fête de la Pentecôte, dont le premier sens était celui de l’offrande des prémices des récoltes au Seigneur. Les premiers fruits de la terre sont apportés au Temple. (Ex 23, 16 ; Lv 23, 15-20) Mais rapidement un autre sens va s’imposer dans la liturgie juive, en lien avec l’exode. D’après des calculs rabbiniques, la loi fut donnée à Moïse au Sinaï cinquante jours après la première Pâque. D’une fête liée au cycle de la nature, la Pentecôte s’est transformée en fête liée à l’histoire du salut. C’est ce sens qui a certainement guidé St Luc pour la rédaction du récit de la Pentecôte dans les actes des apôtres puisqu’il reprend les traits caractéristiques de la manifestation de Dieu au Sinaï : un terrible coup de vent et le feu.

C’est d’ailleurs en effectuant ce rapprochement que les premières communautés chrétiennes recherchent le sens profond du don de l’Esprit Saint. Dans son traité sur le Saint Esprit, St Augustin écrit : « Qui ne serait frappé de cette coïncidence et en même temps de cette différence ? Cinquante jours séparent la célébration de la Pâque du jour où Moïse reçut la loi écrite par le doigt de Dieu sur les tables ; et pareillement, cinquante jours après la mort et la résurrection de celui qui comme un agneau fut conduit à l’immolation, le doigt de Dieu, c’est-à-dire l’Esprit Saint, remplit lui-même les fidèles réunis. » Du coup, les prophéties de Jérémie et d’Ezéchiel sur la nouvelle alliance trouvent leur accomplissement : « « Voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël après ces jours-là, oracle du Seigneur. Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. » (Jr 31, 33)

Avec la nouvelle alliance, d’une loi extérieure et écrite, reprenant un ensemble d’obligations morales et cultuelles, nous passons à une loi intérieure, présence divine au cœur de l’homme. Ce qu’Ezéchiel avait entrevu lorsqu’il disait : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon Esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes. » (Ez 36, 26-27)

La fête de la Pentecôte est donc pour le chrétien celle du don de la loi véritable qu’est l’Esprit Saint répandu dans nos cœurs. C’est dans cette perspective que se comprend le chapitre VIII de l’épître aux Romains dont nous avons lu un extrait et où Paul oppose la loi de l’Esprit qui donne vie à la loi mosaïque qui est incapable de sauver. En effet, seul l’Esprit Saint répandu en nos cœurs par la foi et le baptême nous fait accéder au salut réalisé par Jésus. Toute loi, tout texte écrit, au mieux, donne la connaissance du bien et du mal, mais ce n’est pas la loi écrite qui nous permet de réaliser le bien. Au début du chapitre VIII de l’épître aux Romains, Paul le dit clairement, c’est « la loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus. » (Rm 8, 2) L’apôtre précise dans l’épître aux Galates, « en effet, s’il nous avait été donné une loi capable de communiquer la vie, alors la justice procéderait de la Loi. » (Ga 3, 21)

C’est pourquoi la loi nouvelle donnée par Jésus n’est pas, au sens strict, celle promulguée au mont des béatitudes, mais celle gravée dans les cœurs au jour de la Pentecôte. Certes, on peut considérer que les préceptes évangéliques sont plus parfaits et plus élevés que ceux de la loi de Moïse, toutefois, à eux seuls, ils seraient restés tout aussi inefficaces. S’il avait suffi de proclamer de nouveaux commandements, on ne pourrait expliquer la nécessité salutaire de la Passion du Christ ni celle de la venue de l’Esprit Saint. Il aurait suffi pour Jésus d’indiquer la bonne loi à suivre, puis de mourir paisiblement en bon maître de sagesse entouré de ses disciples parvenus à la perfection grâce à son enseignement. Or la vie de Jésus et celles des apôtres nous montrent que cela ne suffisait pas, eux qui ont dès le début écouté et suivi Jésus, furent incapables de lui être fidèles ; et ils restaient enfermés jusqu’à la venue de l’Esprit.

Sans la grâce du Saint Esprit, même l’Evangile donc, même le commandement nouveau de l’amour mutuel, serait resté une loi ancienne, une lettre stérile. Car le commandement nouveau de l’amour ne l’est pas quant à la lettre, il est nouveau car l’amour est répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui est lui la loi nouvelle. Ainsi Saint Jean écrit : « Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, c’est un commandement ancien, que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue. Et néanmoins, encore une fois, c’est un commandement nouveau que je vous écris (…) puisque les ténèbres s’en vont et que la véritable lumière brille déjà. » (1Jn 2, 7-8)

Cette nécessité du don de l’Esprit pour accéder à la vie promise, et l’inefficacité de tout discours, Saint Thomas d’Aquin l’assure dans sa somme théologique quand il commente l’affirmation de Paul “la lettre tue, seul l’Esprit vivifie”. « La lettre, dit saint Thomas, désigne tout texte écrit qui demeure extérieur à l’homme, fût-ce le texte des préceptes moraux contenus dans l’Évangile. Il en conclut que même la lettre de l’Évangile tuerait, si, à l’intérieur de l’homme, ne s’y adjoignait la grâce guérissante de la foi. » (S. Th. I-IIae, q. 106 a.2)

Connaître la différence entre la loi ancienne écrite et la loi nouvelle de l’Esprit n’est pas seulement une question théorique de plus ou moins grande intelligence de la foi, mais c’est aussi une question pratique dont découlent des conséquences concrètes pour notre vie.

Le passage de l’ancienne à la nouvelle alliance ne se fait pas par l’adhésion intellectuelle ou morale aux valeurs de l’Evangile, mais par l’accueil de l’Esprit saint qui renouvelle notre cœur. Est chrétien, non pas celui qui croit à la lettre de l’Evangile, mais celui qui confesse Jésus Christ venu dans la chair et par cela reçoit l’Esprit qui fait de lui un fils. Conformer sa vie aux valeurs de l’Evangile ne vient que dans un second temps, après avoir adhéré dans la foi au mystère révélé dans la personne du Christ Jésus. C’est l’Esprit Saint répandu en nos cœurs qui donne la vie et conforme notre vie aux préceptes évangéliques.

Le passage à la loi de l’Esprit s’est effectué sacramentellement par notre baptême, mais il doit se réaliser existentiellement et spirituellement dans chacune de nos vies. Nous naissons tous avec les désirs de la chair qui s’opposent à l’esprit, nous naissons tous avec la crainte servile d’un Dieu juge, nous naissons tous avec la confiance dans les œuvres humaines plus que dans la foi au Christ, nous naissons tous sous la loi du péché. Bref, nous sommes dès la naissance des hommes anciens, et il s’agit de devenir des hommes nouveaux dans le Christ, car renouvelés intérieurement par l’Esprit Saint qui crie en nous “Abba, Père ! ”. « Ne pense pas, écrivait Origène, que le renouvellement de la vie opérée une fois pour toute au commencement suffise ; continuellement, chaque jour, il faut renouveler la nouveauté elle-même. » Chaque jour, il nous faut refuser de tomber sous l’ancienne loi.

L’Esprit du Christ qui caractérise la nouvelle alliance n’est pas premièrement une manifestation extérieure de puissance miraculeuse ou charismatique, mais un principe intérieur de vie nouvelle. Une nouvelle Pentecôte doit renouveler avant tout le cœur de l’Eglise et des chrétiens en accueillant la loi nouvelle qu’est l’Esprit de Dieu. Les chrétiens n’annoncent pas une doctrine, mais manifestent l’homme nouveau créé à l’image du Christ. Il ne s‘agit pas d’abord d’obéir à des règles extérieures, mais d’accueillir et de se donner à l’Esprit qui nous habite dans l’obéissance de la Foi. Seul l’Esprit Saint est le fondement, le principe, la loi nouvelle qui guide notre vie.

Fr. Antoine-Marie, o.c.d.

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