Pentecôte -C-

Le récit des actes des apôtres que nous venons d’entendre commence par “le jour de la Pentecôte étant arrivé…” (Ac 2,1). Comme la fête de Pâque, chronologiquement, la Pentecôte est d’abord une fête juive. Si la passion de Jésus a correspondu avec la fête juive de la Pâque, c’est que Jésus, le messie attendu, accomplissait cette Pâque qui libère pleinement le Peuple de Dieu. Nous ne pouvons comprendre la Pâque chrétienne qu’en considérant la première Pâque juive dont elle est l’accomplissement. De même, pour la Pentecôte, la venue de l’Esprit Saint sur la première communauté chrétienne en ce jour de fête juive n’est pas un hasard. Le sens chrétien de cette fête trouve ses racines dans celui que donnaient les juifs au jour de la Pentecôte.

Cinquante jours après Pâque, les juifs célèbrent la fête de la Pentecôte, dont le premier sens est celui de l’offrande des prémices des récoltes au Seigneur. Mais rapidement un autre sens va s’imposer dans la liturgie juive, en lien avec l’exode. D’après des calculs rabbiniques, la loi fut donnée à Moïse au Sinaï 50 jours après la première Pâque. C’est ce sens qui a guidé St Luc pour la rédaction du récit de la Pentecôte dans les actes des apôtres puisqu’il reprend les traits spécifiques de la manifestation de Dieu au Sinaï : un terrible coup de vent et le feu. C’est d’ailleurs en effectuant ce rapprochement que les premières communautés chrétiennes recherchent le sens profond du don de l’Esprit Saint. Dans son traité sur le Saint Esprit, St Augustin écrit : « qui ne serait frappé de cette coïncidence et en même temps de cette différence ? Cinquante jours séparent la célébration de la Pâque du jour où Moïse reçut la loi écrite par le doigt de Dieu sur les tables ; et pareillement, cinquante jours après la mort et la résurrection de celui qui, comme un agneau, fut conduit à l’immolation, le doigt de Dieu, c’est-à-dire l’Esprit Saint, remplit lui même les fidèles réunis ensemble » (De Spir. Litt. 16, 28). Du coup les prophéties de Jérémie et d’Ezéchiel sur la nouvelle alliance trouvent leur accomplissement : « Voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël après ces jours-là, oracle du Seigneur. Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. » (Jr 31, 33)

Avec la nouvelle alliance, d’une loi extérieure et écrite, reprenant un ensemble d’obligation morale et cultuelle, nous passons à une loi intérieure, présence divine au cœur de l’homme. C’est ce qu’Ezéchiel avait entrevu lorsqu’il disait : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau (…). Je mettrai en vous mon Esprit et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes. » (Ez 36, 26-27) La fête de la Pentecôte est donc pour le chrétien celle du don de la loi véritable qu’est l’Esprit Saint répandu dans nos cœurs. C’est dans cette perspective que se comprend le chapitre 8 de l’épître aux Romains dont nous avons lu un extrait et où Paul oppose la loi de l’Esprit qui donne vie à la loi de Moïse qui est incapable de sauver. Toute loi, tout texte écrit, au mieux, donne la connaissance du bien et du mal, mais ce n’est pas la loi écrite qui nous permet de réaliser le bien. L’apôtre précise dans l’épître aux Galates, « en effet, s’il nous avait été donné une loi capable de communiquer la vie, alors la justice procèderai de la Loi. » (Ga 3, 21)

C’est pourquoi la loi nouvelle donnée par Jésus n’est pas, au sens strict, celle promulguée au mont des béatitudes, mais celle gravée dans les cœurs au jour de la Pentecôte. Certes, on peut considérer que les préceptes évangéliques sont plus parfaits et plus élevés que ceux de la loi de Moïse, toutefois, à eux seuls, ils seraient restés tout aussi inefficaces. S’il avait suffi de proclamer de nouveaux commandements, on ne pourrait expliquer la nécessité salutaire de la Passion du Christ ni celle de la venue de l’Esprit Saint. Il aurait suffi pour Jésus d’indiquer la bonne la loi à suivre, puis de mourir paisiblement en bon maître de sagesse entouré de ses disciples parvenus à la perfection grâce à son enseignement. Or la vie des apôtres nous montre que cela ne suffisait pas, eux qui ont dès le début écouté et suivi Jésus, furent incapable de lui être fidèles ; et ils restaient enfermés jusqu’à la venue de l’Esprit.

Un théologien orthodoxe écrivait : « les apôtres eurent l’avantage d’être instruit de toute doctrine et qui plus est, par le Sauveur lui-même, ils furent spectateurs de toutes les grâces déversées par lui dans la nature humaine et de toutes les souffrances endurées pour les hommes. Ils le virent même mourir, ressusciter et monter au ciel, pourtant, bien qu’ayant connu tout cela, tant qu’ils ne reçurent pas l’Esprit Saint au jour de Pentecôte, ils ne montrèrent rien de nouveau, de noble, de spirituel, de meilleur qu’auparavant. Mais quand vint pour eux le temps où le Paraclet fit irruption dans leur âme, alors ils devinrent des hommes nouveaux et ils embrassèrent une vie nouvelle ; ils furent des guides pour les autres et firent brûler la flamme de l’amour du Christ en eux-mêmes et dans les autres. De la même manière Dieu conduit à la perfection tous les saints venus après eux. »

Sans la grâce du Saint Esprit, même l’Évangile donc, même le commandement nouveau de l’amour mutuel, serait resté une loi ancienne, une lettre stérile. Car le commandement nouveau ne l’est pas quant à la lettre, il est nouveau, car l’amour est répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui est lui la loi nouvelle. Cette nécessité du don de l’Esprit pour accéder à la vie promise, et l’inefficacité de tout discours, St Thomas d’Aquin l’assure dans sa Somme Théologique quand il commente l’affirmation de Paul “la lettre tue, seul l’Esprit vivifie”. « La lettre, dit saint Thomas, désigne tout texte écrit qui demeure extérieur à l’homme, fût-ce le texte des préceptes moraux contenus dans l’Évangile. » Il en conclut que même la lettre de l’Évangile tuerait, si, à l’intérieur de l’homme, ne s’y adjoignait la grâce guérissante de la foi. ( S. Th. I-IIae, q. 106 a.2).

Ainsi, en ce jour de Pentecôte, nous devons nous rappeler que le plus important pour notre vie spirituelle, ce n’est pas la connaissance de la lettre de l’évangile ni des commandements, mais d’accueillir et développer la présence de l’Esprit Saint en nos cœurs. C’est cette présence en moi qui fait de moi un chrétien, un disciple de Jésus. Tous mes efforts pour progresser doivent trouver en cette présence leur source, et s’appuyer sur elle plus que sur notre propre volonté. Car l’Esprit Saint a été répandu en nos cœurs pour être notre guide, notre force et notre lumière, mieux que tout guide ou lumière extérieure à nous même. L’Esprit saint, c’est la loi de Dieu inscrit dans nos cœurs.

Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.

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