Thérèse et Marie

La relation Thérèse avec la Vierge Marie n’est pas de l’ordre de la dévotion, mais de la relation vitale. En effet, Thérèse Martin a perdu sa mère lorsqu’elle avait 4 ans et ce drame familial l’a marquée profondément. Elle en a été remise par une grâce qu’elle reçut à Noël 1886, à l’âge de 14 ans et demi.

Parmi les conséquences de cette mort, il y eut une maladie qu’elle eut lorsque sa sœur Pauline est entrée au Carmel. Thérèse est tombée gravement malade à l’âge de 10 ans, une maladie dont elle disait qu’elle ne savait pas si elle allait en mourir ou rester folle. La médecine du temps était impuissante. Dans sa famille et au Carmel où se trouve sa sœur Pauline, on prie spécialement Notre Dame des victoires, en raison de ce grand sanctuaire parisien très aimé par les Martin et les Guérin.

Thérèse sera guérie le 13 Mai 1883 par un sourire de la Vierge.

Cette expérience est vécue à travers une statue de Marie qui avait été donnée par une vieille dame d’Alençon à Monsieur Martin. Cette statue suivra Thérèse toute sa vie, jusqu’à l’infirmerie du Carmel. Elle se trouve maintenant au-dessus de sa châsse à Lisieux.

Thérèse prend alors vraiment Marie comme sa Mère jusqu’à la fin de sa vie. Elle va entrer au Carmel qui est un ordre consacré à Marie : les premiers frères Carmes, ermites sur le Mont Carmel en Terre Sainte, s’appelaient les frères de la Vierge.

Lorsque Monsieur Martin mourra, après son internement à l’hôpital du Bon Sauveur de Caen, les meubles des Buissonnets seront dispersés et la Vierge du sourire viendra au Carmel. Thérèse aura la permission de la mettre dans son avant-cellule. Lorsqu’elle s’offrira à l’amour miséricordieux, elle fera passer son offrande par les mains de Marie en la prononçant aux pieds de cette statue.

Mais l’enseignement que donne Thérèse sur Marie, date des derniers mois de sa vie. Elle dira à l’infirmerie à sa sœur Agnès : « je n’ai jamais entendu de sermon qui m’ait plu sur la Sainte Vierge », ce qui n’est pas très aimable pour les prédicateurs de son temps, et elle ajoute : « Je ne voudrais pas mourir sans dire ce que j’ai à dire sur la Vierge. » Elle va rédiger un grand poème au mois de Mai 1897 (" Pourquoi je t’aime ô Marie") et meurt au mois de septembre suivant. Ce long poème de 25 strophes constitue une théologie mariale tout à fait remarquable qui anticipe ce que le Concile Vatican II dira de la Vierge Marie. Thérèse revient à la Parole de Dieu : elle lit l’Evangile. Son poème est tout simplement sa méditation des textes évangéliques sur Marie. Elle commence à l’Annonciation et termine à la Croix.

Ce qui pousse Thérèse à écrire ce poème, c’est que les prédications de son temps ont tellement exalté Marie qu’elles l’ont éloignée du Peuple chrétien. On en a fait quelqu’un de tellement extraordinaire qu’à la limite, on la craindrait. Or dit Thérèse : « comment pourrai-je craindre ma Mère ? » Elle voit au contraire en Marie la première chrétienne, celle qui a suivi son fils Jésus de l’Annonciation à la Croix. Elle souligne que Marie a vécu une vie toute ordinaire : « J’ai entendu dire tant de choses sur la Sainte Vierge que cela la rend inabordable, alors qu’il faudrait la rendre imitable. » Marie a vécu la vie la plus ordinaire, elle qui, à Nazareth, allait chercher l’eau à la fontaine et faisait les repas de Joseph et de Jésus. « Je sais qu’à Nazareth, Mère pleine de grâce, tu vis très pauvrement, ne voulant rien de plus ; point de ravissement, de miracle, d’extase, n’embellissent ta vie ô Reine des élus. Le monde des petits est bien grand sur la terre : ils peuvent sans trembler vers toi lever les yeux. C’est par la voie commune incomparable Mère qu’il te plaît de marcher pour les guider aux cieux. » Simple femme, « Marie est plus Mère que Reine. » Toute la théologie de Thérèse se résume dans cette réalité, fondée sur l’Evangile selon Saint Jean, lorsque Jésus nous donne sa Mère : « Femme, voici ton Fils, Fils, voici ta Mère. ».

Thérèse souligne que Marie a vécu de foi comme nous. Elle a sûrement entendu dire que la Sainte Vierge savait tout d’avance. Pourtant elle voit que Marie a vécu en suivant son Fils au jour le jour, qu’elle a été déroutée lorsqu’elle a perdu Jésus dans le Temple et à plus forte raison lorsqu’elle s’est retrouvée au pied de la Croix. Marie a été profondément associée à la Passion de son Fils. La Mère d’un condamné à mort devient ainsi la figure de l’Église. Elle était l’Église au sens où elle nous représentait tous. Pendant que son Fils vivait la Passion pour le salut du monde, elle vivait la compassion.

Dans ce portrait de Marie, on peut lire en filigrane le portrait de Thérèse. Thérèse aussi a vécu de foi. Sa prière a été aride, difficile, bien souvent dans la nuit et dans les 18 derniers mois de sa vie, elle est passée par une épreuve très profonde. Elle l’a reçue comme une participation à la Passion du Christ. Dans cette épreuve, elle se sent seule assise à la table des pécheurs, les incroyants de son temps. Elle accepte de rester seule dans la nuit pour qu’ils aient la lumière.

Pour Thérèse, Marie est aussi le symbole de ce que le Seigneur fait dans la petitesse, dans la pauvreté : Marie vit cette voie d’enfance qu’elle essaie de vivre elle-même. La puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse, dans la pauvreté, dans l’apparemment insignifiant. Marie pourra chanter dans son Magnificat : « Le Seigneur a fait en moi de grandes choses. Toutes les générations me diront bienheureuse. » Thérèse, à sa manière, reconnaîtra aussi que le Seigneur a fait en elle de grandes choses parce qu’elle était toute petite et qu’elle acceptait cette pauvreté pour être disponible au Seigneur. Avec Thérèse et Marie, nous avons deux figures de femme. Thérèse en tant que femme était bien placée pour entrer dans le mystère profond de Marie. L’approche de Thérèse peut nous faire entrevoir le mystère de la vie de Marie. Marie ne peut pas être une dévotion particulière qui dépende de notre sensibilité ou de notre histoire. Marie est au cœur du mystère chrétien.

Le cœur du mystère chrétien, c’est le Christ qui nous mène au Père dans l’Esprit. Le Christ a voulu avoir cette mère pour l’introduire dans la réalité de la vie humaine. Il a associé cette femme à sa Passion et à sa Résurrection. Thérèse ne mentionne pas la Résurrection dans son poème, car elle reste dans les limites de l’Évangile, mais elle sait très bien que cette femme, cette mère, est entrée dans le gloire ; la Pâques de Marie, c’est son Assomption. Marie est la seule ressuscitée en son corps et en son âme. Le parfait accomplissement de l’humanité est actuellement réalisé en cette femme à l’image du Christ. Marie est une créature, mais tellement associée au salut et à la Passion de son Fils qu’elle participe maintenant à la vie Trinitaire en tant que créature. Marie est ainsi au cœur du mystère chrétien. Ceci nous concerne puisque Marie est figure de l’Église et que là où Marie est passée, l’Eglise passera.

En conclusion, évoquons la dernière strophe de sa grande méditation mariale :

« Bientôt je l’entendrai cette douce harmonie / Bientôt dans le beau Ciel, je vais aller te voir. / Toi qui vins me sourire au matin de ma vie / Viens me sourire encor… Mère… voici le soir !… / Je ne crains plus l’éclat de ta gloire suprême. / Avec toi j’ai souffert et je veux maintenant / Chanter sur tes genoux, Marie, pourquoi je t’aime / Et redire à jamais que je suis ton enfant. » )]

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