Vigiles Pascales 2008

Dans l’épître de saint Paul que nous avons entendu (Rm 6, 3-11), l’apôtre nous rappelle le lien entre la passion de Jésus et sa résurrection pour notre propre justification, pour notre salut. Mais, comment et pourquoi la passion du Christ et sa résurrection sont sources de salut pour nous ? Quelle espérance nous ouvre la résurrection ?

Beaucoup de justes ont souffert à travers l’histoire, et beaucoup ont souffert physiquement plus que Jésus. La passion de Jésus ne nous sauve pas de manière comptable, c’est-à-dire en considérant simplement qu’un juste a souffert injustement à la place des pécheurs. Le Père ayant pris sa satisfaction dans la mort de son Fils, nous ferait grâce de la nôtre. Mais, la différence entre les souffrances du Christ au jour de sa passion et celle de tous les hommes n’est pas quantitative, elle est qualitative. Il y a dans l’être du Christ une rencontre inimaginable, celle du péché et de la mort qu’il prend sur lui avec la vie divine. Saint-Paul dans ses épîtres va souvent beaucoup plus loin que nous n’osons le faire nous-mêmes pour décrire la passion de Jésus. Selon Paul, au jour de sa passion, Jésus est devenu malédiction (Ga 3,13) et il s’est fait péché pour nous (1 Co 5,21).

Dans la tradition biblique, la malédiction et le péché, c’est l’abandon de Dieu, le vide de la séparation d’avec Dieu. Et c’est au jardin des oliviers que le Christ accepte cette rencontre contre-nature de la vie et de la mort. Identifiée au péché, Jésus va faire l’expérience de la séparation d’avec Dieu, les phrases et des attitudes qui signifient son désarroi face à sa passion ne sont pas du cinéma. Il mange le pain des pécheurs, il ne comprend pas pourquoi il se trouve sans Dieu, lui qui a toujours fait la volonté de son Père. Mais malgré cette séparation, cette solitude, on ne trouve, en sa bouche aucun mot de révolte. Jésus descend au plus secret de son cœur, et il transforme la révolte qui marque le cœur du pécheur en une prière de supplications. Il transforme le « non » d’Adam en un oui, un Amen. Cette épreuve du Christ, lui seul pouvait la vivre. Il prend sur lui les conséquences de la faute, du péché, c’est-à-dire la séparation d’avec Dieu, sans avoir commis cette faute. Et dans cette épreuve, il demeure fidèle, il ne renie pas l’amour du Père. Dès lors la résurrection de Jésus vient certifier pour les hommes que cette voie du chemin de la croix était juste, et que la fidélité dans l’amour est la voie du salut. La résurrection, ce sont les retrouvailles du Père et du Fils. C’est la tendresse du Père pour son Fils qui lui dit : non, je ne t’ai pas abandonné. La communion entre le Père et le Fils n’a jamais été réellement brisée, mais Jésus avait fait l’expérience de la séparation dans son humanité. Mais, alors qu’il a été identifié au péché, le Christ est demeuré fidèle dans son attitude filiale d’offrande au Père, et le Père n’a jamais rejeté son Fils. La passion et la résurrection de Jésus sont sources de salut pour nous, car le mystère pascal réalise l’œuvre de fidélité à Dieu qui était au-dessus de nos forces. Par sa fidélité malgré tout, le Christ a ouvert la porte de l’alliance nouvelle avec Dieu. Et la résurrection témoigne que la communion avec Dieu ne vient pas d’abord de l’absence du péché, de la pratique de la loi, mais de la fidélité dans la confiance et l’amour au Père qui ne fait jamais défection à ses fils.

La résurrection est l’œuvre de l’amour du Père qui s’est penché sur Jésus, qui, bien qu’identifiée au péché, n’a pas abandonné la voie de la confiance et de l’amour. Jésus nous montre là le chemin pour atteindre, nous aussi, la vie éternelle, malgré notre péché, nous pouvons espérer avoir accès à la vie divine si nous demeurons dans cette attitude d’offrande, de confiance et d’amour. En ressuscitant Jésus d’entre les morts, le Père ne nous donne pas seulement une preuve sûre à son sujet, mais aussi pour nous une vivante espérance. L’espérance que la vie s’ouvre pour nous, car nous n’avons plus rien à prouver par nous-mêmes, mais à recevoir de la main de Dieu. Jésus qui s’est fait péché pour nous, qui est devenu malédiction, a reçu du Père la vie éternelle en réponse à son acte de confiance et d’amour sur la croix. De même nous devons garder au cœur l’espérance de notre résurrection, celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts nous ressuscitera aussi. Le pardon de nos fautes et le don de la vie éternelle sont désormais inscrit dans notre chair par le baptême. Le Christ a été les prémices de la résurrection, et les prémices annoncent la pleine récolte.

Nous devons garder au cœur cette ferme espérance de la vie qui l’emporte toujours sur les forces du péché, de la mort. Nous devons espérer que quelque chose peut changer aussi dans notre vie, qu’il n’est pas vrai que tout va continuer fatalement comme il en a toujours été avec nos médiocrités, nos fautes, nos échecs, comme s’il n’y aura jamais rien de nouveau. Espérer, cela veut dire croire que cette fois-ci, ce sera différent, même si, cent fois, nous l’avons déjà cru et que chaque fois nous avons été déçus. C’est notre fidélité dans la voie de la confiance et de l’amour qui touchera le cœur de Dieu, comme Jésus a touché le cœur de son Père au jour de sa passion. Cette fidélité ne pourra tenir que si elle est soutenue par la petite fille de l’espérance comme l’appelle Charles Péguy. Les trois vertus théologales « avancent ensemble, en se tenant par la main, la petite fille espérance est au centre. À les voir, il semblerait que ce sont les grandes qui entraînent la petite, mais c’est tout le contraire : c’est la petite qui entraîne les deux grandes. C’est l’espérance qui entraîne la foi et la charité. Sans l’espérance de tout s’arrêterait. »

Aucune tentative vers le bien, même si elle n’aboutit à rien, n’est totalement vaine et inutile. Dieu tient compte de tout, et sa grâce sera proportionnée, un jour, à toutes les fois que nous avons eu le courage de recommencer à nouveau, comme si tous les démentis du passé ne comptaient pour rien. À la lumière de la passion et de la résurrection de Jésus, nous devons espérer qu’il n’y a pas de chaîne, aussi solide et ancienne qu’elle soit, qui ne puissent être brisé. Ce Jésus qui alla visiter ceux qui gisaient dans les ténèbres des enfers et qui a brisé les portes de la mort peut délivrer n’importe quelle situation d’emprisonnement spirituel et de mort. Au moment opportun, selon l’amour du Père, Jésus pourra saisir notre main et nous arracher de nos tombeaux et dire comme pour son ami Lazare : vient dehors ! Saisissons donc la main tendue du Sauveur, comme Adam et Ève, dans l’icône, et ressuscitons-nous aussi avec Jésus en tenant fermes dans l’espérance de la résurrection.

Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.

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