Bartimée et le synode (Ho 30° dim. TO 24/10/21)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Jr 31, 7-9 ; Ps 125 ; He 5, 1-6 ; Mc 10, 46-52

« Voici que je les (…) rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c’est une grande assemblée qui revient.  » Cette promesse de Dieu adressée à Jérémie qui figure le retour de déportation d’Israël pourrait bien constituer l’esquisse de l’Église synodale dont le pape François dit avec autorité que c’est une telle Église que veut le Seigneur : « Le chemin de la synodalité est précisément celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire. [1] » Vision d’une Église qui « marche ensemble », sous la conduite du Père, avec une capacité à intégrer tout le monde, notamment les membres les plus fragiles comme l’aveugle et le boiteux mais aussi celles qui sont promesses de fécondité, comme la femme enceinte ou accouchée. Ce peuple de Dieu avance ensemble en implorant le salut : « Seigneur, sauve ton peuple !  » Voici donc quelle serait la vision, le but à atteindre ; toute la question est la manière dont nous y parvenons. Le document préparatoire au Synode 2023 en montre un chemin. Peut-être que l’évangile d’aujourd’hui à sa manière pourrait aussi nous éclairer sur ce chemin.

Tout d’abord, la scène commence par une sortie. « Jésus sortait de Jéricho. » Écho frappant au vocabulaire cher au pape François appelant de ses vœux une « Église en sortie ». La foule sort de Jéricho et le lieu n’est pas neutre. Jéricho est une ville qui a été l’objet de la malédiction de Josué lors de l’entrée en terre promise car elle s’est opposée à Israël (Jos 6,26) : aussi a-t-elle été rasée. Jéricho est donc symbole de malheur ; ainsi un prêtre qui l’a reconstruit l’a fait au prix du sacrifice de ses deux fils raconte le 1er livre des Rois (1 Rois 16,34). Il s’agit donc de sortir du malheur et de la malédiction. Pour l’Église aujourd’hui, l’urgence est de sortir avec détermination du système de la pédocriminalité qui a fonctionné en son sein. Plus largement, l’enjeu est de pouvoir redonner crédibilité à l’annonce de l’Évangile. Le péché de certains membres de l’Église ne doit pas éteindre la flamme missionnaire mais cela suppose un engagement collectif durable.

La scène évangélique nous présente une scène de double transformation. La plus évidente est celle de Bartimée qui passe du statut de mendiant aveugle sur le bord de la route à celui de disciple qui marche à la suite de Jésus, au moment d’ailleurs où celui-ci entre à Jérusalem. Son cheminement personnel passe par plusieurs attitudes : l’audace du cri adressé à Jésus « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi !  », la persévérance dans ce cri malgré la réaction hostile de « beaucoup de gens » et enfin la décision de jeter son manteau qui peut être le symbole de ses ambiguïtés, par exemple la complaisance qu’il trouvait à son statut de mendiant, d’exclu qui vit dans la plainte. Et voici Bartimée tout transformé et intégré au peuple de Dieu en marche hors du malheur.

La deuxième transformation est celle, plus anonyme, de la foule ou, du moins de beaucoup d’entre eux. En effet, au début, « beaucoup de gens » de la foule veulent empêcher Jésus d’écouter le cri de Bartimée. Mais quelques instants après, « on appelle donc l’aveugle, et on lui dit : ‘Confiance, lève-toi ; il t’appelle.’ » Étonnant volte-face de la foule qui non seulement ne fait plus obstacle mais facilite le lien avec Jésus en invitant Bartimée à marcher avec confiance. Quel changement ! Et on peut tout à fait supposer que les disciples faisaient partie de la foule et ont vécu cette conversion puisque juste avant (souvenons-nous dimanche dernier), ils se disputaient pour savoir qui siègerait à la droite et à la gauche de Jésus.

Et voilà qu’au terme de cet évangile, tout ce peuple avance vers Jérusalem, en ayant intégré ce Bartimée qui quitte son malheur. Mais quel a été finalement le déclic pour la transformation ? « Jésus s’arrête et dit : ‘Appelez-le.’ » Marcher ensemble ne suffit pas. Il faut aussi s’arrêter pour écouter, écouter ceux qui crient et écouter la parole de Jésus. La foule décide d’écouter la parole de Jésus et de lui obéir avec foi. Bartimée fait de même, à sa manière. C’est donc bien l’écoute de Jésus dans la foi qui est la clef du changement. Dans la mesure où nous écoutons la Parole de Dieu, nous sommes convertis pour apprendre à nous écouter les uns les autres par-delà nos parasitages.

Car aucun membre de l’Eglise n’est immaculé qu’il n’ait à se convertir en écoutant le Seigneur lui dévoiler ses péchés. Nous devons apprendre personnellement et ensemble à nous approcher de Jésus ce grand prêtre « capable de compréhension envers ceux qui commettent des fautes par ignorance ou par égarement. » Jésus n’est pas venu pour nous condamner mais pour nous sauver. Cela, Bartimée l’a bien compris. Et Jésus ne nous sauve pas de façon magique. Ainsi il n’appelle pas Bartimée directement mais il demande à la foule de le faire. Manière de montrer que Jésus fait confiance à son Esprit Saint qui travaille la foule et peut la convertir. Le Christ a confiance dans le travail de l’Esprit dans l’Église et hors de l’Église pour convertir l’humanité en une fraternité universelle. Même quand nous désespérons, Jésus espère car il sait le travail de l’Esprit. Aussi nous pouvons également espérer malgré notre scepticisme. C’est d’ailleurs ce que nous avons demandé dans la prière d’ouverture : « Dieu éternel et tout-puissant, augmente en nous la foi, l’espérance et la charité ; et pour que nous puissions obtenir ce que tu promets, fais-nous aimer ce que tu commandes. » Certes cette transformation collective ne sera jamais notre œuvre mais celle de l’Esprit ; pour autant notre collaboration reste indispensable.

Frères et sœurs, prenons le temps de méditer cet évangile pour découvrir à quelle conversion le Seigneur nous appelle, que nous nous reconnaissions plus dans Bartimée ou dans la foule, que nous soyons laïcs, religieux ou prêtres. Peu importe, laissons la Parole de Dieu nous transformer et faire toute chose neuve. Et que nous puissions dire alors humblement et en vérité : « Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête ! » Amen

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)

[1François, Discours pour la Commémoration du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Évêques, 17 octobre 2015

El Greco, Guérison de l'aveugle (détail)
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