Le chemin vers la joie (Homélie dim 3e Avent)

Textes liturgiques (année B) : Is 61, 1-2a.10-11 ;Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54 ;1 Th 5, 16-24 ; Jn 1, 6-8.19-28

« Frères, soyez toujours dans la joie » : cet appel à la joie incessante qui clôt la lettre aux Thessaloniciens est également présent à la fin de la lettre aux Philippiens (4,4.5). Et c’est ce verset qui est repris dans l’antienne d’ouverture de notre messe (commençant par le verbe Gaudete) : « Soyez dans la joie du Seigneur, soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche. » Saint Paul ne fait pas que nous inviter de manière générale à la joie. Ces deux appels à la joie sont précisément reliés dans chaque lettre à l’annonce de la venue imminente du Seigneur. C’est parce que le Seigneur est proche que nous sommes appelés à nous réjouir ! Il est donc bien logique de reprendre cette invitation pressante en ce 3e dimanche de l’Avent. Surtout en cette année où la 4e semaine est réduite au seul jour du dimanche 24 décembre… Il ne faut donc pas rater la 3e semaine pour prendre le tournant de la joie au risque de passer à côté de la semaine préparatoire de Noël. Dès demain, les textes de la liturgie vont tourner nos regards vers l’attente imminente de la naissance de Jésus autour de Marie et de Joseph, mais aussi d’Elisabeth et Zacharie. L’attente lointaine du Messie dans l’Ancien Testament cède la place à l’attente proche : un environnement familier se crée autour de Marie et de Joseph. La crèche va apparaître en bien des endroits, si ce n’est pas déjà fait.

Mais c’est peut-être précisément là, avec la crèche, que notre méprise pourrait être grande… La méprise de nos habitudes, de notre paresse. Nous allons ressortir nos crèches, sapins et décorations de Noël pour célébrer la naissance de celui que nous pensons trop bien connaître. Et voici que salutairement l’Eglise nous interpelle par la voix de Jean Baptiste dans l’évangile : «  au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas.  » Nous ressemblons tellement à ces prêtres et lévites qui interrogent Jean Baptiste sur son identité pour être rassurés et veulent lui coller une étiquette, celle du Messie, d’Elie ou du grand prophète attendu. Mais le Précurseur résiste à ces prête-noms. Il n’est qu’une voix qui doit annoncer la venue de la Parole, du Verbe de Dieu. Et lui sera encore bien différent de celui qu’ils imaginaient. Il en est probablement ainsi pour nous. L’appel à la joie qui traverse ce dimanche risque de rester sans réponse réelle de notre part si nous ne prenons pas conscience de la méprise qui nous menace. Nous pensons tellement connaître le petit Jésus de la crèche que nous risquons bien d’attendre une idole de plus, au lieu d’accueillir Celui qui vient nous sauver de nos encroûtements. «  Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas  » proclame la voix à ceux d’entre nous qui voudront bien l’entendre. Tant que nous ne prendrons pas la mesure de la radicalité de cette affirmation, nous ne serons pas capables d’entrer dans la vraie joie de Noël.

Oh, bien sûr, nous ne savons que trop bien revêtir extérieurement nos parades de fête et nous mettre au diapason des rites collectifs. Mais qu’en sera-t-il de notre cœur ? Sera-t-il vraiment visité par la joie de Noël ? La joie de Noël ne visite que des cœurs de pauvres et l’annonce aux bergers dans la nuit sainte viendra le confirmer. Pas d’annonce aux pharisiens, aux prêtres, aux lévites, à Hérode et sa cour. Ils ne sont pas capables d’entrer dans la joie de la venue d’un Messie pauvre. Seul celui qui a un cœur de pauvre, dépouillé de bien des suffisances et d’images de pouvoir peut vivre une rencontre véritable. Seul celui-là est apte à accueillir la surprise d’un Messie pas comme les autres.Comme le dit la première béatitude, les pauvres de cœur sont heureux car le Royaume des Cieux leur est livré. Eux seuls sont capables de discerner sa présence au milieu de nous. « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » mais que les petits peuvent percevoir car leur yeux dépouillés voient clair. Ils sont capables de « discerner la valeur de toute chose » comme le demande aussi saint Paul car ils sont vaccinés contre les joies trompeuses et éphémères.

Voilà donc quel pourrait être notre itinéraire spirituel en cette semaine préparatoire à Noël : un chemin de dépouillement pour entrer dans la vraie joie. C’est d’ailleurs ce que nous avons demandé ensemble dans l’oraison liturgique d’ouverture : «  Tu le vois, Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère : pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau. » Notre joie doit être redirigée, convertie vers le si grand mystère de l’Incarnation. Celui qui va naître dans la crèche est le Dieu saint, le Dieu tout Autre que nous n’avons jamais fini de connaître car il ne sera jamais le prolongement de nos imaginations limitées. Jésus sera bien le Messie, le Christ mais ce titre n’enferme pas le Fils de Dieu dans un costume sans mesure que nous aurions nous-même taillé. C’est plutôt notre personne qui sera mesurée par la bonté de Dieu. Dieu nous apporte la joie parfaite, la joie complète par le don de son Fils. Pour la recevoir il faut ouvrir largement notre cœur, il faut creuser en profondeur pour que le Seigneur y déverse cette joie divine en abondance.

Frères et sœurs, mettons-nous donc cette semaine à l’école de la Vierge Marie dont le cantique du Magnificat montre à quelle point elle était pauvre intérieurement, ouverte à tous les possibles et dépouillée de toute esprit de propriété. Marie nous ouvre ainsi le chemin vers la joie parfaite, dans la pauvreté et la simplicité. Nous pouvons aussi penser aux derniers chapitres de la Montée du Carmel où saint Jean de la Croix nous montre comment diriger notre joie vers Dieu, en prenant de la distance face aux petites joies trop centrées sur notre moi. Il s’agit pour nous de désinvestir nos énergies des choses qui nous absorbent et dont nous attendons qu’elles nous donnent une joie qu’elles sont incapables de transmettre, afin que nous récupérions notre liberté intérieure. Alors nous pourrons réinvestir ces énergies en Dieu par la foi, l’espérance et la charité. Réinvestissement douloureux mais libérateur, dépouillant car il nous faut ensuite attendre que Dieu comble ce vide mais pacifiant car ce n’est que le Messie de Dieu qui nous apporte la paix véritable.

Voilà le chemin véritable vers la joie de Noël ! Que l’humble servante du Seigneur nous aide à trouver les moyens concrets de le parcourir cette semaine. Et qu’ainsi dans une semaine, notre joie soit émerveillée, comme celle des bergers ! Amen

fr.Jean-Alexandre de l’Agneau - (Couvent d’Avon)

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