Le don et la tentation (Ho 1° dim. carême - 6/03/22)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Dt 26,4-10 ; Ps 90 (91) ; Rm 10, 8-13 ; Lc 4, 1-13

« Fils d’Adam, fils de Dieu. » Ainsi s’achève le dernier verset du chapitre 3 de l’évangile de Luc qui précède tout juste le passage que nous venons d’entendre. Saint Luc intercale en effet entre le récit du baptême de Jésus et celui de la tentation au désert une généalogie de Jésus que Matthieu avait placée en tête de son évangile. Luc qui s’adresse à des chrétiens issus du paganisme veut montrer comment Jésus n’est pas que fils d’Abraham mais aussi d’Adam. En ce sens, le Christ vient accomplir tout le projet de Dieu sur l’humanité. Or ce projet avait mal commencé : Dieu avait tout donné à Adam et Eve mais la ruse du serpent avait falsifié le don de Dieu et conduit l’humanité à l’errance. Jésus, fils d’Adam apparaît ici comme le nouvel Adam. Investi au baptême de sa dignité de fils de Dieu, il affronte le serpent des origines pour changer le cours de l’histoire. La scène de la tentation d’Adam se rejoue. Jésus est tenté comme Adam sur le don de Dieu ; va-t-il lui aussi succomber au soupçon à l’encontre de son Père ? Va-t-il se défier de Dieu et agir à sa guise ? Croira-t-il lui aussi qu’au fond Dieu serait un obstacle à son bonheur ? En sa personne, Jésus va épuiser toute forme de tentation et mettre fin à la malédiction humaine. Le Fils de Dieu a ouvert une brèche dans le cycle infernal du péché des origines. Son oui jusqu’au bout rachète tous nos refus et toutes nos démissions. C’est bien par lui que nous sommes sauvés.

Comme au jardin de la Genèse, le diable attaque à partir du don de Dieu. Il est menteur dès l’origine et s’y prend toujours de la même façon. Dieu donne et le diable frelate le don, ou plus précisément, il trouble le regard que nous portons sur le don que Dieu nous fait. Ce don est-il vraiment bon ? Ou n’ai-je pas à m’en saisir pour m’en faire le propriétaire unique et ainsi être indépendant ? Au baptême, Dieu dit dans une voix du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » Le cœur de la vie de Jésus est son identité filiale et la généalogie se conclue en reprenant cette révélation faite au baptême : Jésus est fils de Dieu. Et l’adversaire de reprendre ses mots par trois fois : « si tu es Fils de Dieu ». Trois attaques sous trois angles différents, ceux de la parole, de la gloire et de la liberté.

De la parole d’abord : « ordonne à cette pierre de devenir du pain. » C’est la tentation du miracle. La parole de Jésus se révèlera en effet puissante, telle la parole de Dieu dans la Genèse. Elle est efficace : il dit et ordonne, et cela est. N’est-ce pas d’ailleurs ce que Jésus fera dans ses guérisons et ses exorcismes ? Il fera preuve d’autorité et cela stupéfiera les foules. Mais ce sera toujours pour accomplir la mission confiée par son Père : faire advenir son Royaume. Or ici le diable incite Jésus à utiliser la force de sa parole pour son bien personnel ; détourner l’ordre de la création instauré par son Père afin d’assouvir sa faim en transformant une pierre en pain. Non, Jésus refuse ce détournement ; il assume le manque de la faim ; car sa nourriture la plus profonde est l’accomplissement de la volonté de son Père. Sa propre parole est toujours reliée à la Parole du Père ; puisqu’en réalité il est lui-même en sa personne la Parole de Dieu devenue chair.

Deuxième attaque de l’adversaire sous l’angle de la gloire  : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes. » Dans son baptême, Jésus a reçu la gloire d’être le Fils bien-aimé du Père. Cela devrait suffire comme cela aurait dû suffire à Adam et Eve. Mais le diable fait miroiter une autre gloire : « vous serez comme des dieux  », à la façon bien humaine. Il présente la gloire de ce monde bien plus attractive en apparence que la gloire divine. Mais de nouveau Jésus refuse de se séparer de son Père ; il ne veut pas d’une gloire de domination et de puissance. Pour lui, être fils de Dieu consistera à se maintenir dans la gloire de l’amour et du service.

Dernière attaque sous l’angle de la liberté. Être fils de Dieu impliquerait de faire tout ce que l’on veut en sachant que Dieu pourvoira, au point même de se donner la mort et de tenter le Dieu vivant. Non, Jésus ne comprend pas ainsi l’identité humaine. Dieu a donné à Adam une vraie liberté et une conscience qu’il respecte. C’est d’ailleurs le fondement de sa responsabilité. Jésus comme Fils de Dieu sait que son Père lui a tout remis entre les mains ; il ne va pas jouer avec sa vie. Il va la recevoir comme un don et la donner à son tour jusqu’au bout. Il n’attendra pas que Dieu le sauve par un coup de baguette magique à la croix. Dieu prend au sérieux la liberté de ses enfants et respecte leur choix.

Ainsi Jésus nous dévoile ce que c’est qu’être fils de Dieu. Car s’il est le Fils, c’est en tant qu’il est l’aîné d’une multitude de frères et sœurs. Jésus nous manifeste donc notre vocation la plus profonde. Le don du baptême est fait à chacun pour que nous devenions davantage fils et filles de Dieu. Pour cela, nous avons à mener un combat spirituel : accueillir le don de Dieu et en accompagner le déploiement au long de notre vie. Il nous faut devenir toujours plus des êtres de parole vraie, des personnes cherchant la gloire d’aimer et des humains assumant leurs responsabilités. Jésus nous a ouvert la voie de la filiation véritable. Que ce carême nous aide donc à revenir à la source de la vie qui est l’amour du Père ; avec les mots de saint Paul, que ce carême soit l’occasion de confesser dans notre cœur et par notre bouche que Jésus est le Seigneur à la gloire du Père. Amen

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)
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