« Nous voulons voir Jésus »
La foule de Jérusalem vient de faire à Jésus un accueil triomphal. les gens commencent seulement à se débarrasser des grandes palmes qu’ils ont brandies. L’ambiance est à l’espoir et à la fête.
Impressionnés par cet enthousiasme populaire, quelques Grecs, des étrangers déjà gagnés au culte du vrai Dieu, et qui sont venus à Jérusalem pour adorer à la fête de la Pâque, maintenant toute proche, demandent à voir Jésus de près, personnellement.
Ils viennent trouver Philippe, qui porte un nom grec, comme d’ailleurs un grand nombre de ses compatriotes de Bethsaïde, au nord du lac. Ils s’expliquent en grec avec l’apôtre, et celui-ci, surpris peut-être par la demande, en parle d’abord à André, avec qui déjà il a fait équipe lors de la multiplication des pains. Les deux disciples transmettent à Jésus la demande des Grecs, et la réponse de Jésus est étrange, totalement inattendue : "Elle est venue, l’heure où le Fils de l’Homme doit être glorifié !"
Glorifié … moyennant le passage par la souffrance et la mort ; c’est pourquoi Jésus ajoute aussitôt une très courte parabole où il résume tout son destin : "En vérité, en vérité je vous le dis : Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit".
L’arrivée de ces quelques Grecs a joué comme un signal pour Jésus au cœur même de la joie de ce jour des palmes. Jésus avait dit qu’il donnerait sa vie pour que d’autres brebis se joignent à son troupeau : la demande de ces étrangers désirant le voir et croire en lui indique que le moment est venu pour Jésus de donner effectivement sa vie, pour les hommes de tout pays et de toute langue.
Bien des fois Jésus avait souligné que son temps n’était pas encore accompli (Jn 7,6.8), que son "heure" n’était pas encore venue (Jn 2,4 ; 7,30 ; 8,20). Il annonce maintenant, devant Juifs et Grecs, que cette heure est arrivée, l’heure de la passion glorifiante, l’heure de passer de ce monde à son Père "pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés" (11,52) ; mais il devra lui-même tomber en terre pour porter ce fruit d’universalité.
Les évangiles synoptiques nous rapportent d’autres paraboles de Jésus où le Royaume de Dieu est comparé à un grain de blé qui rend cent pour un, à un grain de sénevé qui devient un arbre immense. Mais là où les synoptiques disent "Royaume", saint Jean dit "Jésus" : c’est bien lui-même que Jésus vise en décrivant ce grain de blé qui en terre se vide, s’épuise, s’échange tout entier en un germe de vie. Et Jésus y insiste : le fruit qu’il ambitionne ne vient qu’à travers une mort.
Certes, pour lui, c’est une mort librement consentie. "Ma vie, disait-il, personne ne me la prend ; c’est moi qui la donne" (10,17s), et ce sera une mort transitoire, une mort-passage, une victoire sur la mort : "Ma vie, j’ai pouvoir de la livrer et j’ai pouvoir de la reprendre. C’est le commandement que j’ai reçu du Père".
Ainsi, pour accomplir le dessein du Père qui est de sauver tous les hommes, Jésus va laisser venir sur lui la mort que des hommes lui préparent, afin de dire oui au Père jusqu’au bout, jusqu’au milieu du refus des hommes.
Il va se laisser élever de terre, élever sur la croix, comme pour mieux attirer à lui le regard et la foi des hommes de tous les lieux et de tous les temps ; mais de cette mort, Dieu fera la vie : celui que les hommes auront élevé sur la croix, Dieu l’élèvera dans la gloire. Jésus va se laisser tomber en terre, mais du tombeau Dieu le Père le fera surgir, Seigneur à jamais et Sauveur universel.
Oui, elle est venue, l’heure du passage, et une confidence émouvante de Jésus nous fait découvrir dans quelle angoisse humaine il la voit s’avancer : "Maintenant mon âme est bouleversée". Ce que Jésus vit là, quelques instants après les palmes, face à la souffrance et à la mort, annonce déjà Gethsémani, que d’ailleurs saint Jean ne racontera pas.
A Gethsémani, Jésus proclamera solennellement : "L’heure est venue ; voici que le Fils de l’Homme est livré aux mains des pécheurs".
A Gethsémani, Jésus dira : "Mon âme est triste à en mourir"” (Mc 14,34) ; et il priera pour que cette heure passe loin de lui (Mc 14,35). Ici de même Jésus voudrait crier à Dieu : "Père, sauve-moi de cette heure !"
A Gethsémani Jésus choisira la volonté du Père : "Non pas ce que je veux, moi, mais ce que tu veux" (Mc 14,36). Ici également, Jésus entre pleinement, filialement, dans les vues de Dieu : "C’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. Père, glorifie ton nom !". C’est bien là la prière spontanée de Jésus ; c’est bien la première demande du Pater : "Que ton nom soit sanctifié" ; ce qui veut dire, non pas : "Que les hommes sanctifient, louent, proclament ton nom !", mais bien plutôt : "Toi, Dieu, sanctifie ton nom ; fais-toi connaître comme le Dieu de puissance et de miséricorde".
Frères et soeurs, le destin du Christ, c’est le nôtre, puisque Dieu nous a d’avance destinés à reproduire l’image de son Fils bien-aimé. Et Jésus, devant les Grecs et ses apôtres, a commenté lui-même la parabole du grain de blé en l’appliquant à ses disciples. "Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui ’hait’ (se détache) de sa vie en ce monde la conservera pour la vie éternelle". Jésus va mourir pour donner à tous les hommes la vie ; le disciple de Jésus, comme son maître, passera par une mort pour gagner la vie. Pour servir Jésus, il lui faudra le suivre jusqu’au bout ; mais celui ou celle qui servira le Maître sera là où est Jésus, et sera honoré/e, accueilli/e et choyé/e par le Père.
Et cela, dès maintenant, c’est la vie.
Fr. Jean-Christian Lévêque